Introduction
Dans les décennies qui ont suivies la seconde guerre
mondiale, il était généralement admis que les plus
démunis ne pouvaient avoir accès à des services financiers
(McGuire et Conroy, 2000). L'Europe avait pourtant connu l'émergence de
plusieurs systèmes, plus ou moins formels, de dépôts et de
crédits collectifs au cours du 19ème siècle
(Seibel, 2003). Depuis lors, la microfinance s'est de plus en plus
imposée comme un outil clef pour la lutte contre le chômage, la
pauvreté, ou encore l'exclusion sociale et financière (Commission
Européenne, 2007). Des compagnies de service-conseil tentent même
de standardiser un système de notation pour l'évaluation de la
performance des IMF (Planet Finance, M-CRIL...).
Avant de pouvoir mesurer la performance des institutions de
microfinance, il s'agit d'abord de définir celle-ci, et cet exercice ne
semble pas évident comme le soulignent Nanayakkara et Iselin (2012).
Nous pensons que le progrès et le développement du secteur de la
microfinance passe par une meilleure gestion des ressources, et l'utilisation
d'un système de mesure de la performance à l'interne peut
être bénéfique dans ce sens. En effet, les institutions de
microfinance poursuivent à la fois un objectif social à travers
des
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programmes de lutte contre la pauvreté, mais elles
doivent aussi gérer leur propre santé financière, et
restent en grande partie subventionnées. À ce propos Lashley
(2004) dit :
Par essence, la nature complexe de ce problème
réside dans les parties prenantes qui ne définissent pas ce qu'on
entend par une microfinance réussie. À moins que les
gouvernements, les donateurs et les prestataires de microfinance ne puissent
explicitement et stratégiquement définir la mission de la
microfinance, le mouvement de la microfinance (...) continuera à
patauger. Que signifie le terme « microfinance réussie »?
Est-ce l'autonomie institutionnelle, la hausse des revenues durables au-dessus
du seuil de pauvreté, ou un secteur de micro entreprises performant?
Effectivement, il peut être toutes ces choses.
(Lashley, 2004 pg. 93)
Sur la scène publique, le microcrédit est au
coeur d'une polémique qui remet en question son apport réel
à la société, et aux pauvres plus spécifiquement.
On critique, entre autres, le fait que les taux d'intérêts
appliqués par les IMF sont beaucoup plus élevés que ceux
du marché. Par exemple, aux Philippines, Fernando (2006)
recense des taux d'intérêts de 30% à 70%,
et Hamm (2008) parle même de taux d'intérêts
dépassant les 100% annuels pour la banque Compartamos du
Mexique.
D'un autre côté, ceux qui défendent
l'emprunt aux plus démunis ne manquent pas de souligner le réel
besoin de microcrédits dans la société actuelle. Dans le
Rapport Annuel 2010 de l'Observatoire de la Microfinance (France, 2010),
on peut lire que les statistiques du Fonds de Cohésion Sociale
notent une augmentation d'environ 43% de la distribution de
microcrédits personnels en France, après une augmentation de 55%
en 2009.
De telles statistiques sont nombreuses et sont
constatées partout où les initiatives de microcrédits
existent. Dans son livre, A World Without Poverty, Mohamed Yunus
(2007) explique le succès du microcrédit par le fait que
ce système constitue le seul apport de capitaux formel d'une population
démunie. L'auteur affirme, par ailleurs, que les taux
d'intérêts du système informel sont plus grands que les
taux appliqués par les IMF, et l'accès au crédit dans le
système financier traditionnel est quasi inexistant (Yunus et
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Chapitre 1 : Introduction 4
Weber, 2007). L'emprunt auprès des IMF reste donc une
alternative valable pour cette population, et les taux d'intérêts
élevés permettent à ces banques de couvrir les coûts
opérationnels et les risques engagés.
Néanmoins, les problèmes d'autosuffisance et de
financement des banques constituent des difficultés majeures pour les
acteurs de cette industrie, et ces problèmes nous intéressent
particulièrement pour les fins de notre étude. Des études
axées sur le développement de système de gestion pour le
microcrédit sont peu nombreuses. Les études sur le terrain et les
expériences sont certes innombrables, mais la littérature
académique présente très peu d'études à ce
sujet. En étudiant le Balanced Scorecard de Kaplan et Norton,
nous avons fait l'hypothèse qu'un tel outil de gestion pourrait aider
les IMF à mieux gérer leurs efforts et leurs coûts
opérationnels.
L'objectif de cette étude est donc d'élaborer un
système de contrôle de gestion de type Balanced Scorecard
(BSC) afin de pouvoir établir un diagnostic fiable de la
performance d'une IMF. Les évaluations externes peuvent coûter
très cher pour une IMF, et les informations tirées de ces
évaluations peuvent être très utiles afin de se situer dans
l'atteinte de sa mission. Il est peu réaliste pour une IMF de faire
appel à une agence externe de manière périodique. Le
tableau de bord nous apparait donc comme un outil pertinent pouvant soutenir un
bon contrôle à l'interne de l'institution. En effet, les
gestionnaires d'IMF, comme ceux d'autres organismes sans but lucratif tels que
des hôpitaux, sont contraints de devoir gérer la stabilité
financière de leurs institutions en offrant un maximum de services
à la population. Toutefois, la pression des besoins financiers les
amène à en oublier la vision stratégique globale (Inamdar,
Kaplan et Bower, 2002). Un tableau de bord de gestion permettrait de ne pas
dévier de la raison d'être de l'IMF en divisant les objectifs
stratégiques à long terme en plusieurs sous indicateurs de
performance financiers et sociaux.
Enfin, nous nous intéressons aux cas spécifiques
des institutions ciblant un marché féminin par
intérêt personnel pour ces institutions. En fait, les raisons qui
poussent ces IMF à élaborer une stratégie axée
autour des femmes nous ont convaincu de centrer notre étude sur ce type
d'institutions. L'emprunt à ces femmes a pour principal objectif de les
rendre financièrement et socialement indépendantes (Cheston et
Kuhn, 2002). Dans certains pays,
la structure sociale donne peu de liberté à la
femme qui se trouve à avoir moins d'accès au crédit ou
même à un emploi formel, mais qui se retrouve surtout avec un plus
faible poids sur les décisions familiales que le mari (Pitt, Khandker et
Cartwright, 2006). Au niveau d'un tableau de bord adapté
spécifiquement aux IMF dont la stratégie est axée autour
des femmes, la question se pose quant à l'influence qu'aurait une telle
stratégie sur le tableau de bord en question : Quelles
différences présenterait ledit tableau de bord par rapport
à un outil similaire développé pour les institutions de
microfinance en général? Ces adaptations sont-elles
justifiées? Apportent-elles de l'information de gestion pertinente?
Une telle étude s'inscrit comme une adaptation de l'un
des outils les plus modernes et les plus reconnus en matière de gestion
de la performance financière. Pour développer notre modèle
théorique de tableau de bord, nous commencerons par élaborer une
revue de littérature en portant une attention particulière sur le
modèle développé par Kaplan et Norton au début des
années 1990. Alors que certains auteurs, comme Gumbus et Lussier (2006),
font état du bénéfice que pourrait tirer une PME de
l'utilisation d'un tableau de bord, d'autres critiquent le manque de
flexibilité de l'outil (Voelpel, Leibold et Eckhoff, 2006).
Par la suite, nous développerons sur les
caractéristiques importantes de l'industrie de la microfinance, en
mettant l'emphase sur la demande actuelle d'un système financier
adapté aux plus pauvres. Enfin, nous conclurons la revue de
littérature sur les possibilités que présentent les deux
éléments d'étude, afin de pouvoir présenter le
tableau de bord retenu pour nos études de cas dans le cadre conceptuel
au troisième chapitre.
5
Revue de littérature
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