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Platon, l'Egypte et la question de l'à¢me

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par Frédéric Mathieu
Université Montpellier III - Paul Valéry - Master I de philosophie 2013
  

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c. Une justice post-mortem ?

Les tablettes de Thourioi, entièrement rédigées au féminin, renseignent sur les espoirs et sur la destinée des esprits parvenus dans le royaume souterrain. Celle-ci nous portent aussi à faire la connaissance de la maîtresse des lieux, la déesse Perséphone. C'est sous son aube, sous sa tutelle que la doctrine orphique place le séjour des bienheureux que, déjà, Platon évoquait dans l'Apologie de Socrate477.

Pure parmi les purs, je viens vers vous, ô Reine des Enfers,
Euklès et Eubouleus, et vous tous Démons glorieux.
Car j'appartiens à votre lignée bienheureuse.
J'ai payé le prix de mes actions injustes.
Mais la Moire m'a accablée, ainsi que d'autres Dieux immortels,
Et la Foudre venue des étoiles ...
D'un pied rapide, j 'ai atteint la couronne désirée.
Je me suis plongé dans le sein de la Déesse souterraine,

476 Platon, République, L. X, 621a-c.

47 « Car les habitants de cet heureux séjour, entre mille avantages qui mettent leur condition bien au-dessus de la nôtre, jouissent d'une vie immortelle, si du moins ce qu'on en dit est véritable » (Platon, Apologie de Socrate, 41c).

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Et je me tiens suppliante devant la chaste Perséphone
Afin que bienveillante, elle m'envoie au séjour des purs 478

L'Hadès Perséphone est signalé comme la divinité tutélaire qui transparaît à travers toute la documentation orphique comme celle en charge des enfers. Comme en témoignent les lamelles retrouvées à Hipponion, Pételia et Pharsale, Hadès qui, pour la majorité des Grecs, occupait cette fonction, n'en est nullement absent. Le fait est qu'il se trouve à plusieurs reprises qualifié de « souverain des morts » (chthoniôn basileus)479. Mais sa fonction n'a plus rien de l'importance qu'elle s'était progressivement acquise ; Hadès devient ou redevient un souverain passif, un gestionnaire peu disposé à l'action, conformément à la vision qu'en renvoyaient communément les textes primitifs aux époques classiques et archaïques. La toute puissante Perséphone l'a supplanté aussi bien dans les hymnes que dans les lamelles orphiques, où elle intervient au titre de maîtresse des lieux -- dans les enfers, mais également dans le séjour des vivants. Elle est à la fois une déesse toute puissante (pantokrateia), agissante à l'échelle du cosmos480, la « nourrice et la destructrice de toutes choses »481, et la déesse de la vengeance (praxidikè)482. Or, Perséphone, devenue souveraine du royaume des enfers, reste également celle de la végétation ou de la renaissance de la végétation associée aux saisons. Végétation, mort, renaissance, ces trois attributions recouvrent précisément comme nous aurons l'occasion de nous en apercevoir les trois affectations dévolues à Osiris, son analogue dans le panthéon égyptien. Coïncidence troublante, quoiqu'explicable par les universaux de la psychologie.

Perséphone règne en souveraine sur le séjour des morts ; c'est chose acquise483. Mais en quoi consiste cette régence ? Cette souveraineté se manifeste d'abord par le fait qu'elle est en mesure d'assigner des tâches aux autres dieux. C'est elle qui assigne à Hermès son rôle de psychopompe, l'investissant du « pouvoir et [du] privilège de mener au coeur des ténèbres les âmes immortelles des humains »484. Elle a donc vocation à distribuer les rôles dans l'au-delà ; raison pourquoi elle figure également au sommet de la hiérarchie des créatures infernales. Nombre de divinités secondaires sont invoquées, parmi lesquelles les Érynies, et des daimones peuplent le séjour des morts ou ses accès, ainsi que le mentionne le papyrus de Derveni485. Si le rôle des Érynies, déesses de la rétribution nées

478 Thurii II A 2, trad. G. P. Carratelli, op.cit., p. 103.

479 Hipponion, I A 1; Pételia, I A 2; Pharsale, I A 3, trad. G. P. Carratelli, op.cit. 48° Hymnes Orphiques, 29, 10 trad. G. P. Carratelli, op. cit.

481 Ibid. 29, 16, trad. G. P. Carratelli, op. cit.

482 Ibid., 29, 5, trad. G. P. Carratelli, op. cit.

483 737 Rome I C 1 ; Hymnes Orphiques, 29, 6, trad. G. P. Carratelli, op. cit.

484 Hymnes Orphiques, 57, 11, trad. G. P. Carratelli, op. cit.

485 Le Papyrus de Derveni, trad. F. Jourdan, op. cit.: colonnes I et II pour les Erinyes et colonne VI pour les daimones.

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du sang d'Ouranos, n'est pas explicitement déterminé, celui des daimones qui sont des « âmes vengeresses », est de barrer le chemin qui mène vers l'au-delà486. C'est en partie grâce à sa connaissance ésotérique et aux enseignements orphiques que le défunt pourra venir à bout de ces obstacles pour parvenir jusqu'à la déesse. Déesse qui, plus encore, sera chargée de faire la part entre les âmes méritantes et celles qui doivent être châtiées. Précisément, nous abordons ici le thème du jugement infernal auquel le mythe de la fin du Gorgias 487 donne corps et représentation.

La présence de divinités secondaires telles que les Érynies, tout comme la description de Perséphone comme une divinité vengeresse, est susceptible de corroborer l'idée d'une justice postmortem. Toutes sont effectivement liées à la notion de châtiment. Comme le mentionne le papyrus de Derveni, les sacrifices destinés à écarter les daimones sont accomplis « comme on s'acquittait d'une dette expiatoire »488. Il y a obligation de rachat, exigence de réparation. Le terme par ailleurs employé pour désigner cette dette est poinè, dont F. Jourdan remarque significativement qu'il se réfère à un crime de sang489. S'il n'est pas fait mention, à proprement parler du moins, de juges infernaux dans ce même papyrus ou dans les lamelles d'or comme c'est le cas chez Platon dans les dialogues de l'Apologie de Socrate49° et du Gorgias491, il n'en demeure pas moins que la nécessité d'expier ses fautes dans l'au-delà y figure bel et bien. Même formulée en termes de vengeance, la notion de justice infernale est ici indéniable. Nul n'est besoin, par conséquent, d'en appeler à la consultation d'un corpus égyptien pour expliquer la présence chez Platon, chez un Platon sans doute rompu aux éléments orphiques présents dans le pythagorisme, d'un jugement eschatologique.

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