E) Indications dans les Dialogues
En dernière analyse, l'appréciation globale des
oeuvres de Platon permet au lecteur attentif de consigner une liste quelque
vingt-et-une références explicites à
l'Égypte284. Un recensement plus avancé de ces
allusions dans l'économie des Dialogues fait ressortir le fait que ces
dernières abondent dans les écrits de maturité et de
vieillesse. D'abord succinctes, accidentelles ou du moins incidentes dans les
oeuvres de jeunesse, leur nombre augmente autant que leur importance dans la
« période de transition » pour culminer dans les dialogues
tardifs. Un accroissement quantitatif, mais également qualitatif : les
passages égyptiens vont bientôt faire l'objet de
développements à part entière. Spécifiquement dans
le Philèbe, où se voit introduit le personnage de Theuth
qui participe pleinement du schéma dialectique. De la même
manière, le mythe égyptien du Phèdre
synthétise non seulement le thème central de ce dialogue,
mais encore toute la rhétorique platonicienne. Quant à la fresque
du Timée, elle introduit, et justifie, et prête une
assise historique aux propos de Critias comme à la République
telle qu'elle était envisagée dans le dialogue qui le
précède immédiatement selon la chronologie
dramatique285. Moins structurés, les développements
des Lois prêtent enfin à l'Égypte une
valeur exemplaire qu'il n'est plus guère possible de considérer
pour marginale.
284 Ceux-ci se répartissent de la manière
suivante : Gorgias, 482b, 511d ; Ménéxène,
239e, 241e, 245d ; Euthydème, 288b ; Phédon,
80c, République, 436a ; Phèdre, 257d, 274c
sq ; Politique, 264b, 290de ; Tinée, 21c sq ;
Critias, 108d sq ; Philèbe, 18b ; Lois, 656d
sq, 747c, 799a sq, 819a sq, 953e ; Epinomis 987a.
285 « Les citoyens et la cité que tu nous as
représentés hier comme dans une fiction, nous allons les
transférer dans la réalité ; nous supposerons ici que
cette cité est Athènes et nous dirons que les citoyens que tu as
imaginés sont ces ancêtres réels dont le prêtre a
parlé. Entre les uns et les autres la concordance sera complète
et nous ne dirons rien que de juste en affirmant qu'ils sont bien les hommes
réels de cet ancien temps. [...] Suivant le récit et la
législation de Solon, je ferai d'eux des citoyens de notre cité,
les considérant comme ces Athéniens d'autrefois, dont la
tradition des récits sacrés nous a révélé la
disparition, et dès lors je parlerai d'eux comme étant des
citoyens d'Athènes (Platon, Timée, 26b-27c). Critias
propose ainsi de mettre en place un parallèle entre ce qu'il
présente comme la « fiction » de la République telle
qu'elle ressortissait des discussions de la veille, et la «
réalité » de l'Athènes archaïque telle que
dépeinte par l'officiant de Saïs. Pour citer J. McEnvoy, « il
est remarquable que Platon fait implicitement la liaison entre la cité
idéale qu'il avait présentée dans la République
et Athènes qui, dans le passé, semble se rapprocher le plus
d'elle. De surcroît, il réalise cette référence
à travers l'Égypte, dont la stabilité admirable dans les
connaissances historiques et scientifiques autant que dans l'organisation
politique (fort semblable à la structure de la cité
idéale, avec le roi-prêtre et la division des citoyens en castes)
font d'elle un modèle plus solide encore, puisqu'elle existe dans le
présent, de ce qu'une société doit être. D'autant
plus que c'est le prêtre égyptien, représentant-serviteur
du dieu, qui donne une leçon au législateur «homme
divin» - de l'Athènes contemporaine du philosophe ». (Cf. J.
McEnvoy, « Platon et la sagesse de l'Égypte », dans Kernos
n°6, Varia,
92
Les Dialogues de Platon comprennent ainsi de nombreuses
indications, commentaires et connaissances précises sur l'Égypte.
Ces connaissances concernent la géographie, l'histoire, la religion, les
organisations sociales et politiques, l'art, l'éducation et les moeurs
égyptiennes. Des historiens aux dramaturges en passant par les
philosophes, nous avons pu, au commencement de ce chapitre, considérer
les diverses sources possibles auxquels Platon aurait pu recueillir ce type de
renseignements. Nous avons établi des recoupements, suffisamment
nombreux pour nous faire douter de la nécessité d'un voyage de
Platon en Égypte. C'est méconnaître que de nombreuses
autres allusions figurent dans les dialogues qui n'étaient pas chez ses
prédécesseurs. C'est à relever ces allusions, point
d'orgue de notre démonstration, que nous consacrons l'ultime section de
ce chapitre.
Frais de transport
Au nombre des renseignements sur l'Égypte qui ne se
retrouvent effectivement nulle part ailleurs, ou plus exactement dans aucun
texte à notre connaissance des auteurs antérieurs ou
contemporains de Platon, est le prix du voyage de retour au Pirée
à partir de l'Égypte. Cette allusion figure dans le Gorgias,
lorsqu'au détour de la conversation, Socrate rétorque
à Calliclès qui faisait cyniquement valoir que les puissants
doivent écouter la voix de leurs intérêts, miser sur le
paraître, que l'expertise seule est à même de conduire les
passagers à bon port. Voulant donner un exemple de technique utile et
cependant sans prétention, exemple à même de transposer le
rapport du gouvernement au gouverné, Socrate évoque
l'allégorie classique de la navigation :
Et cet art est d'allure et de tenue modeste ; il ne fait
pas d'embarras, il n'affecte pas de grands airs comme s 'il accomplissait des
choses merveilleuses, bien qu'il nous rende les mêmes services que
l'éloquence judiciaire. Quand la science du gouvernail nous
ramène sans détour d'Égine, sains et saufs, elle se fait
payer deux oboles, je crois ; si c'est de l'Égypte ou du Pont, si c'est
de très loin -- et alors qu'elle nous rend un immense service puisque,
comme je l'ai dit tout à l'heure, elle nous sauve la vie, à
nous-mêmes, à nos enfants, à nos richesses et à
nos
1993, p. 270 et 274-275). Nous aurions donc affaire à
un télescopage articulant, d'une part, la vérité mythique,
atemporelle -- celle des idées -- à, d'autre part, la
vérité historique transmise par les prêtres
égyptiens, incluse dans une périodicité de cycles et
d'éternels retours. « Ce qui doit être » (la Belle
cité de la République) se voit alors projeté dans
« ce qui fut » et qui, par conséquent, « sera » dans
un avenir plus ou moins proche. Un paradoxe intéressant à relever
serait que tout en présentant la cité idéale (?) comme une
« fiction », Critias désamorce sa dimension utopiste en
l'inscrivant dans une temporalité. Il recourt pour ce faire à un
récit qui semble, malgré qu'il en ait, présenter toutes
les caractéristiques du mythe (cf. E. Voegelin, « Plato's Egyptian
Myth », dans The journal of Politics, vol. IX, n°. 3,
Londres, Cambridge University Press, 1947, p. 307-324), à savoir le
récit de l'officiant de Saïs. Un mythe pour justifier un autre
mythe ?
93
femmes --, elle demande au plus un paiement de deux drachmes
au moment de débarquer sur le rivage.286
A supposer qu'elles fussent extraite d'un dialogue tel que les
Lois ou la République, ces quelques lignes ne nous
auraient sans doute pas arrêté. Le fait est qu'elles proviennent
du Gorgias ; à savoir précisément d'un dialogue
dont nous avons tout lieu de supposer qu'il fut écrit durant ou bien
immédiatement après le retour de Platon de son séjour
d'Égypte. Chronologie qui expliquerait que notre auteur, songeant
à un exemple de navigation lointaine, opte spontanément pour
celui de la traversée Égypte-Athènes ; ensuite seulement
au même voyage en sens contraire. Bien plus : qu'il connaisse
précisément le montant demandé : deux drachmes. Luc
Brisson précise287 à titre informatif qu'il s'agit
là d'une somme relativement modique, correspondant pour une famille
entière à deux jours de salaire d'un ouvrier dans
l'Athènes de l'époque. Pourquoi l'Égypte et pas Tarente,
Crotone ou Syracuse, ou quelque autre port grec de Méditerranée ?
A moins de n'y voir qu'un pur hasard, cette référence
spontanée à l'Égypte conforte significativement
l'hypothèse d'une traversée récente depuis la terre des
pharaons à l'heure où Platon rédige le Gorgias. Relevons
en outre que Platon précise un peu plus loin que le voyage d'aller
coûte également deux drachmes. Ce que Platon ne pouvait savoir
sans s'être renseigné depuis le port d'Athènes, ou sans
avoir aussi effectué au moins une traversée en partance du
Pirée. Une induction tout à fait favorable à l'idée
que Platon serait revenu et reparti plusieurs fois de sa cité natale au
cours de ses grandes pérégrinations.
Blasphèmes platoniciens
Le même dialogue contient une autre allusion
d'importance à l'une des grandes figures du panthéon
égyptien. Socrate tente à ce point de la conversation de
convaincre Calliclès de revenir sur ses conclusions philosophiques,
à savoir « que commettre l'injustice et, pour celui qui a commis
l'injustice, ne pas expier est le dernier des maux »288. C'est
à la cohérence qu'il en invoque alors pour inciter son
interlocuteur à reconsidérer sa thèse. Faute de quoi,
Calliclès se condamnerait à la contradiction -- contradiction en
tant que l'homme cherche toujours le bien. Contradiction qui serait donc
dysharmonie de l'âme, et qui caractérise précisément
l'homme injuste lors même que Calliclès défmissait l'homme
juste comme un individu habile à le paraître ; en d'autres termes,
comme un expert capable de mettre en oeuvre tous les moyens -- dont l'injustice
-- pour accomplir qu'il croit être dans son intérêt -- qui
ne saurait être l'injustice. Socrate l'en avertit : « ou bien si tu
laisses ce point
286 Platon, Gorgias, 511d.
287 L. Brisson, « L'Égypte de Platon », dans
Lectures de Platon, Paris, Vrin, Bibliothèque d'Histoire de la
Philosophie, 2000.
288 Platon, Gorgias, 482b.
94
sans réfutation, par le dieu chien, dieu des
Égyptiens, Calliclès ne sera pas d'accord avec
soi-même, ô Calliclès, mais sera en dissonance durant toute
sa vie »289. Il peut être édifiant de mettre ce
passage en relation avec un autre extrait, tiré de la Vie de Platon
d'Olympiodore : « il faut aussi savoir qu'il [Platon] est allé
en Égypte trouver les prêtres et qu'il y a appris auprès
d'eux la science sacrée. C'est pourquoi aussi dans le Gorgias
il dit : "non, par le chien qui est dieu chez les Égyptiens"
»290. Remarquons au passage de légères variations entre le
texte original du Gorgias et la citation qu'en donne Olympiodore. Et
le biographe de préciser : « le rôle que jouent en effet les
statues divines chez les Grecs, les animaux le jouent chez les
Égyptiens, parce qu'ils sont le symbole de chacun des dieux auxquels ils
sont consacrés »291
a. « Par le dieu chien, dieu des Égyptiens
»
Svoboda, comme la plupart des commentateurs de Platon, indique
bien que cette divinité par laquelle jure Socrate n'est autre
qu'Anubis292. Anubis est le dieu protecteur des nécropoles ;
on l'associe au culte funéraire, aux pratiques
d'embaumement293 et, originellement à la pesée du
« coeur » (psychostasie) du défunt dans la salle des Deux
Maât ; fonction qu'il occupera jusqu'à la réforme
289 Ibid. (nous soulignons).
290 Olympiodore le Jeune, Vita Platonis. Vie de Platon,
L. I, 5.
291 Ibid.
292 K. Svoboda, « Platon et l'Égypte
», dans Archiv Orientâlni, n°20, Amsterdam, 1952, p.
28-31.
293 Nous héritons par Hérodote d'un
précieux témoignage des pratiques funéraires de
momification qui avaient cours dans la vallée du Nil : « Tout
d'abord à l'aide d'un crochet de fer, ils retirent le cerveau par les
narines ; ils en extraient une partie par ce moyen, et le reste en injectant
certaines drogues dans le crâne. Puis avec une lame tranchante en pierre
d'Éthiopie, ils font une incision le long du flanc, retirent les
viscères, nettoient l'abdomen et le purifient avec du vin de palme et,
de nouveau, avec des aromates broyés. Ensuite, ils remplissent le ventre
de myrrhe pure broyée, de cannelle et de toutes les substances
aromatiques qu'ils connaissent, sauf l'encens, et le recousent. Après
quoi, ils salent le corps en le couvrant de natron pendant soixante-dix jours ;
ce temps ne doit pas être dépassé. Les soixante-dix jours
écoulés, ils lavent le corps et l'enveloppent tout entier de
bandes découpées dans un tissu de lin très fin et enduites
de la gomme dont les Égyptiens se servent d'ordinaire au lieu de colle.
Les parents reprennent ensuite le corps et font faire un sarcophage de bois,
taillé à l'image de la forme humaine, dans lequel ils le
déposent ; et quand ils ont fermé ce coffre, ils le conservent
précieusement dans une chambre funéraire où ils
l'installent debout, dressé contre un mur » (Hérodote,
L'Enquête, L. II, 86). Notons ceci que l'historien se contente
de décrire les aspects « médicaux », «
chirurgicaux » du rite, sans mentionner nulle part sa dimension
mythologique. Il n'est nulle part fait référence aux «
quatre fils d'Horus » qui servaient d'effigie aux vases canopes
censés contenir les humeurs du défunt ; non plus qu'au
taricheute, au prêtre et praticien gouvernant la cérémonie,
et portant pour cette occasion un masque d'Anubis. Sur toutes ces omissions et
sur leur signification, cf. T. Bardinet, « Hérodote et le
secret de l'embaumeur», dans Parcourir l'éternité.
Hommages à Jean Yoyotte, Bruxelles, Brepols, Bibliothèque de
l'École des Hautes Études-Sciences religieuses, 2012, p. 59-82.
Si donc Platon pouvait trouver chez Hérodote quelque renseignement sur
les momies et sur les procédés de thanatopraxie, ce n'est pas
toutefois par Hérodote qu'il aurait pu s'instruire des
représentations « canines » de son « dieu chien »,
patron des embaumeurs.
95
osirienne qui l'en destituera pour le réduire au
rôle de psychopompe. Dévolution originelle qu'il faudra garder
à l'esprit lorsqu'il sera question de mettre en parallèle le
thème du jugement chez Platon et la pesée du «coeur»
tel qu'elle se trouve décrite dans le Livre des Morts
égyptien294. L'emploi dans le dialogue de l'expression
« dieu chien » rend compte des deux principales
représentations d'Anubis, soit sous la forme d'un canidé noir
(chacal ou chien sauvage), soit sous celle d'un homme cynocéphale. Il
fait partie des principales divinités du XVIIe nome de
Haute-Égypte et figurait également parmi les plus anciennes de la
mythologie égyptienne295. Les Grecs connaissaient bien ce
dieu dont Callimaque ne fut sans doute pas le premier à transcrire le
nom depuis la langue égyptienne, Inpou ou Anepou « celui qui a la
tête d'un chacal (ou d'un chien sauvage) » en caractères
grecs, comme il ressort d'un fragment du poème évoqué par
Strabon (« Voilà le dromos, le dromos sacré d'Anubis
»296). Les Grecs de la période alexandrine
l'assimileront plus tard au dieu Hermès, intronisant au panthéon
du syncrétisme gréco-égyptien la déité
d'Hermanubis. Son allure peu
294 Nous nous référerons pour ce chapitre
à l'édition et à la traduction de P. Barguet du Livre
des Morts des Anciens Égyptiens, Paris, Éditions du Cerf,
1967.
295 Sur la figure mythologique et les attributions d'Anubis --
et de ses prototypes -- à l'époque prédynastique et sous
l'Ancien Empire (gardien, taricheute, psychopompe, huissier), se reporter aux
travaux de l'égyptologue T. DuQuesne, The jackal Divinities of Egypt
I: From the Archaic Period to Dynasty X Londres, Darengo, Oxfordshire
Communications in Egyptology, n° VI, 2005. Pour une approche
centrée sur les particularités et sur les représentations
du dieu à l'époque de Platon, on pourra consulter l'article d'A.
Charron, « Les canidés sacrés dans l'Égypte de la
Basse Époque», dans Égypte, Afrique et Orient, vol. 23,
Avignon, 2001, p. 7-23. Non moins intéressant, celui de Fr. Dunand et de
R. Lichtenberg sur les dieux canidés, « Anubis, Oupouaout et
les autres», dans Parcourir l'éternité. Hommages
à Jean Yoyotte, vol. 156, Bruxelles, Brepols, Bibliothèque de
l'École des Hautes Études-Sciences religieuses, 2012, p. 427-440.
Cette dernière référence a le mérite d'ouvrir de
nouvelles pistes de recherche en direction d'autres divinités plus
archaïques identifiables au « dieu chien » de Platon.
L'identification par Svoboda (op. cit.) de ce dieu chien à Anubis n'est
pas si assurée qu'elle nous permette d'exclure à si peu de frais
la possibilité que Platon songe à quelque autre divinité
qui partagerait cette caractéristique. L'Égypte avait à sa
disposition bien d'autres candidats. Parmi les plus sérieux était
le dieu Oupouaout (lift. « celui qui ouvre les chemins »),
initialement dénommé Sed, que l'on retrouve parfois
mentionné dans les textes des pyramides sous l'appellation de «
chacal du sud » (s3b smsw). Une épithète qui rend raison de
ses diverses représentations sous l'aspect d'un chacal, d'un lycaon ou
d'un chien sauvage. Le dieu arbore ainsi les mêmes traits qu'Anubis,
à ceci près qu'il est le plus souvent représenté en
station verticale. Il symbolise l'union des deux Égyptes et assume, tout
comme Anubis, la fonction psychopompe du guide accompagnant les ba dans leur
élévation. Son existence est attestée dès
l'époque prédynastique, où il est honoré en sa
qualité d'auxiliaire cynégétique (de prototype de l'animal
de chasse). Son culte était toujours actif à l'heure où
Platon visita l'Égypte. Oupouaout avait alors ses temples à
Abydos, Lycopolis/(Assiout), Quban, El-Hargarsa, Memphis et -- cité
jumelle d'Athènes -- Saïs, dont nous n'aurons de cesse que
d'entendre parler. Si néanmoins la piste d'Oupouaout apparaît
recevable, d'aucuns pourraient lui objecter la plus grande probabilité
que la réputation d'un dieu du renom d'Anubis soit parvenue aux oreilles
de Platon bien avant celle de son compétiteur. Qui peut le plus peut le
moins ; la réciproque est rien moins qu'assurée. Si bien que le
faute d'être certaine, l'identification communément admise entre
le « dieu chien » de Platon et l'Anubis des Égyptiens ne cesse
pas d'être la plus vraisemblable. Sur la figure mythologique d'Oupouaout,
cf. Y. Guerrini, Recherche sur le dieu Oup-ouaout, des origines à la fin
du Moyen-Empire, Mémoire de maîtrise d'égyptologie de
l'Université Paris IV -- Sorbonne, Paris, 1989.
296 Strabon, Géographie, L. XVII, 28.
96
commune lui valut également de nombreuses
références dans la littérature latine, nous le retrouvons
couramment affublé de l'épiclèse d'Anubis latrator,
l'aboyeur.
Anubis embaumeur sur la momie de Sennedjem, relief
peint297
L'évocation du « dieu chien » du Gorgias nous
conduit directement à la momification. Au nombre des attributions
propres au dieu Anubis figurent effectivement encore la thanatopraxie, ou la
préparation cultuelle du nouveau corps du défunt, de son corps
éternel, divin. Un passage du Phédon mentionne
explicitement la débauche d'efforts des Égyptiens pour
arrêter la corruption du corps au moyen de l'embaumement, lequel devait
paraître un rite fort étonnant aux yeux des Grecs plus
habitués à immoler qu'à conserver les corps : «
Réfléchi à ceci, dit Socrate : une fois que l'homme est
mort, sa part visible, son corps, qui a sa place dans le lieu visible, bref ce
qu'on appelle cadavres immédiatement ; cela résiste au contraire
pendant un temps assez long. Ce temps peut même être tout à
fait considérable si, au moment de la mort, le corps est plein de
vitalité et se trouve dans l'épanouissement de la jeunesse. Et je
ne parle pas du corps émacié et décharné à
la façon de momies d'Égypte, car lui se conserve quasi
entièrement pendant un temps inimaginable »298. Sans
avoir eu besoin d'assister de visu à de pareilles pratiques, Platon
pouvait connaître les momies humaines d'après leurs
représentations ou même les momies d'animaux qui
s'échangeaient en guise d'offrandes sur le parvis des temples.
297 « Anubis embaumeur et la momie de Sennedjem »,
peinture murale du tombeau de Sennedjem, 19e dynastie (Nouvel empire), ref.
c.1297-1185 BC, Deir el-Medina, Thèbes, Égypte.
298 Platon, Phédon, 80c.
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