a. Hermopolis Parva
Sans délivrer son nom, Platon localise la
première des trois villes « aux environs de Naucratis
d'Égypte », et indique dans le Phèdre qu'elle
serait consacrée à « Theuth ». Le passage en question ;
et plus précisément encore, l'amorce de la phrase se
référant à Theuth a fait l'objet de différentes
traductions. Ces variations sont, pour ce qui concerne notre
problématique, d'une importance cruciale. Le texte original se
présente comme suit :
"Hxovxa roivvv =pi Navicparty 'fig Airvitiov ysvÉaeat iwv
&ci imamhv riva eswv, o xai rè ôpvcov i pèv 8 Sr)
iccaoi aiv "I(3ty · aviw SE ôvoua iw Saigovi civat Osve 272
Passage que Léon Robin traduit : « j'ai entendu
raconter qu'il y avait aux environs de Naucratis d'Égypte un ancien dieu
de là-bas dont précisément l'oiseau sacré est celui
qu'on appelle l'ibis ; le nom de la divinité elle-même est Theuth
». Les traductions ne sont jamais exemptes d'une part d'arbitraire. Cette
arbitraire peut parfois s'avérer changer du tout au tout le sens d'un
énoncé. Or, une caractéristique sur laquelle insiste Fr.
Daumas et que chez Platon, « l'emploi du moindre procédé
[littéraire] est extrêmement significatif et toutes les
suggestions de cadres, d'objets ou de styles sont à accueillir et
à saisir »273. Cette importance des
procédés de construction et du biais de traduction s'illustre
à propos de la position dans la phrase de la particule «peri
» : «si nous ne savions pas que Socrate, sauf pour des
expéditions militaires en service commandé, n'avait jamais
quitté Athènes, la place de peri Naukratin nous
permettrait de traduire assez fidèlement : "voilà, j'ai entendu
raconter aux environs de Naucratis d'Égypte qu'il y avait un ancien dieu
de là-bas..." »274. L'enjeu, nous le voyons, consiste
à décider qui de Platon ou du dieu « Theuth » est ici
mentionné comme se trouvant aux environs de la cité portuaire. H
se pourrait à cet égard que notre auteur ait
délibérément recherché l'équivocité.
Ambiguïté que rendrait mieux la traduction : « voilà,
aux environs de Naucratis d'Égypte, j'ai entendu dire qu'il y avait un
ancien dieu... ». Nous avons donc plusieurs interprétations
possibles ; et laissons le lecteur juge de ses préférences.
272 Platon, Phèdre, 274c.
273 Fr. Daumas, « L'origine égyptienne du jugement de
l'âme dans le Gorgias de Platon », dans Mélanges R.
Godel, Paris, 1963, p. 187-191.
274 1bid,.
p. 189 sq.
89
Nonobstant cet aspect formel, Platon nous livre deux
renseignements concernant cette cité : d'une part, sa proximité
géographique avec la ville de Naucratis ; de l'autre, le nom de sa
divinité poliade. H s'agit très probablement d'Hermopolis parva,
alors la capitale du IIIe nome de Basse-Égypte, effectivement
située à une soixantaine de kilomètres au sud-est de
Canope. Comme nous l'indique de plus A.H. Gardiner275, Hermopolis
n'était guère éloignée de l'actuelle Damanhour,
c'est-à-dire à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest
de Naucratis. Ce que précise effectivement la particule itspl. S'il y
avait donc une ville « aux environs de Naucratis d'Egypte », ce ne
pouvait être qu'Hermopolis parva.
La même Hermopolis est évoquée plus tard
dans la Géographie de Strabon, qui la situe « sur la
droite de la branche canopique, lorsqu'on remonte vers Memphis
»276. Or il est bien question, comme le suggère Platon
et comme son nom égyptien l'indique (Per-Djéhouty, «Le
Domaine de Thot »), d'un centre religieux consacré au dieu
Thot/Theuth-- Thot et Hermès (Hermopolis : cité d'Hermès)
étant assimilés dans les essarts du syncrétisme
gréco-égyptien. Les informations que nous délivre
apparemment si légèrement Platon serait donc bel et bien
fondées. Il semble par ailleurs que Platon connaissait bien ce dieu dont
il faisait dans le Philèbe le créateur et le patron de
la grammaire, de la phonétique277, ainsi que du calcul, de
l'astronomie, des jeux et de l'écriture. Est-ce à conclure qu'il
nous faille opter pour la traduction qui ferait de Platon un visiteur
d'Hermopolis et qu'il aurait recueilli ces renseignements sur place ? La
prudence est de mise. S'il est tentant d'en convenir, J. McEvoy se défie
des jugements par trop hâtifs que nous pourrions porter : « que
notre philosophe ait ou non personnellement visité l'Égypte, ces
allusions témoignent d'une vaste connaissance [...], mais pour moi une
telle connaissance était le propre de tout Athénien
cultivé »278.
|