b. Sechnouphis
Un second prétendant à cette candidature nous
est proposé par Clément d'Alexandrie dans un passage de ses
Stromates : « on rapporte, écrit-il, que Pythagore fut
l'élève de Sonchis, grand prophète égyptien, Platon
de Sechnouphis l'Héliopolitain, et Eudoxe de Cnide de Chonouphis, lui
aussi Égyptien »215. Il apparaît ici que les
maîtres de Platon et d'Eudoxe de Cnide sont clairement distingués.
Notre embarras consiste ici en ce que le nom de Sechnouphis n'apparaît,
à notre connaissance, nulle part ailleurs que chez Clément
d'Alexandrie. Clément d'Alexandrie est donc le
214 Plutarque, De Iside et Osiride, Traité d'Isis et
d'Osiris, L. X, 354d-e.
215 Clément d'Alexandrie, op. cit, ibid
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seul à assigner une identité crédible au
maître de Platon ; mais, précisément, il est le seul
à le faire. Nous ignorons par conséquent quelles pourraient avoir
été ses sources, et aucun recoupement n'est praticable avec un
autre texte grec ou égyptien. Est-ce à dire que nous n'aurions
aucune raison de croire (ou de ne pas croire) en ces informations ? Ce serait
verser dans l'hypercriticisme, et l'attitude n'est pas toujours de bon aloi.
S'il serait maladroit de prendre ce renseignement pour argent comptant,
celui-ci n'en est pas moins étayé par un certain nombre de
détails précis en mesure de lui garantir une certaine valeur
historique. Nous n'en relevons pas moins de quatre. Le premier ne concerne pas
directement Sechnouphis, mais l'assignation de la fonction de « grand
prophète » à Sonchis, mentor de Pythagore. Ce titre,
traduction de l'égyptien hm-ntr tpy (« premier
prophète »), correspond bien à une fonction sacerdotale
égyptienne. Plutarque désigne par ailleurs Sonchis comme ayant
été l'officiant qui conversa avec Solon tandis que ce dernier
séjournait à Saïs216. Un deuxième
élément consiste en ce que la mention de Chonouphis comme
maître d'Eudoxe de Cnide s'inscrit, comme nous avons pu le constater
d'après la confusion de Plutarque, à la suite d'une tradition
solide. Un troisième argument fera valoir que l'origine
héliopolitaine de Sechnouphis s'accorde tout à fait avec le
séjour prolongé dont nous avons quelque raison de croire qu'il
fut effectivement celui de Platon dans cette ville217. Le dernier
élément concerne l'historicité de ce même
personnage. De même que l'onomastique venait au renfort de la croyance en
celle de Chonouphis, l'analyse étymologique rapproche le nom de
Sechnouphis d'un anthroponyme égyptien, Sbk-nfr, signifiant
« le bon Sobek », ou « Sobek est parfait ». Sauf à
considérer que Clément d'Alexandrie fut suffisamment bon locuteur
égyptien, on ne peut suit aisément lui en attribuer la
paternité ; d'autant, rappelons-le, il s'agit d'un hapax.
En sorte que si, d'entre les deux noms avancés par les
historiographes, il nous fallait choisir lequel aurait été le
plus susceptible d'avoir été celui du maître de Platon,
nous opterions sans doute, en fin des fins, pour Sechnouphis. Ce choix pour
toutes les raisons, mais également avec toutes les réserves que
nous avons dites. L'on peut songer que le voyage de Platon étant
déjà une chose controversée, lui assigner des
maîtres le serait d'autant plus. Mais il existe une autre voie. Rien
n'interdit de prendre, tout à l'inverse, l'indication et même
l'évocation de maîtres de Platon comme un indice
supplémentaire de l'authenticité de son voyage.
216 Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres,
t. I : Vie de Solon, 2, 26, 1 et idem, De Iside et Osiride,
Traité d'Isis et d'Osiris, L. X, 354d-e.
217 Cf. infra. : « L'itinéraire du voyage de Platon
».
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