a. Apulée
Aborder la question de l'authenticité de ces
dépositions nous contraint en première instance à nous
interroger sur les raisons qui auraient pu conduire ces « témoins
différés » à fabriquer des témoignages du
voyage de Platon en Égypte. Ces précisions sont d'une importance
capitale et mériteraient un examen bien plus fouillé que nous ne
saurions le mener. Citons seulement, parmi les ouvrages de
référence sur le sujet des rapports parfois ambigus des auteurs
grecs et latins à l'Égypte, les développements
intéressants de J. Bidez, dans Eos ou Platon et l'Orient
199, et ceux de D. Mallet, «Les rapports des Grecs avec
l'Égypte de la conquête de Cambyse (525) à celle
d'Alexandre (331)» zoo Rappelons seulement, au risque de simplifier, que
les auteurs dont nous allons parler ont été
197 C. Froidefond, op. cit. p. 270. Voir
également J. Yoyotte, P. Charvet, S. Gompertz, Strabon, le voyage en
Égypte, Paris, Nil édition, 1997, p. 130.
198 W. K. C Guthrie, A history of Greek Philosophy,
vol. W : Plato. The Man and his Dialogues : Earlier Period, Cambridge,
Cambridge University Press, 1986, p. 14.
199 J. Bidez, Eos ou Platon et l'Orient, Bruxelles, AMS
Press, 1945.
200 D. Mallet, « Les rapports des Grecs avec
l'Égypte, de la conquête de Cambyse (525) à celle
d'Alexandre (331) », dans MIFAO, 48, 1922, p. 125-134. D'autres
études notables sont à signaler, parmi lesquelles les travaux de
J. Pirenne, Histoire de la civilisation de l'Egypte ancienne, 3 vol.,
Neuchâtel, Albin Michel, La Baconnière, 1961-1963 ; de A. De
Gutschmid, « De rerum Aegyptiakarum scriptoribus Graecis ante Alexandrum
Magnum », dans Philologus X, 1855, p. 687 sq. ; de H.
von den Steinen, « Plato in Egypt », dans
72
christianisés ; il y avait donc un intérêt
à dévaloriser la philosophie grecque au profit de sources
orientales, c'est-à-dire proche de l'Ancien Testament. En ce sens, la
légende des pérégrinations de quelques illustres penseurs
grecs pouvait offrir l'occasion de rapporter la plus grande part du savoir grec
à des contacts que ces penseurs auraient eus avec des populations
égyptiennes et ces populations égyptiennes, avec la tradition
sémite. Cette conception suppose ainsi une chaîne unissant la
pensée grecque à l'Orient dont elle serait l'insolvable
débitrice.
Ainsi a-t-on pu voir dans le voyage supposé de Platon
une sorte de pèlerinage aux sources. Les sources en question se
confondraient avec l'Égypte où Pythagore aurait été
initié aux mystères de la religion et reçu l'essentiel de
sa science. Platon aurait souhaité compléter et approfondir sa
formation en Égypte. Car il s'agit bien d'un voyage d'études,
fait sur lequel s'accorde l'ensemble des témoignages anciens. H aurait
donc suivi le conseil de son maître qui le pressait de parcourir le monde
pour faire d'autres rencontres et apprendre davantage encore. Conseil qui
semble contraster à première vue avec l'obstination de Socrate,
bien mis en avant dans le Criton avec la prosopopée des lois
d'Athènes201, à chérir sa cité (sans
doute autant que Sparte) au point de ne la jamais quitter (sauf cas de force
majeure : service militaire, etc.), mais ce que l'on comprend sans doute mieux
si le maître en question était Pythagore. Une thèse qui se
retrouve chez de nombreux auteurs, dont Apulée, dans le De dogmate
Platonis, qui, à la suite d'une référence qu'il fait
à la biographie signée d'Olympiodore, mentionne une vie anonyme
de Platon : « ayant appris que les pythagoriciens tenaient le principe de
la philosophie de l'Égypte, il se rendit en Égypte...
»202.
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