2.2. Problèmes du
rail béninois
Le rail béninois connait les mêmes
problèmes que connaissent les rails des autres pays africains et les
mêmes problèmes qu'avaient connu les rails des pays inventeurs
(pays développés).
En effet, le déclin subit du rail en Afrique (à
l'exception de la République d'Afrique du Sud) peut s'expliquer par
trois principaux facteurs :
· Immaturité du réseau ferroviaire
africain
Selon Taaffe et al (1963), les lignes ferroviaires visant le
développement économique doivent s'appuyer sur les ports et
respecter un schéma comportant six phases essentielles pour parvenir
à un stade de réseau interconnecté.
Conformément à ce schéma (figure 2), la
première phase correspond à l'implantation des ports, la
deuxième est la phase de construction des premières liaisons
ferroviaires parallèles aux côtes et reliant les ports à
certaines zones de productions (minières ou agricoles) situées
à l'intérieur des territoires et sur les mêmes longitudes.
Les interconnexions pour un véritable réseau constitué de
lignes interdépendantes touchant tous les centres d'intérêt
économique (du Sud au Nord et de l'Est à l'Ouest) s'amorce
à partir de la troisième phase et parvient à un
véritable réseau à la sixième phase.
Malheureusement, dans la plupart des cas, le ferroviaire de l'Afrique noire n'a
pas franchi la troisième étape.
Figure 2 : Les étapes d'évolution d'un
réseau ferroviaire
Source: The Taafe, Morrill and Gould Model
(1963)
B. Hoyle (1998), abonde dans le même sens tout en
relevant que les premières lignes ferroviaires ont d'abord longé
les pistes existantes avant la desserte des principales agglomérations
(cf. figure 3).
Figure 3 : Relation entre infrastructures de
transport et développement
Source: B. Hoyle, 1998
Selon ce schéma, le commerce international s'appuie sur
les infrastructures de transport (ports, routes, réseau ferroviaires)
sans lesquelles les flux d'importation et d'exportation ne seraient pas
possibles (P. Hugon, 2006).
L'image du réseau ferroviaire est calquée sur le
schéma de la balkanisation de l'Afrique avec des voies
individualisées hétérogènes (écartements
variables), se terminant en cul de sac.
Figure 4 : Voie ferrée en Afrique
Un simple regard sur une carte des tracés ferroviaires
africains montre la quasi-absence de réseau, l'Afrique du Sud, avec un
réseau de 30.600 km de voies ferrées et les infrastructures
ferroviaires les plus performantes d'Afrique subsaharienne devant être
mise à part (R. Pourtier, 2007). Donc l'Afrique a une très faible
densité de lignes ferroviaires, 2,7 km/1000 km² contre 400 km/1000
km² pour l'Europe, (UAC, 2006). Cette situation n'a pas permis la
rentabilisation du chemin de fer africain. Donc, la plupart des entreprises
ferroviaires doivent leur espérance de vie aux dons et subventions des
Etats et partenaires financiers. Le Bénin a connu la même
situation, le chemin ferroviaire perpendiculaire à la côte au
départ du port de Cotonou prend fin au beau milieu du pays (Parakou) sur
un distance de 438 km, d'où il faut encore presque une distance pareille
(par route) avant d'atteindre la frontière nigérienne ou
burkinabè, véritables utilisateurs du port.
· Le maintien du schéma colonial
Le "développement littoralisé" (P. Sakho, 2002)
correspond au souci du colonisateur qui ne dépasse guère la mise
en valeur des colonies. Par le concept de mise en valeur des colonies, il faut
comprendre l'exploitation et l'évacuation gratuite des ressources des
colonies vers les métropoles afin de faire face aux difficultés
auxquelles se trouvaient confrontés les "maîtres blancs"
après les deux guerres.
Après les indépendances, les dirigeants
africains, au lieu de corriger ce type d'aménagement pour penser
à une répartition spatiale équitable de l'habitat, des
centres administratifs, des centres de production et des centres
d'intérêt économiques sur tous leurs territoires, ont
maintenu, consciemment ou inconsciemment, le schéma colonial. A quelques
exceptions près, tous les efforts de développement ont
été ainsi dirigés vers les quelques villes coloniales,
littorales pour la plupart, au détriment de toutes les autres
localités situées à l'intérieur du territoire.
Donc, les problèmes que connaît l'ensemble du système de
transports des pays africains résultent d'une mauvaise politique
d'aménagement du territoire et le chemin de fer n'a pas
échappé à ce constat, aussi amer qu'il soit.
· Le mode de gestion des entreprises
ferroviaires
Gérer c'est prévoir, dit-on, et la
prévision nécessite la prise de dispositions d'investissement et
de gestion rationnelle. Ce qui n'a pas été le cas pour la plupart
des entreprises ferroviaires africaines (J-L. Chaléard et C.
Chanson-Jabeur, 2006). D'ailleurs ceci transparaît clairement dans le
rapport de l'UAC (Union Africaine des Chemins de fer, 2006).
Les difficultés du ferroviaire béninois ont
commencé depuis la prise en mains de la gestion de l'OCBN par le pouvoir
public des états partenaires (Bénin et Niger) à la suite
de leur accession à l'indépendance. Puisque, des
indépendances à ce jour, le linéaire hérité
du colonisateur a régressé au lieu de progresser. Les
suppressions successives de lignes (J-L. Chaléard et C. Chanson-Jabeur,
2006), dans la foulée de solutions de restructuration de l'entreprise
ferroviaire (en état critique), ont ramené le réseau
primaire de sa longueur initiale de 578 km à 438 km, soit une
réduction de 24%. Le projet de prolongement du rail jusqu'au Niger est
resté un voeu pieux purement politique. En dépit des nombreuses
études aux résultats pessimistes quant à leur
rentabilité économique, les gouvernements du Bénin et du
Niger, avaient décidé conjointement, en 1975, de
considérer le projet comme "hautement prioritaire" Malgré cette
volonté politique, le financement évalué à
l'époque à 36 milliards de FCFA, n'a pas pu être
mobilisé (A. Bontianti, 2006).
Par ailleurs, le document de plan de redressement de l'OCBN
élaboré en 2007 mentionnait que "l'OCBN a connu des heures de
gloire puisqu'en 1998, son chiffre d'affaires culminait à 8 milliards de
francs CFA avec un tonnage de fret transporté de 340.084 tonnes,
légèrement inférieur aux 350.000 tonnes nécessaires
pour atteindre l'équilibre d'exploitation" (SIEGA Benin, 2007).
Tableau 3 : Evolution des trafics et chiffres
d'affaires de l'OCBN
|
TRAFICS
|
CHIFFRES D'AFFAIRES
|
ANNEES
|
FRET
|
VOYAGEURS
|
FRET
|
VOYAGEURS
|
TOTAL
|
1996
|
269 674
|
715 457
|
5 572 440 000
|
1 010 162 000
|
6 582 602 000
|
1997
|
311 355
|
697 877
|
6 947 383 000
|
1 126 985 000
|
8 074 368 000
|
1998
|
340 084
|
699 785
|
7 027 089 000
|
998 517 000
|
8 025 606 000
|
1999
|
250 430
|
700 638
|
4 563 867 000
|
899 464 000
|
5 463 331 000
|
2000
|
155 597
|
577 645
|
2 645 975 000
|
1 008 556 000
|
3 654 531 000
|
2001
|
155 374
|
444 614
|
2 882 918 000
|
816 171 270
|
3 699 089 270
|
2002
|
184 430
|
427 407
|
2 594 963 240
|
705 004 405
|
3 299 967 645
|
2003
|
153 004
|
443 076
|
2 410 907 145
|
782 580 325
|
3 193 487 470
|
2004
|
71 856
|
302 900
|
941 795 695
|
569 717 340
|
1 511 513 035
|
2005
|
51 998
|
117 657
|
644 786 000
|
234 155 000
|
878 941 000
|
Source : Rapport SIEGA/BENIN, 2007
(modifié par nous) (à mettre les chiffres en millier)
D'une part, l'analyse du trafic marchandises de 1996 à
2005 montre l'état critique du ferroviaire béninois depuis plus
de dix années. En effet, au cours de cette période, le tonnage de
marchandises transporté est passé de 269.674 à 51.998
tonnes soit un taux de régression de 80,70%. Le chiffre d'affaires fret
s'en est suivi avec la même décroissance en passant de
5.572.440.000 à 644.786.000 de FCFA, puisque la nature et la valeur du
trafic n'ont pas changé.
D'autre part, le trafic voyageurs a connu aussi la même
tendance pour descendre de 715.457 voyageurs en 1996 à 117.657 voyageurs
en 2005 (cf. tableau 3).
Ainsi, en 2005, les recettes chutant à
878 941 000 FCFA, ne couvrent même pas les charges salariales
de l'entreprise évaluées à 1 677 563 685
FCFA.
A cette tendance baissière sans frein du trafic et par
conséquent du chiffre d'affaires, s'ajoute le poids de l'endettement de
l'OCBN dont 7,7 milliards de prêt consenti auprès de l'AFD pour un
échéancier de 300 millions par semestre.
A ceci s'ajoute la cessation des subventions des Etats membres
soumis actuellement aux injonctions des partenaires au développement
pour qui le ferroviaire doit être enterré au profit des routes.
L'analyse du budget d'investissement du secteur des transports du Bénin
montre que depuis plus de dix ans aucune ressource financière n'a
été allouée au secteur ferroviaire. Asphyxié ainsi
depuis des années, le ferroviaire béninois est agonisant.
L'agonie de l'OCBN est alors due à certaines raisons
capitales qu'il faut rappeler :
· les caractéristiques géométriques
de la voie ferrée (écartement métrique ; rayon de
courbure, longueur faible...);
· la mauvaise gestion qui caractérise
l'économie des pays sous-développés ;
· la faible capacité des matériels (les
locomotives BB dont la capacité de traction ne peut dépasser 300
à 350 tonnes);
· la concurrence déloyale rail-route.
En effet, le parc de matériel roulant est
vétuste et obsolète avec un âge moyen supérieur
à 25 ans. Sa maintenance difficile et coûteuse, réduit la
capacité de transport. Ce parc est composé de 10 locomotives BB
600, 2 autorails, 2 locotracteurs, 20 voitures voyageurs et 297 wagons toutes
séries confondues. Ce parc est resté stable depuis 1980 et n'est
disponible qu'à 40% (MDCTTP-PR, 2009).
Par ailleurs, le personnel est également vieillissant.
La mauvaise politique des ressources humaines de l'OCBN explique aussi les
difficultés du ferroviaire béninois.
Tableau 4 :.Répartition par tranche
d'âge du personnel de l'OCBN
Tranche d'âge
|
Nombre
|
Pourcentage
|
entre 25 et 35 ans
|
49
|
5,2
|
entre 35 et 45 ans
|
291
|
31,36
|
entre 45 et 55 ans
|
565
|
60,88
|
plus de 55 ans
|
23
|
2,48
|
Source : Rapport SIEGA-BENIN, 2007
En 2007, on constatait que 75% du personnel totalisait plus de
20 ans de service contre 25% d'agents ayant fait moins de 20 ans de service.
L'analyse par tranche d'âge montre un nombre très
élevé d'agents dont l'âge varie entre 45 et 55 ans.
|