La fratrie en droit( Télécharger le fichier original )par Thibaut GOSSET Université Paris Sud - Master II Droit 2013 |
Section 2 : L'étendue des liens fraternels123. Par ses caractères vécus, imposés, la fratrie peut être détachée de la référence classique au lien de parenté partagé par ses membres. Cette nouvelle définition impose de vérifier si l'étendue actuelle de la fratrie est justifiée alors qu'elle reste définie en droit par l'existence d'une filiation commune. Or, tandis que la convergence des fratries utérines, consanguines et germaines conduit à une mise à l'écart critiquable des quasi-fratries (§1), le droit positif ne permet d'aménager que de manière imparfaite des rapports de fraternité lorsqu'ils sont ignorés par la loi (§2). §1. La justification imparfaite du cantonnement de la fratrie124. Fratries germaines, consanguines et utérines sont parfaitement assimilées par le droit. En revanche, en l'absence de filiation commune, les rapports entre quasi-frères sont ignorés. Si l'assimilation des demi-frères aux frères germains semble justifiée (A), la mise à l'écart des fratries de fait n'est pas toujours pertinente (B). A/ La convergence des fratries germaine, consanguines et utérine125. Assimilation des fratries - Il n'a jamais été contesté que les enfants issus d'un seul auteur commun reçoivent la qualité de frères. Toutefois, les droits des demi-frères ont longtemps été moindres que ceux des frères germains. Notamment, le privilège du double lien affectait la vocation successorale des frères utérins et consanguins (cf. supra n° 50) et le principe de non séparation avait d'abord été jugé inapplicable au groupe des demi-frères pour des considérations d'ordre pratique190(*). 126. Cette différence de traitement entre frères germains et demi-frères semble aujourd'hui dépassée. Il est généralement admis que les empêchements à mariage s'appliquent indifféremment selon que les collatéraux sont issus d'un ou deux auteurs communs191(*). En outre, la jurisprudence a rapidement étendu l'application de l'article 371-5 du Code civil aux demi-frères192(*), sous réserve de la possibilité matérielle de réunir la fratrie sous un même toit - ce qui vaut également pour les frères germains193(*). De même, la dévolution d'un même nom aux frères et soeurs se heurte aux mêmes obstacles de fait, qu'ils aient un ou deux parents communs. Enfin, la réforme du 3 décembre 2001 accorde des droits successoraux égaux aux frères, quel que soit le nombre de leurs auteurs communs (cf. supra n° 51). Ces quelques exemples démontrent l'assimilation parfaite des frères germains aux frères utérins et consanguins. L'existence d'un parent commun suffit à unir les enfants et oriente naturellement leur union vers leur origine commune, passée. Elle satisfait alors aux critères d'identification de la fratrie ; dès lors, peu importe que la fratrie s'articule autour d'un ou deux auteurs. 127. Limites de l'assimilation - Cependant, si l'assimilation des fratries germaines, utérines ou consanguines se conçoit aisément lorsque les enfants sont élevés sous un même toit, il est moins certain que l'existence d'un unique auteur commun suffise à expliquer l'application du régime de la fratrie194(*). Il est en effet douteux que l'éclatement de la fratrie doive être encouragé et organisé par le droit ou qu'une solidarité spontanée puisse naître entre des demi-frères qui n'ont jamais vécu ensemble195(*). La fratrie est alors réduite au partage d'une filiation biologique, à laquelle le droit ne fait pas toujours produire d'effet (cf. supra, n° 111). Or, les frères qui n'ont, du fait de la séparation de leurs parents, jamais vécu ensemble, ne partagent pas de passé commun intrinsèque à la fratrie. Leur union ne pourrait résulter que de la volonté de se regrouper, d'organiser un avenir commun ; il ne s'agirait alors pas seulement de déterminer la qualité des liens fraternels, mais de les nouer. Les rapports ainsi envisagés seraient donc voulus et tournés vers l'avenir, ce qui caractérise bien plus un couple qu'une fratrie. 128. Aménagements des fratries de droit - Il semble donc discutable d'assimiler totalement les demi-frères aux frères germains, lorsqu'ils n'ont jamais cohabité. Toutefois, le principe d'égalité - universelle - ferait obstacle à un traitement différencié à l'égard des demi-frères en raison du défaut de cohabitation : il serait inconcevable de limiter la vocation des demi-frères à la succession de l'unique auteur commun, droit attaché à la filiation et non à la fraternité. 129. En revanche, les fonctions spécifiquement attachées à la fratrie peuvent être aménagées de telle sorte qu'elles ne concernent que certains frères. Le droit offre là aux demi-frères les moyens suffisants d'avantager ceux avec lesquels ils entretiennent des liens de faits corroborant leur lien de filiation commun, notamment grâce à l'absence de réserve en ligne collatérale. Si la qualification de frère pourrait être discutable, elle n'entraîne aucune difficulté sérieuse s'agissant de ses effets. Face à la diversité des fratries de sang, une fois l'égalité instituée par la loi, la volonté semble le meilleur moyen de faire correspondre les droits des frères à la réalité des liens vécus, comme le postule la Loi du 3 décembre 2001 (cf. supra n° 51). 130. A l'inverse, de réelles complications surviennent lorsque ces facultés demeurent fermées à des personnes juridiquement tierces vivant comme frères. * 190 Jacques MASSIP, « La loi du 30 décembre 1996 », art. cit. * 191 CA Rouen, 23 févr. 1982, D. 1982, IR. p. 211, rappr. Req. 28 nov. 1877, DP. 1878, I. 1209 * 192 CA Paris, 7 mai 2003, Dr. Fam., 2003, comm. 144, A. GOUTTENOIRE, RTD Civ., 2003, p. 494, obs. J. HAUSER ; Civ. 1re, 19 nov. 2009, D. 2010, p. 1904, chron. A. GOUTTENOIRE, P. BONFILS * 193 Dorothée BOURGAULT-COUDEVYLLE, « Les relations de l'enfant avec d'autres personnes que ses père et mère », Droit et Patr., 2000, p. 85 * 194 En 1999, si 39,2 % des enfants séparés d'un parent avaient des demi-frères, seuls 21,9 % vivaient effectivement avec eux. De plus, 20 % des adolescents (13-17 ans) ignoraient la situation de leur second parent, et donc ne pouvaient connaître leurs éventuels demi-frères. La proportion diminue avec l'augmentation de l'âge des enfants lors de la séparation des parents ; Catherine VILLENEUVE-GOKALP, « La double famille des enfants de parents séparés », Populations, 1999, n° 1, p. 9 * 195 Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, « Famille éclatées, familles reconstituées », D. 1992, p. 133 ; rappr. CA Rouen, ch. fam., 14 mai 2009, RG n° 08/01878, JurisData : 2009-003198 |
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