PREMIèRE PARTIE
CADRE GéNéRAL DE L'éTUDE
DéFiNiTiON DES CONCEPTS
I. Le contact des langues
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Avant de parler du contact des langues et des
phénomènes qui en résultent, il est utile de
présenter, tout d'abord, une définition globalisante. En effet,
selon Dubois & Al, le contact des langues est
«l'événement concret qui provoque le bilinguisme ou en
pose les problèmes. Le contact de langues peut avoir des raisons
géographiques : aux limites de deux communautés linguistiques,
les individus peuvent être amenés à circuler et à
employer ainsi leur langue maternelle, tantôt celle de la
communauté voisine. C'est là, notamment, le contact de langues
des pays frontaliers... Mais il y a aussi contact de langues quand un individu,
se déplaçant, par exemple, pour des raisons professionnelles, est
amené à utiliser à certains moments une autre langue que
la sienne. D'une manière générale, les difficultés
nées de la coexistence dans une région donnée (ou chez un
individu) de deux ou plusieurs langues se résolvent par la commutation
ou usage alterné, la substitution ou utilisation exclusive de l'une des
langues après élimination de l'autre ou par amalgame,
c'est-à-dire l'introduction dans des langues de traits appartenant
à l'autre...» 1
Une deuxième définition est donnée par
Hamers. Pour l'auteure, « le contact des langues inclut toute
situation dans laquelle une présence simultanée de deux langues
affecte le comportement langagier d'un individu » (Hamers, in Moreau,
p94). Ainsi, la présence de deux codes linguistique dans une situation
lesquelles peuvent avoir une incidence sur le comportement langagier des
locuteurs est une situation de contact de langues.
Le premier chercheur à avoir utilisé le terme de
« contact des langues » est Weinreich (1953). Selon lui le contact
des langues a d'abord lieu chez l'individu. Il oppose, de ce fait, la notion de
contact de langue à celle de bilinguisme dans la mesure où le
contact de langues renvoie à un état individuel (l'usage
alternatif de deux langue) alors que le bilinguisme renvoie à la
présence de deux (ou plusieurs langues) dans de la
société.
La question des langues en Algérie a été
enclenchée depuis quelques années et de nombreux chercheurs ont
proposé une description et une analyse de la situation sociolinguistique
algérienne. De multiples travaux ont été menés dans
ce cadre, ainsi, Khaoula Taleb Ibrahimi(1996), AsselahRahal, (2000), Derradji,
(1996) et Dourari(2003), ont montré que l'Algérie est un pays
plurilingue dans la mesure où l'on assiste à la coexistence de
plusieurs idiomes, notamment l'arabe standard, l'arabe algérien et le
tamazight avec toutes ses diverses variétés et le
français. Cette mosaïque linguistique se caractérise par
sa
1Dubois, J & Al. (1994).
Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris .Larousse,
p.115
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complexité et sa multiplicité. Parlant de la
situation sociolinguistique en Algérie, Taleb-Ibrahimi souligne que :
« Les locuteurs algériens vivent et évoluent dans une
société multilingue où les langues parlées,
écrites, utilisées, en l'occurrence l'arabe dialectal, le
berbère, l'arabe standard et le français, vivent une cohabitation
difficile marquée par le rapport de compétition et de conflit qui
lie les deux normes dominantes (l'une par la constitutionalité de son
statut de langue officielle, l'autre étrangère mais
légitimée par sa prééminence dans la vie
économique) d'une part, et d'autre part la constante et têtue
stigmatisation des parlers populaires .»2 (Taleb Ibrahimi
1998 : 22). L'auteure note d'abord que la société
algérienne est multilingue dans la mesure où il y existe quatre
langues différentes en usage quotidien par les locuteurs
algérien, elle ajoute qu'un rapport de compétition et de conflit
relie les langues en présence en Algérie, en particulier entre
l'arabe standard dit aussi « scolaire » (Dourari, 2003, p8) et le
français considéré comme première langue
étrangère par l'Etat algérien.
Le contact entre les quatre langues en présence dans le
paysage sociolinguistique algérien engendre de nombreux
phénomènes, tels que le bilinguisme et la diglossie qui donnent
à leur tour lieu à l'apparition des marques transcodiques dans
les pratiques langagières des locuteurs algériens.
A la suite de Weinreich, plusieurs définitions ont
été données au concept de bilinguisme. Dans le cadre de
cette étude, nous entendons par bilinguisme « la situation
linguistique dans laquelle les sujets parlants sont conduits à utiliser
alternativement, selon les milieux ou les situations, deux langues
différentes. C'est le cas le plus courant du plurilinguisme »
(Dubois et Al op, cit p22). Cette définition porte sur l'utilisation
alternée de deux langues selon la situation.
Partant de cette définition nous pouvons dire que le
bilinguisme est un phénomène présent en Algérie
dans la mesure où les locuteurs utilisent alternativement deux langues
différentes à savoir arabe algérien/ français,
berbère /arabe standard, berbère/ français.
Dans la société algérienne Khaoula Taleb
Ibrahimi parle du « bilinguisme scolaire » qui résulte du
contact de l'arabe et du français, il est « renforcé par
l'adoption de ces deux langues comme langue d'enseignement dans le
système », (Taleb Ibrahimi op, cit). L'auteure
2 Taleb-Ibrahimi K. 1998. « De la
créativité au quotidien, le comportement langagier des locuteurs
algériens ». In De la didactique des langues à la
didactique du plurilinguisme, J. Billiez (dir.), Lidilem,
Université de Grenoble 3, pp. 291-298.
atteste qu'après des années de scolarisation
dans les deux langues, le locuteur algérien ne domine aucune des deux
langues vu les résultats médiocres du système
éducatif.
Quant au bilinguisme dans sa forme individuelle,
c'est-à-dire les individus qui utilisent le français et l'arabe
avec une égale compétence, selon la chercheure, ce dernier se
limiterait à « une infirme minorité produit de circonstance
exceptionnelles »
A la suite de Ferguson (1959), nous entendons par diglossie
toutes situations ou coexistent de deux systèmes linguistiques
génétiquement apparentés dans une communauté.
Ferguson souligne que dans une situation de diglossie, nous
rencontrons, une variété prestigieuse dit H,langue des relations
formelles et la variété L langue de la vie quotidienne.
En appliquant le modèle classique de Ferguson sur la
situation linguistique algérienne, Khaoula Taleb Ibrahimi, a
dégagé trois situations de diglossie dans le contexte
algérien. La première situation comprend les deux
variétés de l'arabe, l'arabe standard dit aussi classique et
l'arabe dialectal. Ainsi, l'arabe standard occupe la position de
variété H, langue
prestigieuse et reconnue comme langue officielle, alors que
l'arabe dialectal dit « Algérien »par Dourari (2003),
« la langue maternelle de la majorité des Algériens et
le véhicule d'une culture populaire riche et variée
»(Talab Ibrahimi , 2003), est la variété L.
La chercheure avance que dans le contexte algérien, la
variété L de l'arabe n'est pas exclusive aux domaines formels,
nous pouvons rencontrer par exemple l'usage de l'arabe dialectal
(variété L) dans les discours religieux. Voilà pourquoi
elle écrit : « de continuelles incursions des deux
variétés sont observées même dans des situations et
types de discours considérés par C.Ferguson comme étant
exclusivement réalisés dans l'une ou l'autre des
variétés » (Taleb Ibrahimi, op, cit, p46)
La deuxième situation de diglossie
dégagée par l'auteure se passe entre l'arabe et les dialectes
berbères. Selon elle, « les dialectes berbères, non
seulement, subissent une marginalisation millénaire, et ne
bénéficient d'aucune reconnaissance officielle, mais bien plus,
ils sont relégués au rang de dialectes patoisants »dans
ce cas, la variété H est l'arabe, en revanche, les dialectes
berbères sont considérés comme la variété
L.
Quant à la troisième situation de diglossie qui
a été établie par la colonisation entre la langue arabe et
la langue française.
Nous rencontrons une autre description du
phénomène de diglossie dans le paysage sociolinguistique
algérien émise par Dourari (2003). Pour lui, le
phénomène de diglossie en Algérie se présente entre
les langues maternelles des locuteurs algériens, soit l'arabe
algérien
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et le tamazigh utilisés dans des situations non
formelles et dont l'« emploi est restreint aujourd'hui à la
sphère des rapports informels ou domaine L »3 et
l'arabe scolaire et le français, les langues du « domaine formel
dit H » utilisées dans des situations formelles comme les
institutions et les discours politiques
La situation de bilinguisme dans laquelle se trouve
l'Algérie donne lieu à l'apparition de différents
phénomènes linguistiques qui surgissent dans les échanges
verbaux des locuteurs, à l'instar de l'emprunt, du mélange
codique (code mixing) et de l'alternance codique.
Hamers définit l'emprunt comme« un mot, un
morphème ou une expression qu'un locuteur ou une communauté
emprunte à une autre langue, sans le traduire »(Hamers, in
Moreau, 1997 : 136), dans cette définition Hamers explique les
différents formes d'un emprunt, selon elle ,les segments
empruntés sont souvent limités au lexique et peuvent être
un morphème, un mot et même une expression à condition que
ce segment ne soit pas traduits, c'est-à-dire pris tel qu'il est.
Dubois et Al soulignent qu'il y a emprunt
linguistique« quand un parler A utilise et finit par intégrer
une unité ou un trait linguistique qui existait
précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne
possédait pas ; l'unité ou le trait emprunte sont eux-mêmes
qualifies d `emprunts. » les auteurs précisent que c'est le
besoin qui conduit une langue à pendre un trait ou unité lexicale
dans une deuxième langue, chose qui donne lieu à
l'emprunt.
Dans le contexte algérien le phénomène
d'emprunt se manifeste surtout dans l'utilisation des mots de langue
française dans des productions en arabe algérien. Ces mots sont
intégrés dans le vocabulaire de l'arabe algérien de
manière à en faire oublier la langue d'origine. Citons, à
titre d'exemple : ambulance, visite, contrôle, banane, radio,
numéro, clinique, ordonnance et analyse.
Un autre phénomène résultant du contact
entre les langues est le code mixing défini par Hamers et Blanc (1989 :
455) comme « une stratégie de communication (...) il
est caractérisé par le transfert d'éléments d'une
langue Ly dans la langue de base Lx ; dans l'énoncé mixte qui en
résulte on peut distinguer des segments unilingues de Lx alternant avec
des éléments de Lx qui font appel à des règles des
deux codes ». Les deux auteurs considèrent le mélange
de codes comme une stratégie de communication dans laquelle un locuteur
transfère un élément d'une langue dans la langue de base
de son énoncé. Ce transfert fait
3 Dourrari, A. (2003) : Les
malaises de la société algérienne, crise de langue, crise
d'identité, Alger, Casbah
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appel aux règles grammaticales des deux langues. Les
auteurs ajoutent « A la différence de l'emprunt,
généralement limité à des unités lexicales,
le mélange de codes transfère des éléments à
des unités appartenant à tous les niveaux linguistiques et
pouvant aller de l'item lexical à la phrase entière ;si bien
qu'à la limite ,il n'est pas toujours de distinguer le code-mixing du
code- switching »4. Les deux linguistes distinguent
d'abord entre l'emprunt qui est limité à des unités
lexicales, et le code-mixing où l'on peut transférer toute les
unités linguistiques sans exception aucune. Ils avancent toutefois qu'il
n'est pas toujours aisé de séparer le code-mixing d'une autre
stratégie de bilingue : le code-switching. C'est d'ailleurs à ce
dernier phénomène que nous consacrons la suite de notre
exposé.
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