II.6 AVANTAGES ET DEFIS DE L'AJUSTEMENT BUDGETAIRE
On s'accorde à présent largement à
penser, ce qui n'était pas le cas pendant les années 70 et la
majeure partie des années 80, que la discipline budgétaire est
nécessaire, qu'elle a des effets bénéfiques pour la
stabilité monétaire et financière ainsi que pour la
croissance et le développement économiques et qu'il faut limiter
la taille et le rôle du secteur public. Comme en témoignent de
nombreux exemples de réussite parmi les pays en développement, le
désengagement de l'État est souvent une condition indispensable
pour promouvoir la croissance.
Dans beaucoup de pays, il faudra pour cela réduire le
suremploi et accroître l'efficience dans le secteur public et
entreprendre de vastes programmes de privatisation. Mais bien des pays en
développement ont la possibilité -- beaucoup plus que les pays
industrialisés -- d'accroître les recettes sans aggraver les
distorsions ni porter préjudice à l'efficience, notamment en
élargissant la base des recettes et en améliorant le recouvrement
et l'administration de l'impôt. Cependant, certaines réformes
importantes, y compris la libéralisation du commerce extérieur et
du système financier, peuvent avoir des retombées
négatives à court terme qu'il peut être nécessaire
de compenser.
Dans les pays qui ont bénéficié
d'importants investissements étrangers, il sera essentiel à la
fois de préserver la stabilité financière et d'entretenir
la dynamique de la réforme pour que la croissance soit durable.
La croissance économique a été beaucoup
plus forte dans les pays en développement qui se sont résolument
attaqués aux déséquilibres budgétaires et qui ont
pris de vigoureuses mesures d'assainissement. Si on classe les pays en
développement en fonction de l'ampleur de l'ajustement budgétaire
-- c'est-à-dire de la variation du solde budgétaire en
pourcentage du PIB -- entre les périodes 1980-85 et 1990-95, on constate
que dans le groupe des pays qui ont enregistré la plus forte
amélioration, la production a progressé en moyenne de plus de 40
% entre ces deux périodes.
Dans ces pays, le meilleur contrôle de la situation
budgétaire est en partie dû à la bonne tenue de la
croissance mais il a aussi été décisif de mener une
politique budgétaire prudente pour entretenir une croissance
relativement forte. En revanche, dans les pays où le solde
budgétaire s'est détérioré, la croissance a
été sensiblement plus faible et, dans certains cas la production,
a à peine augmenté ces quinze dernières années.
Devant la nécessité de réduire les
dépenses publiques, les dirigeants ont souvent
préféré, pour des raisons politiques, réduire les
dépenses d'équipement ou laisser diminuer au gré de
l'inflation les salaires réels du secteur public, en bloquant les
salaires nominaux. On a rarement eu recours à des compressions de
l'emploi dans le secteur public.
Dans un certain nombre de pays africains, l'augmentation de la
valeur ajoutée correspondant aux activités de l'État,
qu'on évalue essentiellement d'après l'accroissement de l'emploi
dans le secteur public, a été longtemps supérieure, et
parfois très sensiblement, à celle de l'activité du
secteur privé.
Au Kenya et au Zimbabwe, durant la majeure partie des
années 80 et au début des années 90, le taux de croissance
du secteur privé a été inférieur de presque 2
points à celui du secteur de l'État. Les réductions des
salaires réels dans le secteur public risquent toutefois, comme les
compressions des dépenses d'équipement, d'aller à
l'encontre de l'effet recherché.
Elles peuvent réduire l'efficience du secteur public,
surtout dans les domaines essentiels comme l'administration de l'impôt,
l'application de la réglementation fiscale, plus
généralement les activités de maintien de l'ordre et,
enfin, l'exploitation des services d'utilité publique pris en charge par
l'État. Dans la mesure où la contraction des salaires
réels des fonctionnaires creuse l'écart par rapport aux
rémunérations offertes dans le secteur privé, cet
expédient risque aussi de favoriser la corruption et la recherche de
l'avantage personnel.
En Tanzanie, par exemple, les salaires réels des
fonctionnaires étaient tombés en 1980 à un
cinquième de leur niveau de 1970, ce qui était
généralement considéré comme une cause de
l'absentéisme et de la corruption dans le secteur public. En revanche,
dans beaucoup de pays en développement ayant obtenu d'assez bons
résultats, comme le Chili, la Corée et Singapour, les salaires du
secteur public sont restés à peu près comparables à
ceux du secteur privé.
Bien qu'il soit sans doute politiquement difficile de
procéder à des réductions de l'emploi dans le secteur
public, surtout dans les pays où les possibilités de
réinsertion semblent limitées à court terme, un certain
nombre de pays sont parvenus à exécuter de vastes programmes de
compression de la fonction publique en accordant aux travailleurs mis à
pied une prime de départ et une aide à la recherche d'un nouvel
emploi.
Entre 1987 et 1991, le Ghana a réduit d'environ 10 %
les effectifs de sa fonction publique -- notamment par la suppression des
«travailleurs fantômes» --, moyennant une prime de
départ égale à deux mois de traitement pour chaque
année de service et une aide supplémentaire, comprenant des
activités de conseil et des programmes de distribution de vivres en
rémunération de travaux, à l'intention des travailleurs
n'étant pas parvenus à trouver un autre emploi.
Il est possible que dans certains cas, ces programmes de
compression des effectifs de la fonction publique ne procurent guère
d'économies budgétaires à court terme en valeur nette
mais, à moyen terme, les gains d'efficience et les économies
peuvent être considérables.
Dans la plupart des pays en développement, la
restructuration et la privatisation des entreprises d'État passent par
une réduction de leurs effectifs. Nombre de ces entreprises exercent des
activités qu'il serait plus rentable de confier au secteur privé.
Dans beaucoup de pays d'Afrique et du Moyen-Orient, comme par
exemple le Sénégal ou l'Égypte, des entreprises
d'État sont présentes dans le secteur de la production
alimentaire, et en Inde, les entreprises publiques jouent un rôle
considérable non seulement dans l'industrie lourde et les mines, mais
aussi dans la production de biens de consommation.
Dans l'ensemble des pays en développement, la part des
entreprises publiques non financières dans le PIB dépasse 10 %.
La plupart des pays en développement n'ont guère progressé
vers l'adoption d'un cadre plus concurrentiel et l'assouplissement des
restrictions qui empêchent les concurrents éventuels des
entreprises publiques de s'implanter sur le marché. Malgré
quelques privatisations de grande envergure, le nombre des entreprises
gérées par l'État n'a pas diminué de façon
marquante.
Dans certains pays, les autorités ont cherché
à accroître l'efficience des entreprises d'État en
instituant des contrats de performances à l'intention de leurs
dirigeants. Dans la plupart des cas, toutefois, ces mesures n'ont guère
ou pas du tout produit d'amélioration en termes d'efficience et de
rentabilité, notamment parce que les entreprises, qui restent sous le
contrôle de l'État, continuent de faire face à des
objectifs contradictoires.
Au Sénégal par exemple, les contrats de
performances pour les dirigeants de la société nationale
d'électricité comprennent plus de 20 critères
d'évaluation des résultats, mais les autorités n'ont pas
le pouvoir de prendre des sanctions si ces critères ne sont pas
respectés.
En fait, la rentabilité de cette société
a baissé parce que le gouvernement n'obligeait pas les autres
entreprises publiques à régler régulièrement leurs
factures d'électricité. En revanche, lorsque les services
d'utilité publique ont été cédés au secteur
privé, comme dans le cas de la privatisation des
télécommunications en Argentine, au Chili, en Malaisie et au
Mexique, la productivité a augmenté, en partie grâce
à un accroissement de l'investissement.
Dans de nombreux pays exportateurs de produits de base,
l'intervention de l'État dans le secteur de la production est souvent
motivée par la stabilisation macroéconomique. Devant
l'instabilité des recettes d'exportation, les pouvoirs publics sont
préoccupés par l'incidence des flux de devises sur le taux de
change réel et par la compétitivité internationale du
secteur des biens échangeables. L'intervention a pris diverses formes,
notamment l'application de taxes à l'exportation lorsque les cours des
produits de base sont élevés, la rétrocession obligatoire
à la banque centrale des recettes en devises par les exportateurs et
l'investissement des bénéfices réalisés en
période de hausse des cours aux fins de promouvoir la diversification
des exportations.
L'expérience montre toutefois que ce type
d'intervention tend à créer davantage de distorsions et
d'instabilité dans l'économie. De surcroît, le secteur
public, lorsqu'il gère des bénéfices exceptionnels
procurés par une envolée des cours des produits de base, est
souvent l'objet de pressions concurrentes, émanant par exemple des
différents ministères, des groupes d'intérêts et des
entreprises publiques, qu'il ne peut pas toujours concilier pour que
l'accroissement des recettes soit investi dans des programmes favorables
à la croissance à long terme.
Depuis les années 80, les programmes d'assainissement
budgétaire ont aussi produit des améliorations de la structure de
la fiscalité et de l'administration de l'impôt dans de nombreux
pays en développement. Un certain nombre de pays ont rationalisé
et réorganisé la structure de la fiscalité pour
réduire les impôts générateurs de distorsions, tout
particulièrement les taxes sur le commerce international, et ils se sont
orientés vers des taxes sur la consommation, reposant sur une large
assiette.
En Inde, par exemple, le droit maximum applicable aux
importations a été ramené de 400 % en 1990 à 50 %
en 1995 et, durant la même période, le taux moyen est tombé
de bien plus de 80 % à moins de 30 %. En Indonésie, avant que la
taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ne soit adoptée en 1985, les
recettes procurées par les impôts indirects représentaient
environ 1 % du PIB, alors qu'à la fin des années 80, elles
étaient équivalentes à plus de 3 % du PIB. La
réforme des structures fiscales a aussi donné lieu à des
réductions marquées des taux d'imposition sur le revenu des
particuliers et sur les bénéfices des sociétés.
En Thaïlande, le taux maximum d'imposition sur le revenu
des particuliers a été ramené de 65 % en 1980 à
moins de 40 % en 1993. S'il est généralement admis que des
mesures de ce type favorisent une meilleure affectation des ressources et
qu'elles peuvent donc aboutir à une augmentation des recettes à
long terme, il faut toutefois, pour qu'elles réussissent, limiter les
exonérations spéciales qui tendent à
rétrécir l'assiette de l'impôt et à réduire
l'efficience.
Une réduction des taux d'imposition sur le revenu des
particuliers peut aussi aider à promouvoir un système fiscal plus
équitable dans les pays où, l'administration de l'impôt
étant déficiente, des taux marginaux d'imposition
élevés sont appliqués au gré des besoins et de
façon discriminatoire. En veillant à une meilleure application et
à un plus grand respect des dispositions fiscales, les pouvoirs publics
peuvent être en mesure de réduire les taux d'imposition tout en
accroissant les recettes fiscales. Au Chili, grâce à une
administration de l'impôt plus efficace, l'écart entre la valeur
potentielle estimée et la valeur effective des recettes procurées
par les impôts indirects a été ramené de presque 25
% en 1981 à 17 % en 1993.
La crainte d'une insuffisance des recettes fiscales a aussi
ralenti le rythme de la libéralisation du régime commercial et du
système financier dans certains pays en développement. Dans les
pays où une large part des recettes fiscales est subordonnée
traditionnellement aux impôts sur le commerce extérieur, les
barrières douanières n'ont été levées que
progressivement, malgré les avantages que peut procurer à long
terme le libre échange. Il est vrai que la libéralisation du
commerce extérieur risque de provoquer une contraction des recettes
à court terme -- et, dans ce cas, une réduction des
dépenses peut être difficile à éviter -- mais
certaines mesures peuvent être prises sans entraîner de
réduction sensible.
En fait, une levée des restrictions quantitatives peut
fort bien accroître les recettes étant donné que les
importations visées par cette mesure deviendraient très
probablement assujetties à des droits de douane. Même dans le cas
d'une réduction des droits de douane, il se peut que la contraction des
recettes soit faible.
Dans les pays où le marché des changes a
été libéralisé, en particulier lorsque les taux de
change officiel et parallèle ont été unifiés, la
hausse du prix des importations, exprimé en monnaie nationale au taux du
marché, peut tout à fait permettre une baisse des taux tarifaires
sans contraction des recettes.
Les pays où la libéralisation du régime
commercial et les réformes structurelles axées sur le
marché sont relativement avancées ont
bénéficié ces dernières années d'apports de
capitaux considérables. Il est toutefois possible que dans certains cas,
ces capitaux ont surtout été attirés par des taux
d'intérêt intérieurs élevés dus à un
dosage inadéquat des mesures monétaires et budgétaires.
Dans ces pays, un durcissement de la politique
budgétaire aidera à préserver la stabilité
financière en améliorant l'équilibre entre
l'épargne et l'investissement intérieurs. Néanmoins, dans
tous les pays qui en ont bénéficié, ces apports de
capitaux considérables se sont accompagnés d'une expansion de la
dépense intérieure et des importations, ce qui a eu pour effet
d'accroître les recettes budgétaires.
Cet accroissement des recettes risque fort de ne pas durer et,
comme l'indique l'expérience du Mexique, les dirigeants devraient
peut-être s'efforcer de dégager des excédents
budgétaires structurels pour être en mesure d'amortir les effets
d'une éventuelle sortie massive de capitaux. L'expérience du
Mexique montre bien par ailleurs que la politique budgétaire est
déterminante pour la crédibilité et, en dernier ressort,
la viabilité des taux de change rattachés à une monnaie de
référence. Une dévaluation qui ne s'accompagne pas de
mesures budgétaires vigoureuses a peu de chance d'être
crédible ou de produire un ajustement efficace.
S'il est vrai qu'à long terme, la politique
budgétaire peut avoir des effets très bénéfiques
pour la croissance, des mesures d'assainissement comme la réduction des
effectifs du secteur public, les augmentations d'impôts et la
privatisation des entreprises d'État peuvent avoir des
conséquences défavorables à court terme pour les groupes
sociaux économiquement défavorisés. La suppression des
subventions généralisées applicables aux produits de
première nécessité, l'assouplissement des contrôles
de prix et les dévaluations peuvent provoquer une contraction à
court terme du revenu réel des consommateurs.
Il convient de remédier, par des dispositifs de
protection sociale bien ciblés et efficaces en termes de coût, aux
conséquences défavorables de l'ajustement et de la réforme
pour les pauvres et les groupes vulnérables. Dans un certain nombre de
pays, notamment au Mozambique et en Zambie, des dispositifs de compensation
monétaire ont protégé les groupes vulnérables
pendant les périodes de hausse des prix tout en permettant un
renforcement de la position budgétaire.
En Jordanie, la subvention généralisée de
certains produits alimentaires a été remplacée en 1990 par
un système de tickets d'alimentation permettant aux
bénéficiaires d'acheter des quantités données de
produits de première nécessité à des prix
inférieurs à ceux du marché; les coûts
budgétaires des subventions alimentaires sont tombés de plus de 3
% du PIB en 1990 à environ 1 % en 1994. Ces exemples montrent que
malgré les problèmes pratiques que pose, surtout dans les pays
pauvres, le ciblage des groupes les plus vulnérables -- problèmes
qui sont souvent dus à des capacités administratives
déficientes et parfois à un appui politique insuffisant --, les
dispositifs de protection sociale peuvent aider à atténuer nombre
des conséquences défavorables à court terme de
l'assainissement des finances publiques.
Contrairement à la situation de nombreux pays
industrialisés, où les engagements non capitalisés des
systèmes publics de retraite financés selon le principe de la
répartition laissent prévoir une augmentation considérable
de la charge fiscale future, la mise en place de programmes
généralisés d'assurance vieillesse est relativement
récente dans les pays en développement.
Toutefois, dans certains pays en développement à
forte croissance -- en particulier de nombreux pays d'Asie où il se
produit un vieillissement démographique -- la nécessité
d'offrir une protection suffisante aux retraités risque de grever de
plus en plus lourdement les ressources du secteur public. L'expérience
d'un certain nombre de pays en matière de régimes publics de
retraite donne à penser que les pays en développement qui mettent
en place des programmes de pension auraient intérêt à
encourager une plus forte participation du secteur privé pour
éviter une charge budgétaire excessive, comme cela arrive
fréquemment lorsque les capacités administratives du secteur
public sont inadéquates.
Durant les années 80, le taux de rendement des caisses
publiques en Égypte, au Pérou, au Venezuela et en Zambie s'est
établi entre -12 % et -37 % par an; en Zambie, plus de la moitié
des cotisations étaient absorbées par les dépenses
administratives.
Mais la mise en place de systèmes gérés
par le secteur privé sur des bases saines exigera souvent de renforcer
le système financier, ainsi que le dispositif public de
réglementation et de contrôle.
Divers pays d'Amérique latine, comme le Chili au
début des années 80 et plus récemment l'Argentine, ont
réformé leur système de pension afin de remédier au
problème de l'augmentation des cotisations nécessaire pour faire
face aux engagements excessifs au titre des prestations.
Outre la charge budgétaire qu'imposent les
systèmes de retraite, des cotisations excessives -- c'est-à-dire
supérieures aux avantages que pourront en tirer ultérieurement
les intéressés -- tendront à exercer un effet dissuasif
sur l'emploi dans le secteur formel, ainsi qu'à réduire
l'épargne et l'investissement.
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