INTRODUCTION
0.1 Présentation du sujet
Depuis le début des années 90, la
République Démocratique du Congo (RDC dénommée
Zaïre jusqu'en 1997) a été secouée par des
évènements sanglants et caractérisés par des
violations des droits humains. Des conflits violents ont éclaté
en 1992 avec le déclenchement de violences ethniques opposant les
Katangais aux Kasaïens suivies peu après par la « guerre
inter- ethnique » dans le nord-Kivu et certaines parties du sud-Kivu. Le
pays fut ravagé par la suite par deux rebellions successives (La
première fut la rébellion menée en 1996/97 par l'Alliance
des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo/Zaïre
(AFDL) et la seconde fut dirigée par le RCD (Rassemblement Congolais
pour la Démocratie de 1998, le RCD a connu plusieurs fractures
(RCD-Goma, RCD-ML, RCD-National) et des nouveaux mouvements ont fait leur
apparition (MLC, UPC, etc.) entraînant une situation fragmentée et
confuse., impliquant toutes les deux, des armées
étrangères).1
Le défunt Président Mobutu Sese SeKo avait
souvent prédit les évènements survenus en RDC après
1996 en ces mots: « après moi, le déluge ». Le
départ de la scène du Président Mobutu, l'homme qui
inventa les systèmes du pays, viendra accentuer une situation
marquée par le déclin de l'État, le délabrement des
infrastructures, l'enracinement profond de la corruption, de même que
l'impact de la politique de « diviser pour régner »,
entraînant le troisième pays du continent en termes de superficie
vers de sérieuses difficultés et un avenir lourd des menaces. Les
évènements récents ont donné raison à
l'ancien Président Mobutu; après son règne, l'effondrement
de l'État s'est avéré inévitable. Dès 1996,
le Zaïre avait cessé d'exister en tant qu'Etat. Les populations
congolaises étaient de plus en plus divisées sur des bases
ethniques et régionales. Les systèmes et stratégies de
corruption, le népotisme, la mondialisation et la «
zaïrianisation » étaient à l'origine d'une profonde
crise économique et sociale.
Dans ces conditions, l'éclatement de la guerre ne
représenta pas une surprise, en raison notamment de l'instabilité
qui prévalait dans les pays voisins,
1 Hans ROMKEMA, Opportunités et contraintes
relatives au désarmement et rapatriement des groupes armés
étrangers en RDC : Cas des FDLR, FNL et ADF/NALU, Washington, DC
20433 USA, 2007, p. 24
en particulier au Rwanda et au Burundi, qui étaient
secoués par des guerres civiles de grande ampleur ayant
débordé jusqu'au Zaïre. Les déchirures profondes dans
ces deux pays ont aggravé la situation dans un Zaïre
déjà meurtri par les divisions ethniques existantes et
l'arrivée massive de centaines de milliers de réfugiés
burundais et rwandais dans la région du Kivu n'a fait qu'exacerber la
logique de la politique du « diviser pour régner» promue par
Mobutu et faire sombrer le pays dans un état de
déséquilibre fatal.
La présence de plus d'un million de
réfugiés rwandais et burundais, fortement politisés,
lourdement armés et bien organisés a transformé
fondamentalement le climat politico ethnique dans les provinces du Kivu
à l'Est du Zaïre. En outre, avec le changement de régime
intervenu en 1994 au Rwanda, le paysage politique de l'ensemble de la
région des Grands Lacs a été profondément
modifié. Mobutu et son entourage n'ont pas réussi à
anticiper ou gérer les conséquences de cette mutation. L'ancien
président a permis également à certains de ses
alliés comme le Président du Haut Conseil de la République
et Parlement de la Transition, Anzuluni Bembe, d'exploiter la situation pour en
tirer des bénéfices politiques à court terme. Anzuluni
Bembe et ses alliés politiques (dont plusieurs plateformes de la
société civile du sud Kivu) ont intensifié leurs efforts
pour exclure les congolais parlant le Kinyarwanda (Rwandophones et «
personnes parlant le Kinyarwanda » sont des termes interchangeables dans
le contexte de la RDC) de toute participation à la vie politique du
Zaïre. Ils sont allés jusqu'à dénier aux
dénommés Rwandophones la nationalité zaïroise.
Conjugués à la présence de ces réfugiés,
tous ces facteurs ont abouti à l'exclusion sociale et politique et
à des massacres ethniques (Des cas de massacres ethniques au Zaïre
furent enregistrés en 1995 à quatre endroits au moins dans la
zone de Fizi : Fizi-centre, Baraka, Malinde et Lweba, mais aussi à
Masisi, à Walikale et à Uvira).
Un autre facteur qui a énormément
contribué à l'escalade du conflit tient à la
création de nouvelles alliances politiques et militaires. Initialement,
la guerre interethnique au nord-Kivu avait réussi à mobiliser les
congolais d'origine Hutu et Tutsi au sein d'une dynamique pour s'opposer aux
autres communautés locales. Avec l'arrivée en 1994 des
réfugiés Hutu, porteurs d'une idéologie qui a conduit au
génocide au Rwanda, est née la coalition « Bantu » et
du coup, les Tutsi
et Hutu sont redevenus de farouches adversaires.
L'effondrement de l'État zaïrois, la guerre civile au Burundi et le
génocide au Rwanda (ou ses conséquences) ont constitué
autant d'ingrédients pour un embrasement de toute la région.
Au milieu de l'année 1996, l'Alliance des Forces
Démocratiques pour la Libération du Congo/Zaïre (AFDL), une
coalition de groupes d'opposition congolais appuyés par les
gouvernements du Rwanda, de l'Ouganda et du Burundi, lançait une
campagne militaire contre le gouvernement zaïrois encore dirigé par
Mobutu. Le Rwanda et les Tutsi congolais étaient les fers de lance de
cette coalition car étant immédiatement menacés dans leur
sécurité. Depuis la fin de l'année 1994, le Rwanda n'a
cessé de faire l'objet d'infiltrations et d'incursions militaires de la
part des éléments des ex-FAR et (d'anciens) lnterahamwe visant
à déstabiliser la région ouest du pays. Le régime
en place au Rwanda tentait d'empêcher les réfugiés et les
combattants de l'ancien régime de se reconstituer militairement et de
poser un danger sérieux au régime de Kigali. Les Tutsi congolais
en revanche étaient sensibles aux préoccupations des
autorités rwandaises et partageaient les opinions de leurs compatriotes
opposés au régime de Mobutu. Cependant, leur propre
sécurité et leurs droits à la nationalité
constituaient les motifs immédiats de leur adhésion à
l'AFDL). Des pays comme le Burundi, l'Ouganda et l'Angola appuyaient l'AFDL
pour des motifs similaires, à savoir que le régime de Mobutu
abritait des rebelles hostiles à leurs pays respectifs. S'il est vrai
que les membres et sympathisants zaïrois de la rébellion voulaient
mettre un terme à des décennies de mal gouvernance politique et
économique, certains d'entre eux n'étaient motivés que par
le désir d'accéder aux ressources naturelles lucratives en
participant à la gestion du pays. 2
La composition de la direction de l'AFDL et la
diversité des pays impliqués traduisent le large soutien dont a
bénéficié cette première guerre. La crainte du
régime du FPR a poussé bon nombre de réfugiés
rwandais d'origine Hutu à s'établir dans l'Est de la RDC,
à faire alliance avec le régime de Mobutu. Il est difficile
toutefois de parler d'une alliance véritable entre Mobutu et les
réfugiés rwandais. Ces derniers étaient en
réalité en première ligne durant les affrontements tandis
que les ex-FAZ (Forces Armées Zaïroises) perdirent bientôt
toute motivation à
2 M. KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique
noire, LGDJ, Paris, 1985, p.450.
freiner la progression de la coalition de I'AFDL et se
livrèrent systématiquement aux viols et aux pillages durant leur
retraite rapide vers Kinshasa. En mai 1997, Mobutu fuyait le Zaïre et
Laurent Désiré Kabila prenait les rênes du pouvoir en
RDC.
Pour des diverses raisons, l'AFDL et la coalition
internationale qui la soutenaient se sont effondrées en 1998. La
méfiance a miné la collaboration entre les responsables de
l'AFDL, notamment ceux qui n'étaient pas originaires des provinces du
Kivu et le Rwanda, d'une part, et l'Ouganda et plusieurs autres responsables
des provinces du Kivu, d'autre part. Le président Laurent
Désiré Kabila et son entourage accusaient leurs voisins de l'Est
de violer les principes de souveraineté de la RDC, tandis que le Rwanda
et l'Ouganda accusaient Kabila de ne pas reconnaître leur rôle dans
le renversement de Mobutu. Ils arguaient également qu'il fournissait une
assistance à certains rescapés des ex-FAR/lnterahamwe ayant
survécu à l'offensive de 1996. Cette relation déjà
perturbée se détériora davantage après que le
gouvernement de la RDC eut ordonné aux Rwandais et aux Ougandais de
quitter le pays en juillet 1998. Moins d'une semaine après leur
départ, une seconde guerre éclata le 2 août 1998 dans les
provinces de l'Est de la RDC menée par des forces issues d'une coalition
constituée du Rwanda, de l'Ouganda, du Burundi et de plusieurs anciens
sympathisants de I'AFDL contestant le régime de Kabila.
Quelques jours après le déclenchement de cette
guerre, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) s'est
présenté aux populations de I `Est pour expliquer, par le biais
de son président, « qu'ils ont été contraints de
reprendre les armes parce que le Président Kabila les avaient
trompés ». Les populations du Kivu dont une bonne partie avait
critiqué Kabila avant la seconde guerre, exprimèrent son
désaccord avec le RCD. Elles se disaient lassées et peu
disposées à faire face à une autre guerre. Au cours des
années qui suivirent, le RCD ne fut jamais en mesure de gagner la
confiance de la majorité de la population des provinces du
Kivu.3
Il convient de noter que si les milices congolaises Hutus (les
Mongols) ont souvent combattu aux côtés des forces
composées d'exilés rwandais
3 Anastase SHYKA et F. RUTEBESA, Afrique des
Grands Lacs. Sécurité et paix durable, BUTARE : UNR, 2004,
p.126.
en 1996, la plupart d'entre eux avaient intégré
pour la plupart les rangs du RCD en 1998. Cette seconde guerre (que le RCD
avait baptisée « guerre de rectification ») a duré
plusieurs années et s'est soldée par des millions de morts en
plus des souffrances atroces infligées aux populations. L'ONG
américaine International Rescue Committee a estimé le nombre de
décès à 4 millions de personnes. C'est un peu à
cause de ce lourd bilan que la communauté internationale a dû
exercer une forte pression sur les belligérants, ce qui a abouti
à la signature d'un accord de cessez-le-feu en 1999 à Lusaka, la
capitale Zambienne. L'impact de cet accord de cessez-le-feu fut limité
dans un premier temps. Pendant que s'estompaient les combats sur les lignes de
front, une guérilla se poursuivait derrière la ligne de front
jusqu'en 2002, affectant essentiellement les zones rurales de l'Est de la RDC
et se soldant par un bilan plus lourd encore en pertes humaines que celui
occasionné par les combats sur le front.
Ce n'est qu'en 2002 que la mise en application de l'accord de
Lusaka se traduisit en termes concrets à travers le dialogue inter
congolais à Sun City en Afrique du sud. Selon plusieurs observateurs, le
remplacement de Laurent Désiré Kabila par son fils Joseph Kabila
à la tête du pays avait beaucoup contribué à la
relance du processus de paix. Le Président Kabila avait
été assassiné dans son propre palais par l'un de ses
gardes du corps le 16 janvier 2001 et son fils fut alors désigné
pour lui succéder 10 jours après. Aussitôt après
l'intronisation de Joseph Kabila, plusieurs aspects fondamentaux de l'accord de
Lusaka qui avaient constitué des pierres d'achoppement finirent par se
débloquer. Ce qui permit d'emblée à la MONUC d'achever son
déploiement et Sir Ketumile Masire, l'ancien Président du
Botswana obtint finalement la coopération qu'il recherchait pour
préparer le dialogue intercongolais (DIC).4
A la fin 2002, le DIC déboucha sur « l'Accord
Global et Inclusif sur la Transition en République Démocratique
du Congo » et entra bientôt effectivement en vigueur. En juin 2003,
le processus de transition formelle fut entamé avec l'installation d'un
gouvernement d'union nationale jusqu'aux élections organisées en
octobre 2006. Ces élections ont eu finalement lieu et le pays amorce une
nouvelle phase avec un gouvernement nouvellement élu. Cependant, de
nombreux aspects
4 BRAECKMAN, L'enjeu congolais, l'Afrique centrale
après Mobutu, éd. Fayard, Paris, 1999, p. 415.
relatifs à la transition restent encore en suspens, en
raison sans doute des objectifs trop ambitieux fixés à
l'époque (à savoir: reconstruire le pays) ou parce que le
gouvernement de transition était trop divisé et confronté
à de nombreux « impératifs » liés aux questions
de réconciliation et d'intégration (totale) de toutes les forces
armées.
Situation actuelle en milieu rural au Kivu
Pour définir le rôle que pourrait jouer le
gouvernement de la RDC dans la résolution du problème des GA
étrangers sur son territoire, il est important d'analyser la
capacité organisationnelle et militaire de l'Etat. Tel qu'on l'a
relevé précédemment, le processus de
réconciliation, d'intégration et de pacification n'a pas
été parachevé. Des actions significatives ont
été entreprises au moment de l'absorption des factions rebelles
les plus importantes au sein du gouvernement de transition (GT), mais cette
démarche n'a pas permis pour autant de mettre un terme à toute
opposition armée contre le pouvoir central ni contribué à
réconcilier les différentes ethnies et régions du pays.
Les résultats des élections (octobre 2006)
autorisent à penser qu'il existe une scission entre l'Est et l'Ouest de
la RDC. Les combats au nord Kivu qui ont duré de fin 2006 jusqu'à
nos jours sont la preuve que certains groupes d'opposition sont soit incapables
ou peu disposés à se servir des institutions
démocratiquement élues pour faire entendre leurs griefs
réels ou perçus comme tels et les résoudre. Les
récents bras de fer à Kinshasa entre le président de la
République, Joseph Kabila, d'une part, et son plus grand ami Vital
KAMERHE, d'autre part, par rapport à l'entrée des troupes
rwandaises sur le sol congolais sont également source de
préoccupations. Il s'avère fondamental de rechercher les voies et
moyens de désamorcer les tensions entre ces acteurs politiques ainsi
qu'entre les ressortissants de l'Est et de l'Ouest du pays par la voie
pacifique.5
5 Barnabé MULYUMBA, La construction de la
paix au Nord-Kivu et au Sud-Kivu : Etat de recherche, BUKAVU, CERUKI,
2004, p.32.
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