3.4. L'éducation et les théories
économiques et/ou du développement
Les théories économiques occidentales servent de
référence à la mise en place des politiques publiques de
développement et d'éducation alors qu'elles font aussi l'objet de
nombreuses critiques. Trois grandes théories sont incontournables : la
théorie du capital humain, la théorie de la croissance
endogène et l'approche par capability.
La théorie du capital humain
La théorie du capital humain - Mincer (1958), T.W.
Schultz (1963) et G.S. Becker (1964) - met en lumière l'impact du
capital humain (éducation, aptitude et expérience) sur la
productivité des travailleurs. En faisant référence aux
travaux de G. Psacharopoulos (1994, 2002), N. Henaff mentionne qu'il
découle de cette théorie que « les rendements de
l'éducation sont décroissants d'un cycle à un autre, et
c'est dans le primaire qu'ils sont les plus élevés >>
(Henaff, 2006 : 76).
Parallèlement, la théorie néoclassique
considère également que « le taux d'accroissement du stock
d'éducation est déterminant ... et a un effet sur la
productivité du travail>> (Henaff, 2006 : 77). En ce qui concerne
le rôle des inégalités dans la croissance, N. Henaff
relève que « l'hypothèse des rendements décroissants
implique des rythmes d'accumulation différenciés en fonction du
niveau initial de capital et par
conséquent la convergence des niveaux de revenu sur le
plan international comme au sein des pays et entre les différentes
catégories de ménages >> (2006 : 78).
Pour les pays en développement (Perkins et al., 2006),
cette conception a largement influencé et influence aujourd'hui encore
les investissements consentis en faveur du secteur de l'éducation comme
investissement rendant compte à la fois d'un rendement privé et
d'un rendement <<social>>. Le rendement privé correspond
à un calcul du coût d'opportunité entre coûts directs
et manque à gagner lié à l'envoi d'un enfant à
l'école d'une part, et d'autre part, l'argent escompté dans
l'avenir ou le revenu futur (2006 : 335-336). Le rendement social se calcule en
incluant tous les coûts privés - publics entrant dans la
fourniture d'éducation d'une part, et en incluant d'autre part les
effets externes positifs comme la santé, la participation à des
décisions politiques, le progrès technique (2006 : 337-338).
La théorie de la croissance
endogène
La théorie de la croissance endogène - R. Lucas
(1988, 1990) et de R.J. Barro (2002) - s'articule autour de l'impact des
politiques publiques, du capital humain et de la diffusion des technologies sur
la croissance. Le capital humain a un effet sur la croissance car il facilite
l'absorption des technologies modernes provenant des pays
développés, l'innovation et l'ajustement à la hausse du
capital physique. L'accumulation de capital humain est considérée
comme un préalable au développement technologique. Il permet
aussi l'exportation de la main d'oeuvre et il attire les investisseurs
étrangers. La nouvelle économie classique formule
l'hypothèse de rendements croissants ou constants de l'éducation
(Henaff, 2006 : 77).
Parallèlement, << le stock initial
d'éducation a une grande importance dans la détermination du taux
de croissance à long terme ... l'accumulation de capital humain est
considéré comme un préalable au développement
technologique, et a un effet sur la productivité totale des facteurs
>> (Henaff, 2006 : 77). N. Henaff mentionne que << R.J. Barro note
que le primaire est un passage obligé pour le passage au secondaire
>> (Henaff, 2006 : 79) et que cette théorie semble
reconnaître que la qualité est plus importante que la
quantité pour la croissance à long terme.
L' « approche par les capabiités
»
A. Sen place l'éducation au centre de son approche par
les capabilités et dans sa manière d'appréhender le
développement. Son approche a eu une influence déterminante sur
les politiques d'aide au développement et est à l'origine de la
création en 1990, par le Programme des Nations Unies pour le
développement (PNUD), d'un premier indice de développement humain
au côté du produit intérieur brut mesurant le niveau de
développement d'un pays.
A. Sen définit le développement comme <<
un processus intégré d'expansion des libertés
substantielles, en corrélations étroites les unes avec les autres
>> (Sen, 1999a : 22). Il distingue les libertés instrumentales,
dont relève l'éducation, des libertés substantives. Les
libertés instrumentales sont au nombre de cinq et entretiennent entre
elles de nombreuses interactions. Il s'agit des libertés politiques
(droits civiques et politiques associés à la démocratie),
des facilités économiques (possibilité d'utiliser les
ressources à des fins de consommation, de production ou
d'échanges, de l'accès au financement), des opportunités
sociales (les dispositions prises par la société relatives
à la santé, à l'éducation et aux services
facilitant l'accès aux autres libertés instrumentales), des
garanties de transparence (garantie implicite de clarté) et de la
sécurité protectrice (filet de protection sociale). Les
libertés substantives, quant à elles, découlent des
premières et représentent << l'ensemble des <<
capacités >> élémentaires, telles que la
faculté d'échapper à la famine, à la malnutrition,
à la mortalité prématurée, ainsi que les
libertés qui découlent de l'alphabétisation, de la
participation politique ouverte, de la liberté d'expression... >>
(Sen, 1999 : 56-61).
Le développement dans ses composantes
économique, sociale et politique repose donc sur la promotion des
libertés individuelles et l'engagement social des êtres humains.
La liberté individuelle est, selon lui, de l'ordre de la
responsabilité sociale. L'important est de renforcer les <<
capabilités d'une personne de façon à lui donner la
possibilité de choisir le type de vie qu'elle a envie de vivre et
à lui permettre d'agir comme un <<agent>>
c'est-à-dire une personne qui agit, modifie l'état des choses,
est considérée comme membre de la collectivité et comme
intervenant aux plans économique, social et politique (Sen, 1999 :
34).
Dans cette approche, la croissance du PNB et du revenu est un
moyen d'étendre les libertés, et non plus une fin en soi, aux
côtés d'autres facteurs déterminants comme les
dispositions économiques et sociales (libre
accès à l'éducation et à la santé) et les
libertés politiques et civiques (participation au débat public ou
exercice d'un droit de contrôle). Ainsi, ces autres facteurs sont
constitutifs du développement, il ne s'agit plus de se poser la question
de leur rôle de « conducteurs » ou non du développement
(Sen, 1999 : 57). Les aspects économiques, sociaux et politiques sont
intégrés dans la perspective d'une compréhension globale
du processus de développement. L'approche par les libertés est
similaire au concept de « qualité de vie » du fait qu'ils se
centrent sur les existences individuelles et la façon dont elles se
déroulent (Sen, 1999 : 41).
L'éducation est un préalable au
développement. En tant que composante des opportunités sociales,
elle fait partie du registre des moyens et non des fins. L'accès
à l'éducation, de préférence garanti par l'Etat,
joue un rôle déterminant dans le développement par les
libertés. D'un point de vue politique, la participation exige un niveau
minimum de connaissances ne fût-ce que pour prendre part aux
débats, aux décisions sur ce que l'on souhaite, ce que l'on a
raison d'accepter ou de refuser. D'un point de vue économique, le
développement de l'éducation publique contribue à son
extension. A ce sujet, il cite en exemple les pays asiatiques. Le Japon a
bénéficié dans son développement économique
de la qualité de ses ressources humaines résultant d'un large
éventail d'opportunités sociales dont le taux
d'alphabétisation qui était déjà plus
élevé qu'en Europe au milieu du XIXème siècle. La
Chine, comparativement à l'Inde, engrange une croissance
économique plus importante car elle a investi la sphère sociale
en généralisant l'éducation et l'accès à la
santé avant d'entamer des réformes économiques visant
à ouvrir l'économie au marché mondial. Elle a, de ce fait,
bénéficié d'un taux d'alphabétisation très
élevé et d'un système scolaire bien réparti sur
tout le territoire alors que l'Inde souffrait pour 50% d'une population adulte
analphabète et préférait investir dans la formation des
élites plutôt que dans l'éducation
élémentaire. Plus largement, A. Sen relie l'illettrisme et la
malnutrition à la pauvreté comme reflet d'une privation de
capacités élémentaires. Citant en exemples le Sri Lanka,
le Costa Rica, l'Etat du Kérala, il relie également des
programmes sociaux adaptés dans le domaine de l'éducation et de
la santé à une amélioration des conditions de vie sans
qu'il n'y ait nécessairement croissance économique (Sen, 1999 :
63-66).
La pauvreté est une privation de capacités
élémentaires et non une simple faiblesse de revenu (Sen, 1999 :
123).
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