2.2. La problématique
Depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme
en 1948, l'éducation scolaire fait partie des droits fondamentaux de
tout être humain. Parallèlement, le rôle positif de
l'éducation scolaire en matière de développement fait
l'objet d'un large consensus comme le rappelait encore Ph. Hugon en 2005 :
« Le rôle déterminant de la formation et
de l'éducation dans le processus de développement fait l'objet
d'un consensus de la communauté internationale. Depuis la
conférence d'Addis Abéba (1961) jusqu'au Forum de Dakar (2000) ou
aux objectifs du millénaire du développement (OMD),
l'éducation pour tous (UNESCO BREDA, 2005) est affirmée comme une
priorité. Ce rôle paraît
renforcé dans la nouvelle économie de
l'information et de la connaissance » (Hugon, 2005 :
13).
Les politiques d'éducation dans les pays en
développement reposent sur deux grands programmes: d'une part, le
programme Education Pour Tous mis en place en 1990 lors de la conférence
de Jomtien et renouvelé en 2000 lors du Forum de Dakar et d'autre part,
les Objectifs du Millénaire pour le développement adoptés
en 2000 intégrant 8 objectifs à atteindre dont deux liés
à l'éducation. Il s'agit d'atteindre à l'horizon 2015
l'éducation primaire pour tous avec un accès égal entre
les sexes.
Malgré les efforts considérables
réalisés en faveur de l'éducation, force est de constater
en 2011 que, dans certaines régions du monde et plus
particulièrement en Afrique subsaharienne et les pays les plus pauvres,
les objectifs d'éducation ne seront pas atteints en 2015. Le rapport EPT
2011 de l'Unesco relate que si 52 millions d'enfants supplémentaires ont
été scolarisés entre 1999 et 2008, près de 67
millions d'enfants étaient encore non scolarisés en 2008 et que
si les tendances actuelles se poursuivent, il y aura encore 72 millions
d'enfants non scolarisés en 2015 (2011 : 45). C'est en Afrique
subsaharienne que les difficultés majeures sont observées. Dans
son communiqué de presse de Juillet 2010 (2010c), l'Unesco rappelait que
la scolarisation primaire a augmenté de 56% à 73% dans cette
région mais que :
- 32 millions d'enfants africains sont actuellement exclus de
l'école ; au rythme actuel, plus de 23 millions d'enfants ne seront
toujours pas scolarisés d'ici 2015 ; - un tiers des adultes ne sait ni
lire ni écrire ;
- l'aide extérieure est insuffisante : 2 milliards de
dollars annuels, alors qu'il en faudrait 16 pour les pays les plus pauvres ;
- il faudrait 1,2 millions supplémentaires d'enseignants
pour atteindre les objectifs ;
- l'Afrique est le continent le plus fortement marqué par
les inégalités liées au sexe, à la langue et au
lieu de vie.
En référence à l'indicateur de
développement humain, l'IDH, le rapport 2010 du PNUD nous informe que
l'IDH moyen du monde a crû de 41 % depuis 1970 et de 18 % depuis 1990
rendant compte de progrès considérables (PNUD, 2010b : 3).
Cependant, celui-ci cache de fortes variabilités et
inégalités régionales et au sein même de chaque
pays. L'Afrique subsaharienne est, au côté de l'ex-Union
soviétique, la région qui a
engrangé les progrès les plus lents.
Parallèlement, le rapport questionne le lien de causalité entre
revenu et éducation: << L'analyse de ce rapport met en doute
l'idée selon laquelle la croissance des revenus en termes
d'économie serait suffisante pour améliorer la santé et
l'éducation dans les pays à IDH faible et moyen » (PNUD
2010b : 7). En réponse aux défis actuels, le rapport rappelle que
<< les politiques de développement doivent être
basées sur le contexte local et des principes généraux
avisés » (PNUD 2010b : 1-3) et propose trois nouveaux indicateurs
rendant compte de la centralité des inégalités et de la
pauvreté multidimensionnelle dans le cadre de l'analyse du
développement humain.
Pour expliquer la lenteur des progrès en matière
d'éducation, notamment en Afrique subsaharienne, de multiples freins
d'ordre quantitatif, qualitatif, financier et humain, liés aux contextes
locaux et international ont été mis en évidence. En 2006,
le CEPED, le Centre Population et Développement, publiait un rapport
remarquable sur les défis de l'éducation en Afrique subsaharienne
en s'appuyant sur la contribution de chercheurs de disciplines diverses.
N. Henaff, économiste, analyse le lien entre
l'éducation et la croissance. Elle met en exergue l'influence des
théories économiques sur la définition des politiques de
développement et d'éducation, lesquelles postulent que
<<pour sortir de la trappe à pauvreté, il faut investir
dans l'éducation » (2006 : 73). Cependant, ces théories
éclairent les choix mais donnent peu d'indications sur la manière
de mettre en oeuvre la politique. Elle conclut en relevant que << Si le
principe d'une influence positive de l'éducation sur le
développement est - presque - unanimement accepté, ce n'est le
cas ni du sens, ni de la nature, ni de la force de la causalité. Les
prescriptions en matière de politiques d'éducation
relèvent dès lors davantage de la doctrine que de la science,
dont elles se réclament pourtant » (2006 : 87-88). Elle pose
également la question de l'investissement dans l'enseignement primaire
plutôt que dans les niveaux supérieurs au regard de la
théorie de la croissance endogène et du double rattrapage de
l'Afrique subsaharienne en termes d'alphabétisation et de connaissance
dans un monde globalisé.
M. Pilon, démographe, rappelle en introduction que
l'approche dominante repose sur << une conception utilitariste et
économistique de l'éducation ... une vision standardisée,
atemporelle, mécanique et a priori positive du rôle
joué par l'éducation ... y compris comme facteur-clé du
changement démographique » (2006 : 10). Pour l'Afrique
subsaharienne, il énumère les nombreux freins liés
à la mise en oeuvre des politiques éducatives : la croissance
démographique, la transition de la fécondité et la
population scolarisable, la mise au travail des enfants
liée à la pauvreté et à la
vulnérabilité, la pandémie du VIH/sida, les conflits et
les difficultés liées aux processus de démocratisation....
En se penchant sur les systèmes éducatifs, il relève les
faibles performances, les questions liées aux conditions de
réalisation de l'EPT et aux finalités de l'éducation, les
effets négatifs découlant de la fuite des cerveaux...
A. Vinokur, économiste, rappelle le contexte de la
mondialisation de l'économie et l'instauration progressive d'un «
nouvel ordre éducatif mondial>> alors que l'EPT est
confronté à un double problème de coût et de
financement (Pilon, 2006 : 15-16).
M.-F. Lange, sociologue, aborde la question du rapport entre
la société et l'éducation et pointe le rôle
déterminant de la famille sur la « demande sociale
d'éducation >> (2006 : 170). Elle met en exergue les freins
liés aux conditions de vie sur le « métier
d'élève » et la réussite scolaire (2006 : 176).
En mettant l'accent sur le rôle de la femme dans la conception de
l'éducation comme un droit, elle insiste sur la nécessité
de concevoir l'éducation comme un « droit >> au sein d'un
ensemble de « droits >> complémentaires entre eux «
Vouloir promouvoir le droit à l'école ou à
l'éducation sans prendre en compte tous les manquements aux autres
droits risque de ne pas engendrer l'adhésion populaire
présumée et/ou souhaitée >> (2006 : 178).
Plus récemment, A. Doudjidingao publiait en 2009 une
thèse de doctorat en économie sur la relation entre
éducation et croissance en Afrique subsaharienne. Cette thèse met
notamment en exergue que « les effets de l'éducation sur la
croissance sont conditionnés par l'amélioration de
l'environnement politique, et la capacité des institutions à
générer des politiques égalitaires et le
rétablissement de l'insécurité liée aux conflits
généralisés sur le continent>> (2009 : 317). Dans le
chapitre consacré au rôle des facteurs conjoncturels, les
résultats de ses recherches montrent que le niveau et le nombre moyen
des personnes formées sont déterminants pour déclencher
des externalités positives à l'échelle d'une nation ou
d'une région. Le faible niveau de développement ou
d'investissement éducatif d'un pays influence négativement le
développement des pays voisins, indépendamment de leurs efforts,
il parle ainsi d'effet d'appariement.
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, A.-M. Diallo
pointe la forte augmentation des dépenses d'éducation au Mali
pour constituer en 2004 le premier poste budgétaire des dépenses
de l'Etat avec 32,8% (Diallo, 2007 : 134). Il pointe l'importance
déterminante de l'allocation rationnelle des ressources publiques
d'éducation et du lien à établir avec
le marché du travail. Les investissements aux
différents niveaux d'éducation doivent tenir compte des
opportunités réelles offertes par le marché local du
travail (2007 : 195). Dans le chapitre relatif aux indicateurs de performance
des systèmes éducatifs, il met en exergue deux difficultés
importantes pour l'analyse, d'une part, la disponibilité des
données chiffrées et d'autre part, << le conflit existant
entre ceux qui défendent la qualité ou la quantité »
(2007 : 118-119).
La question de la qualité a été
récemment étudiée par E. Duflo, économiste du
développement. Elle publiait en 2010 deux livres présentant les
résultats de ses recherches sur le développement humain relatifs
à quatre domaines dont celui de l'éducation. En réponse
aux << sceptiques de l'aide » face à des décennies
d'échecs y compris en matière d'éducation, elle s'est
interrogée sur l'organisation pratique des services dispensés
(2010 : 14). Elle propose << d'adosser le développement de la
santé et de l'éducation dans le monde à une technologie de
l'évaluation et de poser la question du choix : Comment
déterminer la meilleure politique, celle qui sera la plus efficace pour
parvenir au but qu'on s'est fixé ? » (2010 : 16). En
référence aux essais cliniques, ses recherches se sont
centrées sur l'efficacité de programmes en réalisant des
expérimentations aléatoires, des évaluations <<
randomisées » ou des comparaisons entre interventions (2010 : 17).
Elle rend compte de ses recherches en matière d'éducation en
partant d'une question de départ qui renvoie à l'importante
problématique de la qualité de l'enseignement dispensé au
côté des objectifs quantitatifs poursuivis actuellement <<
Inscrire ou instruire ? » (2010 : 21).
Au regard de ce bref tour d'horizon et avec du recul, il nous
est donc apparu essentiel de questionner les politiques d'éducation
actuelles sous l'angle de leur efficacité et de leur efficience et
surtout de les questionner sous l'angle de leur pertinence et de leur impact
dans les pays en situation d'extrême pauvreté et pour les
populations les plus pauvres c'est-à-dire confrontées à
des problèmes majeurs de sécurité alimentaire et de survie
au quotidien.
|