2.2. Analyse de la pertinence
Les apports et limites de l'approche par le
développement humain
Cette approche recentre les enjeux du développement
autour du bien-être de l'individu. L'approche par les capabilités
développée par A. Sen a émergé fin des
années 80, période se soldant par l'échec des programmes
d'ajustement structurel. Elle a le mérite de réintégrer la
dimension sociale dans les politiques de développement.
Cette approche rééquilibre les dimensions
économique et sociale et parle de < capacité humaine »
plutôt que de capital humain. Bien que < les deux orientations placent
l'humain au centre des préoccupations... les tenants du <capital
humain » tendent à privilégier la fonction d'agents des
individus pour autant que celle-ci favorise les possibilités
productives... la perspective des capacités met en avant la
faculté qu'ont les gens de vivre la vie qu'ils souhaitent et qu'ils ont
raison de souhaiter et l'amélioration des choix à leur
disposition, pour y parvenir » (Sen, 1999, p. 383). Le capital humain, de
son point de vue, n'est qu'un versant de la problématique des
capacités humaines, il est associé aux conséquences
indirectes des projets de la personne, c'est-à-dire contribuer à
une production ou créer une valeur d'échange sur le marché
; les conséquences directes liées aux projets de la personne
étant de contribuer à enrichir son existence.
Elle rappelle aussi les finalités élargies de
l'éducation < les bénéfices de l'éducation vont
au-delà de leur apport au capital humain dans la production de bien
» (Sen, 1999, p. 384). D'une même éducation, d'une part, un
individu peut tirer avantage de son gain de productivité, de sa valeur
de production par un revenu accru et d'autre part, il peut tirer d'autres
avantages issus de la lecture, de sa capacité à communiquer,
à argumenter, à s'informer, être pris au sérieux. De
son point de vue, le concept de capital humain ne se suffit pas à
lui-même car on ne peut réduire l'homme à un moyen de
production.
Cette approche donne une vision très positive et
respectueuse de la personne humaine et de son potentiel par le biais de la
promotion des libertés et de l'autonomisation. L'approche d'A. Sen
propose d'évaluer la qualité de vie et les politiques
économiques et sociales non pas du point de vue de l'utilité, des
ressources, des biens premiers ou des résultats mais plutôt
à partir de l'ensemble des opportunités
d'atteindre des résultats, c'est-à-dire <<
des opportunités réelles qui s'offrent aux individus de mener le
type de vie qu'ils ont choisi >> (Bertin, 2008 : 7). Dans cette
perspective, l'éducation est donc essentielle car elle permet à
chaque individu de révéler ses potentialités.
Plusieurs critiques sont adressées à l'approche
par les capabilités. Le caractère arbitraire et subjectif de
l'évaluation de la liberté, le caractère individualiste de
l'approche alors qu'une imbrication des << capabilités >>
individuelles et sociales est en jeu dans les phénomènes de
pauvreté et enfin, son caractère statique (Reboud, 2008 :
64-66).
En complément, nous pourrions ajouter que cette
approche est aussi, de notre point de vue, très, voire trop
responsabilisante pour de l'individu. Elle s'inscrit, même si elle s'en
défend, dans la lignée de la théorie du capital humain de
par les rendements et les externalités positives qui en
découlent.
La pertinence des indices associés au
développement humain
L'approche par le développement humain et les indices
qui en découlent permettent d'avoir une vision élargie et plus
nuancée de l'état de développement d'un pays. Il
reflète mieux la << vraie richesse des nations>> comme
l'informe le titre de ce 20ème rapport. Il donne un autre
regard sur le monde que celui apporté par le PIB. Ainsi, la mesure
initiale qu'est l'IDH <<donne une image du développement bien plus
nette en nous appuyant sur des mesures reflétant une conception plus
large du progrès >> (PNUD, 2010 : 32).
Les trois nouvelles mesures, l'IPHI, l'IPM et l'IIG, rendent
mieux compte des situations d'inégalité et de pauvreté en
se rapprochant des situations de vie (PNUD, 2010 : 239). L'IPM est une nouvelle
mesure très intéressante car elle dépasse l'approche par
la pauvreté vue sous l'angle de la pauvreté monétaire. La
dimension santé est déclinée en deux indicateurs, la
nutrition et la mortalité infantile. La dimension niveau de vie comprend
6 indicateurs, le combustible de cuisson, les toilettes, l'eau,
l'électricité, le sol et les équipements. La dimension
éducation est mesurée à partir des indicateurs
correspondant aux années de scolarité et au nombre d'enfants
inscrits.
Cependant, nous devons constater que, si l'IDH s'est enrichi pour
se décliner en plusieurs indices, la répartition entre les trois
composantes de base, que sont la santé,
l'éducation et le niveau de vie, restent
équivalentes dans chacun des nouveaux indices. En ce qui concerne la
dimension éducation, si les deux indicateurs rendant compte de la
dimension éducation ont été modifiés depuis cette
année pour se rapprocher des tendances actuelles, la qualité
n'est toujours pas reprise comme un indicateur mais il est vrai que les
données manquent à ce sujet. D'aucuns affirment aussi que si
l'IDH permet d'aboutir à une proportion entre les trois dimensions
à un niveau agrégé, il ne permet pas d'intégrer ses
trois dimensions à un niveau individuel.
L'IIG, quant à lui, tient compte de trois dimensions
particulières : la santé, l'autonomisation et le marché de
l'emploi. Bien que la question spécifique des femmes dans les pays en
développement, à laquelle se rattachent celles de la
santé, de la fécondité et de la pauvreté, fasse
l'objet d'une préoccupation particulière dans l'approche par les
capabilités, cette question sera traitée au point suivant relatif
aux effets de l'éducation sur la lutte contre la pauvreté.
Développement humain et croissance
économique
Alors qu'en 2003, le PNUD présentait encore son
diagramme établi en 1996 (voir page suivante) exposant
schématiquement le rapport vertueux entre les services sociaux
(l'éducation et la santé) et la croissance, le RDH 2010
remet en cause les liens entre les trois dimensions du développement
humain.
L'analyse de l'évolution des composantes de l'IDH nous
enseigne que la progression du développement humain est tirée par
les composantes de la santé et de l'éducation et non par la
composante du revenu. Elle nous enseigne surtout qu'une amélioration
dans ces deux dimensions n'a pas entraîné dans son sillage une
amélioration équivalente du niveau de vie des habitants d'un
pays, particulièrement en Afrique subsaharienne.
A l'inverse, les rapports entre la croissance des revenus et
les variations de l'IDH et de l'IDH non monétaire nous enseignent qu'une
augmentation de revenus n'entraîne pas automatiquement une augmentation
des investissements dans les domaines de la santé et de
l'éducation. Ces constats nous renvoient aussi à l'approche par
les capabilités et aux conditions de sa réalisation. Comme le
mentionne A. Bertin, trois institutions sont au coeur de cette approche et
permettent d'offrir à l'individu des garanties «
d'égalité de capabilités »: le marché qui
permet les opportunités économiques (acheter, vendre,
échanger), l'Etat qui permet les opportunités sociales,
régule l'économie et garantit la démocratie, et la
démocratie qui est, du point de A. Sen, le seul système
basé sur une
égalité de traitement entre les individus et le
respect des libertés inconditionnelles (2008 : 10). Malheureusement,
dans les pays en situation d'extrême pauvreté et
particulièrement en Afrique subsaharienne, force est de constater que
ces trois <<institutions » posent des difficultés à
des degrés divers. Dans cette lignée, le rapport RDH
2010 mentionne que << différentes combinaisons peuvent avoir
différents résultats, en fonction du cadre institutionnel et de
contraintes structurelles... les chemins qui mènent au progrès
sont fonction des conditions institutionnelles, politiques et historiques des
différents pays » (2010, 177).
Par ailleurs, le rapport 2010 nous rappelle le rôle
élargi de l'éducation, notamment en faveur de l'autonomisation et
de la liberté des gens.
Figure 3.2. : Développement humain et
croissance
(Source : Rapport sur le développement humain 2003, PNUD
2003 : 70)
En conclusion, la prise en compte de la dimension
éducation dans le développement humain relève davantage
d'une option initiale. Dans les faits, le 20ème rapport sur
le développement humain démontre qu'il n'y a pas de réel
cercle vertueux entre les services de base et une augmentation des revenus et
du bien-être. La pauvreté dans des pays à IDH faible et en
Afrique subsaharienne semble davantage liée aux deux autres dimensions
que sont la santé et le niveau de vie, défini en termes de
déprivations. La pertinence de l'investissement éducatif pour la
croissance des revenus n'est pas démontrée ou, à tout le
moins, elle est conditionnée à l'environnement institutionnel,
politique et historique.
En réponse, le RDH 2010 s'éloigne de
l'indice de développement humain initial en proposant une lecture
élargie du développement humain à partir de 4 mesures
empiriques que sont le niveau moyen actuel, la déprivation, la
vulnérabilité et l'inégalité (2010 : 101).
L'éducation pourrait peut-être ainsi trouver une plus juste place
dans cette approche.
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