Deuxième pas : Confirmation des liens de
cohérence entre les différents éléments de la
cognition sociale.
Ayant réalisé l'expérience suivante
auprès des cadres d'une banque réalisant une fusion entre deux
sites installés dans deux départements différents, il nous
est nécessaire de rappeler les résultats des études
concernant la représentation sociale de l'entreprise bancaire, dans le
cadre des travaux sur les influences des représentations sociales dans
les prises de décisions professionnelles (Michit, 1998a).
On y établissait que pour les cadres supérieurs
de ce groupe bancaire, la banque de type mutualiste présentait une
double organisation hiérarchique du système central en fonction
des divers groupes d'appartenance des sujets déterminés par des
caractéristiques géographiques et des caractéristiques
d'activité productive.
Pour une part des sujets (27) la banque mutualiste se
présente comme une entreprise de service principalement
dirigée par le service du client et les relations de personne.
Pour une autre part des sujets (21) la banque mutualiste se
présente comme une entreprise commerciale dirigée par la
rentabilité des produits proposés aux clients dans un univers de
concurrence.
Nous obtenions un système central à deux
éléments centraux "la rentabilité", le
"service-client" associés à des pratiques en terme de
"relations de confiance" pour le premier et de "relations de
concurrence" pour le second.
1° phase.
Afin de préciser la structure du système
central, nous avons procédé à un ensemble d'observations
mettant en relation la représentation de banque mutualiste avec la
représentation du groupe idéal.
Hypothèse
Si le groupe d'amis idéal est un groupe dans lequel les
relations entre les personnes sont pensées comme amicales, alors le
groupe des professionnels qui se représentent la banque comme
basée sur les relations de confiance aura tendance à associer la
banque mutualiste à un groupe d'amis idéal.
Par contre le groupe qui se représente la banque comme
une entreprise à vocation commerciale et donc à vocation de
rentabilité, doit concevoir la banque comme un groupe professionnel dans
lequel les relations présentent une organisation hiérarchique
non amicale.
Expérience.
On propose aux 48 sujets deux ensembles de trois propositions
définissant leur entreprise. Présentée à 24 sujets
[(11activent la représentation de la banque comme devant être un
Groupe productif (G.P.)et 13 activent la représentation de la banque
comme devant être un groupe d'amis idéal G.A.I.)] le premier
ensemble présente la banque selon la structure du groupe d'amis
idéal, dans laquelle les sujets sont des personnes dont il est
nécessaire de prendre en compte les intérêts avant
même les intérêts du groupe qui est à leur service.
Le second ensemble de propositions [présentées aux 24 autres
10G.P et 14G.A.I.] la représente selon une structure de groupe productif
idéal dans lequel les intérêts du groupe entreprise sont
premiers.
Pour chaque proposition, on demande aux sujets de quantifier
leur degré d'acceptation.
Ensemble de propositions A.
L'entreprise bancaire doit être un groupe dans
lequel les relations entre les personnes sont conviviales et fraternelles
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
Les individus doivent être considérés
comme des personnes : leurs compétences et leurs capacités
productive sont importantes mais ne doivent jamais être
déterminantes dans les décisions de productivité.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
La considération de l'intérêt des
personnes doit prévaloir sur les intérêts de
l'entreprise.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
Ensemble de propositions B.
L'entreprise doit être un groupe dans lequel les
relations sont hiérarchiques et dirigées par la
production
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
Les personnes doivent être considérées
selon leurs compétences et leur productivité.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
La considération des intérêts de
l'entreprise doit prévaloir sur les intérêts des
personnes.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
On tente dans cette association de propositions de mesurer le
degré de cohérence entre la RS du groupe et les deux autres
représentations, celle su sujet en tant que personne humaine et celle
des rapports hiérarchisés entre le groupe et les individus.
En attribuant à "Pas du tout" la note 1,
à possible la note 3 et à "tout à fait d'accord"
la note 5, nous avons les possibilités suivantes :
- si les sujets sont dirigés par la
représentation sociale du groupe d'amis idéal, l'ensemble A
obtient un score total de 15 et l'ensemble "B" un total de 3.
Et inversement si les sujets se représentent
l'entreprise comme un groupe productif.
En unissant les sujets qui obtiennent des scores pour A
strictement inférieur à 7 et pour B strictement supérieur
à 11 afin de définir des groupes qui associent les trois
représentations (groupe productif versus groupe d'amis
idéal, avec les deux représentations : hiérarchie
entre le groupe et les individus et le sujet humain) selon une
cohérence interne, nous établissons le tableau suivant :
Propositions
R.S.
|
A<7
B>11
|
7<A/B<11
|
B<7
A>11
|
Groupe Productif
|
18
|
6
|
0
|
Groupe fraternel productif
|
0
|
7
|
17
|
Comme le présumait l'hypothèse les sujets se
représentant l'entreprise bancaire comme un groupe productif
réalisent en majorité des scores A<7 ; B>11 ; et les
sujets se représentant l'entreprise comme un groupe d'amis idéal
réalisent en majorité des scores tels que A> 11 ; B < 7 .
De ces résultats précédents, nous tirons
comme conclusion que la représentation de l'entreprise est une
représentation d'un groupe qui entretient des liens de cohérence
avec la représentation des relations de subordination entre les
individus et le groupe et la représentation du sujet humain plus ou
moins objectivé relativement à l'activité de production.
Quelques mois après, quand la fusion est
réalisée, on demande aux même sujets d'exprimer leur
opinion sur le type d'entreprise qu'est devenue leur banque après la
fusion. On leur présente, cette fois-ci, les six propositions ensembles
en leur demandant de choisir parmi les six, les trois qui définissent
leur entreprise après fusion.
Résultat Après fusion :
Ensemble
R.S.
|
A<7
B>11
|
7<A/B<11
|
B<7
A>11
|
Groupe Productif
|
21
|
3
|
0
|
Groupe fraternel productif
|
20
|
4
|
0
|
On observe tout d'abord que les représentations de
l'entreprise ne changent pas à la suite de la fusion si les sujets
activent une représentation de l'entreprise comme un groupe productif.
Ce n'est pas le cas pour les autres qui expriment dans leur grande
majorité que la nouvelle entreprise est devenue un groupe productif.
Pour eux, la fusion contribue à détruire la banque mutualiste.
Le basculement dans l'évaluation de leur groupe
professionnel vers un groupe productif alors qu'ils l'attendaient comme un
groupe mutualiste au service des clients dans l'environnement
représentationnel du groupe d'amis idéal, est à l'origine
d'un sentiment d'insatisfaction proche de celui que peut produire une trahison
des fondements existentiels. Il s'agit de trouver quelles formes de
représentation prennent ces fondements pour trouver les a priori
existentiel fondamentaux qui dirigent leurs attitudes, leurs
représentations et leur pratiques décisionnelles.
2° Phase
La deuxième phase du processus de recherche conduit
à s'intéresser aux sujets insatisfaits qui subissent une
manipulation, telle que l'on peut la réaliser dans une procédure
expérimentale, de part la fusion. Cette fusion met les sujets activant
la représentation de la banque comme une entreprise de service dans un
univers représentationnel différent du leur et provoque une
insatisfaction comme nous venons de le voir.
Technique
Afin de déterminer les causes de cette insatisfaction
et tout à la fois d'éprouver notre hypothèse de
dépendance et de trouver les formes représentationnelles qui sont
remises en cause par l'opération administrative de regroupement des
outils de production, on pratique des entretiens individuels dont la technique
utilise la seule question c'est-à-dire afin de pousser
les réponses jusqu'au moment où le sujet ne réponde que
par : "parce que c'est ainsi" ou une formule similaire. Cette méthode
permet d'identifier des a priori fondamentaux qui sont des
représentations construites par l'expérience d'évidence de
vie et justifiables pas autrement que par cette évidence. Elles ne sont
pas des catégories kantiennes préexistantes à la
cognition.
Procédure
On demande aux sujets qu'est-ce qui a radicalement
changé dans les conditions de travail produites par la fusion. Les
réponses se composent de deux certitudes.
§ La première affirme que les personnes sont
considérées comme des pions au service de
l'entreprise (cela correspond à une objectivation des personnes et
à une définition de la place primordiale du groupe).
§ La deuxième renvoie au sentiment d'être
agi par les lois de la concurrence qui obligent l'entreprise à se plier
à des procédures rigides qui ne laissent plus aucune marge de
manoeuvre qui rendaient avant la fusion les employés acteurs dans le
système (les sujets sont agis par des lois économiques).
L'exemple qui est généralement cité pour appuyer cette
justification, est le mode de relation que les employés avaient, avant
la fusion, avec les applications informatiques. Il était affirmé
que : " avant la fusion chacun pouvait "bidouyer" les applications
informatiques selon sa créativité pour les rendre plus
performante et on partageait avec les collègues les astuces efficaces.
Maintenant avec la fusion, il est impossible de les transformer même si
ces nouvelles applications présentent des inconvénients majeurs.
Mais vous verrez, nous serons obligés de les bidouyer de
nouveau!"
Les sujets ne font jamais référence en dernier
ressort à l'idéalité du groupe dans leurs justifications
(par exemple : c'est parce que notre entreprise est devenue un groupe
productif), ce qui prouve que ce n'est pas la représentation du groupe
qui est touché directement par le changement réalisé.
Leurs réponses indiquent que sont touchées les
représentations concernant la place des sujets par rapport au groupe et
celles concernant leurs possibilités d'actions. Ces deux
représentations sont constitutives de la représentation du groupe
auquel ils appartiennent ou du groupe qu'ils valorisent. Autrement dit, il
existe un lien de subordination de la représentation idéale du
groupe à ces représentations.
Les deux formes déclaratives présentes ici,
seraient donc deux positions particulières possibles au regard de deux a
priori fondamentaux qui seraient 1) l'a priori de la hiérarchie entre
groupe et individu (groupe 1° versus sujet 1°) et 2) l'a
priori du sujet humain acteur versus agi.
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