Pour Lessard, le travail enseignant et sa dépossession
sont au coeur du système de compréhension et d'adaptation du
rôle du professeur.
Ces changements demandés constamment aux enseignants
sont-ils bénéfiques et efficaces ? Par quelle voie seront-ils les
mieux acceptés ? Comment les enseignants voient-ils ces modifications
dans la préconisation (pour ne pas dire obligation) de leur travail ?
Les professeurs des écoles se sentent la cible des
politiques qui pour les plus récentes circulaires ou lois, ne les ont
pas consultés. Cela entraîne un sentiment de rejet de ces
prescriptions car n'ayant pas été associés, ils vivent mal
ces injonctions. "Or, on constate que les politiques, dans plusieurs
secteurs institutionnels, si bien pensées soient-elles, «
attérissent » mal sur le terrain des pratiques et qu'elles y
perdent beaucoup de leur sens et par là de leurs effets
recherchés." (Lessard 2008. DOI : 10.3917/cdle.025.0155.
p.3).
Selon Lessard (ibid. p. 14) il existe un sentiment de
"dépossession du métier". Pour lui :
"Les politiques dont les effets apparaissent au total
négatifs ne sont pas le fait des enseignants en exercice. Ils sont le
fruit des instances politiques en rupture avec une vision providentialiste de
l'État, proches des intérêts économiques dominants
qu'elles servent et d'acteurs externes à l'école voulant
accroître leur pouvoir sur l'école".
Il rajoute que "Le récit des réformes,
celui de leur mise en oeuvre et de leurs résultats, est souvent celui
d'espoirs déçus, voire de désillusions profondes, à
tel point qu'un sentiment de scepticisme, voire de cynisme est fort
répandu dans les milieux institutionnels ayant subi des réformes
ou des cascades de réformes. (op. cit. p. 4).
Dès lors, l'Etat doit se montrer prudent. Quelle
légitimité et quel impact auront ces réformes sur les
enseignants ? Se sentant dépossédés de leur travail,
ceux-ci pourraient se tourner vers des formes de résistances passives
alimentées par l'absence de concertation ou par une application de la
loi totalement disproportionnée. Dans l'importante recherche "Change
Over Time", de Hargreaves et Goodson (2006), il est montré
justement que "les enseignants réagissent mal à l'aspect
cumulatif et récurrent des réformes" (op. cit. p.
23).
Lessard insiste sur trois points qui dégradent les
conditions de travail des enseignants. (2009, pp 7-8) :
«L'intensification du travail enseignant»,
«L'élargissement du travail et l'obligation
faite aux enseignants d'étendre leur champ
d'activité»,
«La dépossession du métier
».
Le plus difficile pour les professeurs est d'arriver à
extraire les points de loi permettant d'adapter leur travail et de le rendre
plus efficace. De cette manière, ils s'approprient les changements et
peuvent ainsi travailler de façon plus personnalisée pour leurs
élèves. Pour Lessard (op. cit. p. 4), il existe un
« travail d'interprétation de la politique et de son contenu
par les acteurs, une confrontation entre les états de système
désirés et les contraintes objectives ».
Cependant, « Que savons-nous de l'implantation des
politiques, de son déroulement, des facteurs de réussite comme de
ses obstacles, des problèmes encourus et de leur résolution, des
logiques et des jeux d'acteurs, etc. ?" (Lessard. 2008. p. 3).
L'auteur aborde ici une base de questionnement que nous
allons reprendre dans la rédaction de ce mémoire : quelle
évaluation peut-être faite de l'aide personnalisée ? Quels
domaines pourraient être évalués ? Quels avis enseignants
seraient pertinents à analyser ?
"Mais qu'advient-il de ces politiques et de ces
réformes ? Comment sont-elles reçues par le personnel scolaire,
et au premier chef, par les enseignants ? » (op. cit. p.
2).
En ce qui nous concerne, il n'y a pas d'évaluation
formelle (à notre connaissance) de cette circulaire instaurant l'aide
personnalisée, les enseignants peuvent se demander à juste titre
si elle porte ses fruits, si leur travail pour tendre vers ce qui est
demandé officiellement (les élèves « qui
rencontrent des difficultés d'apprentissage » (cf. BO), est
bien adapté au public réellement pris en charge.
La disparition programmée des RASED, le fait de
maintenir un élève dans un cycle, la fréquence et la
quantité d'heures disponibles pour chaque élève
permettent-ils de remplir ce rôle de départ attribué
à l'aide personnalisée ? Les différentes entrées
dans les apprentissages peuvent-elles contribuer à une réussite ?
Le nombre parfois trop important d'élèves qui devrait
bénéficier de ce dispositif, le rend t-il
déjà « dépassé » ? Le fait de n'avoir que
peu de temps de préparation est-il préjudiciable et en quoi ?
Les enseignants se retrouvent démunis face à ce
dispositif, ce qui peut les conduire à l'adapter de façon parfois
antinomique à ce qui était préconisé au
départ. Il y a une perte de sens de l'objectif initial et une
réappropriation par l'enseignant ou l'équipe pédagogique
entière vers les objectifs qu'ils se fixeraient et non vers les
objectifs voulus par le ministère. Dès lors, quel est
l'intérêt ? Les élèves sont-ils aidés ? Ou
sont-ils des « victimes du système » ?
Lessard (op. cit. p. 23) s'appuie sur des travaux
existants pour décrire des mouvements possibles d'opinion et d'action
des enseignants dans les mesures décidées par le
législateur : « Il y a donc, constatent des historiens
chevronnés (Tyack et Cuban (1994)), des cycles, des vagues, des
montées en puissance du changement, puis des périodes de remise
en question, de ressac, de désintérêt et d'abandon des
idées et des pratiques nouvelles ».
Autant de questions qui seront soulevées lors des
entretiens avec les enseignants dans leur vécu d'agissant et dans la
mise en place adaptée (ou non) de ce dispositif.
La transition entre nos deux auteurs pourrait être
illustrée par cette citation de Lessard (op. cit. p. 10) :
"Il ne suffit pas de changer les enseignants un à un, ou
l'enseignement des matières une à la fois ; ce sont les
établissements en tant qu'unités structurelles qu'il faut faire
évoluer, et cela exige un travail d'encadrement du palier
intermédiaire, et donc sa propre transformation".