CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE
I) Visions enseignantes sur une nouvelle circulaire
Mots clés : évolution, mise en oeuvre,
méthodes, lois, débats, apprentissages
L'évolution des lois dans le domaine de l'enseignement
du premier degré dans notre pays date de plusieurs décennies
(grandes réformes : Lois Haby (1975), Savary (1984), Jospin
(1989), Fillon (2005)), et donne des indicateurs quant à la
tendance politique et éducative du moment. Ces lois sont
proposées le plus souvent après un travail en commissions.
Celles-ci sont demandées par la personne référente du
ministère en réunissant des intervenants compétents. Par
exemple, en ce qui concerne la "Loi Fillon", le socle commun de
référence a été proposé par le haut conseil
de l'Éducation (membres définis pas l'Article L.
230-1).
Ces réformes sont préparées et
votées pour tenter de faciliter l'apprentissage des élèves
souvent sans concertation préalable avec les professeurs. Cela peut donc
représenter un problème car ils sont les acteurs de terrain qui
interviennent auprès des élèves. Le corps enseignant se
retrouve devant une série de mesures législatives, servant de
justification à des tentatives d'amélioration de la
qualité des acquisitions des connaissances des élèves
(Schizzerotto & Barone, 2006).
Dernièrement, la circulaire relative à
l'organisation du temps d'enseignement scolaire et de l'aide
personnalisée dans le premier degré a été
votée3. Cette aide personnalisée est conçue
pour apporter aux élèves les plus en difficulté un soutien
ponctuel ou à plus long terme sur des notions ou des contenus qu'ils
n'ont pas entièrement acquis en classe.
En concernant les trois cycles d'apprentissages4
sa portée est grande et concerne tous les instituteurs. Sa
nouveauté réside dans le fait qu'elle s'applique à tous
les établissements publics et non pas seulement aux
établissements de ZEP5, la "discrimination positive" n'est
donc plus d'actualité.
Les enseignants vont devoir s'approprier cette circulaire pour
l'adapter au contexte de leur établissement. Le problème est
qu'ils n'ont pas été formés pour cela. Des objectifs
à mettre en
3 Circulaire N°2008-082 du 5 Juin 2008, parution
dans le BO n°25 du 19 Juin 2008
4 Cycle 1 : Petite, Moyenne et Grande section de
maternelle.
Cycle 2 : Grande section de maternelle, CP, CE1 (la grande
section est à cheval sur les deux cycles). Cycle 3 : CE2, CM1, CM2
5 Zone d'Education Prioritaire
oeuvre vont être définis, ceux-ci correspondant
à une interprétation de la circulaire qui sera amenée
à résoudre des problèmes locaux propres à chaque
établissement ou à chaque classe. Les équipes
pédagogiques devront donc s'entendre sur les méthodes à
utiliser. En effet, l'enseignant de l'élève participant au
dispositif ne sera pas obligatoirement le même que celui qui va l'aider
individuellement. Ce choix appartient naturellement à chaque
école et nous verrons comment celles-ci s'approprient la circulaire
(varier la taille des groupes, les jours de la semaine, les moments dans la
journée, les professeurs...).
Ce dispositif nouveau suscite plusieurs interrogations quant
aux pratiques enseignantes : les professeurs le sont-ils toujours ou bien
deviennent-ils des enseignants "particuliers" ? Comment appliquer cette
circulaire récente sur laquelle peu d'études se sont
penchées ? Ce conflit serait-il générateur
d'apprentissages ou bien plutôt un frein à ceux de
l'élève ? Comment arriver à construire de nouvelles
entrées pédagogiques pour les enfants ? Comment gérer les
deux heures en moins pour le "groupe classe" ?
L'étude que nous allons mener va nous permettre
d'appréhender au mieux les discours sur le métier d'enseignant
grâce au témoignage des professeurs d'une école
entière. Elle va s'attacher à mettre en exergue les conditions
d'application de l'aide personnalisée chez chacun d'entre eux.
Nous tenterons de répondre, après avoir
analysé l'organisation de l'aide personnalisée chez des
enseignants et leur adhésion au BO à la question suivante : "en
quoi cette réforme peutêtre utile aux élèves
?"
I.1) Revue des lois fondatrices du système scolaire
actuel.
Cette revue des lois depuis plusieurs années, montre
que le paysage du monde de l'enseignement a connu (et connaît encore) de
nombreuses modifications. L'évolution des lois, est donc une des
caractéristiques importantes dans le domaine de l'éducation,
chaque gouvernement étant confronté à des problèmes
récurrents ou naissant. Une obligation de résultats étant
attendue de la part des parents, mais aussi des élèves
("être un bon élève"), la Loi dite
"Jospin"6détermine pour la première fois un chiffrage
de réussite. Le système éducatif doit amener 80 % d'une
classe d'âge au niveau du baccalauréat. C'est dans cette optique
que la
6 Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 parue au JORF
du 14 juillet 1989 page 8860
circulaire sur l'aide personnalisée trouve sa place :
aider les élèves en difficulté, et ce, par une autre
entrée didactique que celle utilisée en classe.
L'élève au "centre du système scolaire"
va ainsi bénéficier dans sa scolarité de plusieurs
changements pédagogiques que les professeurs devront appliquer.
Cependant, il est bon de se demander selon quel point de vue est située
cette transition. Au niveau des élèves ? Ou au niveau des
enseignants ? Ceux-là doivent remettre en question leur style
d'enseignement pour l'adapter à leur classe mais aussi à la loi.
Nous allons voir qu'avec une multiplication des lois, il devient difficile de
trouver une méthode efficace et généralisable.
I.1) 1. L'élève au coeur du
dispositif.
Jules Ferry, de par les premières lois concernant le
système scolaire va engager un changement dans les mentalités des
français. "L'école", en devenant obligatoire (1882)7,
est perçue comme une possibilité pour tous les
élèves de recevoir le même enseignement. Le principe de
gratuité s'appliquant également aux matériels scolaires,
renforce le fait que l'Etat a décidé de former les
générations futures. Toutes les classes socioprofessionnelles
peuvent y avoir accès (1881)8.
Voyant que des apprentissages plus longs et complets seraient
plus profitables, Jules Ferry instaure l'instruction obligatoire (et non
l'enseignement obligatoire), ce qui veut dire que les parents qui le souhaitent
peuvent faire la classe à leurs enfants ou engager un enseignant
privé. Nous pouvons déjà extrapoler en parlant de certains
élèves mieux encadrés. L'âge de sortie du
système scolaire passe de 13 à 16 ans (18829). La loi
"Haby" confirme cet âge minimum pour quitter le système scolaire
(197510).
Cette Loi "Habby" va introduire la notion
d'élèves en difficulté (Article 7). C'est la
première fois que certains élèves sont ciblés et
qu'ils vont être considérés comme en difficulté. La
nécessité d'un repérage le plus précoce possible de
ces enfants est ainsi introduite. Le problème étant qu'il n'y a
aucune obligation de création d'école maternelle dans les
communes (Article 3) ce qui aurait permis un meilleur repérage.
Déjà, des écarts peuvent apparaître
entre les élèves bénéficiant des maternelles et
ceux qui n'y ont "pas droit". En effet, comme le préconise la "Loi
Jospin", malheureusement postérieure,
7 loi du 28 mars 1882 parue au JO 29-03-1882 p.
1697-1699
8 Loi du 16 juin 1881 parue au Journal Officiel du 17
Juin 1881
9 Loi n° 11 696 du 28 Mars 1882 parue au JO le 29
Mars 1882
10 Article 1, Loi n°75-620 du 11 juillet 1975, parue au
JORF du 12 juillet 1975 page 7180
un accueil en maternelle à partir de 3 ans (et de 2
ans pour les élèves des ZEP) permet aux élèves
d'avoir de meilleurs résultats scolaires par la suite. Cet article 3
détaille les objectifs pédagogiques, et les compétences
attendues d'un élève en fin d'école primaire. Ici
l'élève est au coeur du système éducatif, les
mesures lui sont dédiées.
La Loi dite Jospin11 structure les bases du
système éducatif actuel avec l'organisation des
compétences en trois cycles. Les 36 semaines de cours sont
instaurées, il est tenu ici compte des rythmes chronobiologiques de
l'enfant. La répartition des programmes est plus adaptée aux
profils des élèves qui peuvent apprendre "à leur rythme"
dans leur cycle d'enseignement. L'épée de Damoclès de la
peur d'un redoublement annuel n'était pas productive et stressait les
élèves. Ceci est donc révolu.
Ces cycles concernent les enseignants de 3 niveaux de classe,
ils peuvent ainsi échanger les informations sur l'évolution des
compétences acquises ou non par les élèves. Des programmes
d'aide de toute sorte vont alors éclore sans véritable lien pour
la majorité des enfants. Le RASED, amené à
disparaître, est le seul dispositif plébiscité par les
enseignants, pour une aide très spécialisée et
individualisée avec des collègues formés
spécifiquement.
Des efforts sont faits dans ce sens pour les
élèves issus en particulier de quartiers prioritaires ou
sensibles. Plus l'enfant est mis en relation avec les pairs et avec un milieu
éducatif, plus il aura de facilités plus tard dans sa
scolarité. Des ateliers en petits groupes de niveau sont très
efficaces.
C'est l'époque où l'on donne plus aux
établissements en difficulté. Plus d'argent. Plus de
possibilités matérielles. Moins d'élèves dans les
classes.
Cela n'a pas forcément été la solution.
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