CHAPITRE I. LE MAINTIEN EN DETENTION DE
L'ACQUITTE
Le Règlement consacre dans son article 99 B) la
possibilité de maintenir l'acquitté en détention, à
la demande du Procureur lorsque ce dernier veut interjeter appel du jugement
d'acquittement (Section 1). Animés par le souci de
surmonter les difficultés pratiques de cette disposition, les juges ont
inventé une alternative à la détention (Section
2).
Section 1. La possibilité de principe de
maintien en détention
Analysons d'abord le fondement, le mécanisme et les effets
de la mesure (§.1) qui en pratique, ne manque pas de
poser des difficultés dont il faudra prendre la mesure
(§.2).
§.1. Fondement, procédure et effets de la
mesure
Examinons ces trois aspects en commençant en premier lieu
par le fondement de la mesure de maintien en détention
(A), ensuite sa procédure (B) et enfin
ses effets (C).
A. Le fondement de la mesure
Le fondement de la mesure de maintien en détention
après acquittement en première instance n'est par clairement
défini par les textes; mais généralement une telle mesure
est ordonnée autour du triptyque suivant : les garanties de
représentation de l'accusé en justice, (1) de
préservation de preuves (2) et de
sécurité (3)7.
1. La nécessité de représentation de
l'acquitté en appel
Dans la première affaire où cette question s'est
posée, une mise en liberté de l'accusé était
envisagée entre l'acquittement et la considération de l'appel
interjeté par le Procureur. Ce dernier a fait valoir que la
libération de l'acquitté permettrait à ce dernier de
prendre la fuite au cours de la procédure en appel8 .
7 P. CHAMBON, Le juge d'instruction,
théorie et pratique de la procédure, 4è
éd., Paris, Dalloz, 1997, p. 250.
8 Le Procureur c. Ignace BAGILISHEMA,
Affaire no ICTR-95-1A-T, Chambre de première instance I,
Décision sur la requête du Procureur sur le fondement de l'article
99 B), 8 juin 2001, par. 2 qui reproduit les termes de la requête orale
du Procureur sur le fondement de l'art. 99 B). Voy. aussi Le Procureur c.
Sefer HALILOVIC, Affaire no IT-01-48-I, Chambre de
première instance I, Décision relative à la demande de
mise en liberté provisoire, 1er sept. 2005, par. 13.
On serait tenté de penser que le contexte particulier
dans lequel opère le TPIR, c'està-dire sans force
policière autonome ni territoire sur lequel il exerce son
contrôle9, à la différence des juridictions
nationales qui peuvent s'appuyer sur la puissance étatique, justifie le
risque inhérent de fuite et légitimer par conséquent les
demandes de maintien en détention. En outre, les Etats dans le
territoire desquels se trouvent les accusés n'ont pas toujours fait
montre d'une volonté de coopération totale, laquelle est
indispensable pour assurer la représentation en justice des
accusés se trouvant dans leur territoire10.
Toutefois, une telle crainte, fondée
généralement sur une simple supposition, a été
jugée insuffisante par la jurisprudence du TPIR pour justifier le
maintien en détention. Suite à l'acquittement de Ignace
BAGILISHEMA, la Chambre de première instance I a décidé de
rejeter la requête du Procureur visant à son maintien en
détention en attendant qu'il soit statué sur l'appel, au motif
que l'accusé avait déjà montré sa
coopération au cours des procédures initiales11.
Partant de là, il appartient à l'accusation qui demande
l'application de la mesure, de démontrer par des moyens convaincants le
risque réel de fuite alléguée. Le risque devrait
être étayé par des éléments tirés des
faits de la cause et de la personnalité de l'acquitté.
2. La nécessité de préserver les
preuves
Le deuxième motif pouvant justifier le maintien en
détention réside dans le risque de voir l'acquitté remis
en liberté faire disparaître les preuves en intimidant les
témoins et les victimes12 ou même entrer en contact
avec d'autres personnes pour entraver la procédure d'appel. Le risque de
disparition de preuves vise tant les éléments matériels de
nature à contribuer à la manifestation de la vérité
que les déclarations des témoins (risque de
subornation)13.
La Chambre de première instance du TPIR a cependant
estimé que l'argument tiré du risque de disparition de preuves
par intimidation des témoins et des victimes n'était pas
fondé, car il est rare que les témoins soient entendus dans la
procédure d'appel qui est
9 A. M. LA ROSA, « Défi de taille pour
les Tribunaux pénaux internationaux Ó conciliation des exigences
du Droit international humanitaire et d'une procédure équitable
», in Revue internationale de la Croix Rouge, no 828,
Genève, 1997, pp. 693-707, p. 699.
10 G. GASORE, La coopération des Etats avec
le TPIR, mémoire de Licence, Huye, U.N.R., Faculté de Droit
2006, p. 2, non publié.
11 Le Procureur c. Ignace BAGILISHEMA,
supra note 8, par. 11.
12 Id., par. 2 qui reproduit les moyens du
Procureur appuyant sa requête.
13 H. D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Droit de
procédure pénale, 2e éd., Brugge, La
Charte, 2001, p. 619.
généralement une procédure sur
pièces. Si la situation se présentait, le Procureur pourrait
solliciter de la Chambre d'appel des mesures supplémentaires de
protection des témoins14.
S'agissant de la nécessité d'éviter le
risque pour l'acquitté de se rallier avec des tiers afin de faire
obstacle à la procédure d'appel, il semble que ce risque n'est
que très relativement évité par le maintien en
détention, en raison des possibilités offertes aux détenus
du TPIR de communiquer avec l'extérieur, en application du droit
à communiquer avec le monde extérieur garanti dans les
instruments internationaux15. Le détenu a droit aux
visites16 et peut communiquer avec sa famille et toute personne de
son choix par téléphone ou par lettre, sous réserves des
mesures d'inspection et de surveillance que peut lui imposer l'administration
du quartier pénitentiaire17. Si ces restrictions ne sont pas
bien assurées, les visiteurs pourraient coopérer pour entraver le
cours de la justice18.
3. La nécessité de
sécurité
Cette raison n'a pas été concrètement
développée par la jurisprudence des deux tribunaux pénaux
internationaux ad hoc (TPIR et TPIY) dans les procédures
d'appel. Il apparaît que la sécurité des témoins et
des victimes n'est pas leur première préoccupation à ce
stade de procédure.
Toutefois, la sécurité des témoins et des
victimes est intimement liée au deuxième motif puisque s'il est
admis que les témoins et les victimes peuvent être
intimidés par l'accusé une fois remis en liberté, il
s'entend que de tels agissements constituent également une menace
à leur sécurité. Le besoin de sécurité est
implicitement invoqué par le Procureur lorsqu'il soulève la
question de la protection des preuves. De surcroît, on a toujours
reproché à l'accusation de demander de maintenir l'accusé
en détention pour donner aussi
14 Le Procureur c. Ignace BAGILISHEMA,
supra note 8, par. 9.
15 Voir à titre d'exemple par. 37 des
Règles minima pour le traitement des détenus adoptées par
le premier Congrès des Nations unies pour la prévention du crime
et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et
approuvées par le Conseil économique et social dans ses
résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai
1977. Voy. également les Règles pénitentiaires
européennes de 1973 telles que révisées jusqu'à ce
jour, règle 24. 1.
16 Voir art. 61 du R.D.P.J.A. adopté le 9
jan. 1996 libellé comme suit Ó « Tout détenu a le
droit de recevoir à intervalles réguliers la visite de membres de
sa famille et de ses amis, sous réserve de l'article 64 ainsi que des
restrictions et des mesures de surveillance que peut imposer le Commandant en
consultation avec le Greffier.».
17 Voir art. 58 du R.D.P.J.A. ainsi libellé
Ó « Sous réserve de l'Article 64, tout détenu a le
droit, sous la surveillance et dans les limites de temps que le Commandant juge
nécessaires, de communiquer avec sa famille et toute autre personne avec
qui il est de son intérêt légitime de correspondre par
lettre et par téléphone, à ses propres frais. Dans le cas
des détenus indigents, le Greffier peut accepter que les dépenses
correspondantes soient prises en charge par le Tribunal, dans des limites
raisonnables. ».
18 M. BEN-BELLA, The Defense right to
communication of the accused versus the need protection for witnesses at the
ICTR, mémoire de Licence, Huye, N.U.R., Faculty of Law, 2006, p.
11, non publié.
satisfaction à la conscience publique émue,
troublée, ébranlée par le crime,19une situation
probable pour les cas de crimes graves reprochés aux personnes
poursuivies par les deux tribunaux pénaux internationaux ad
hoc. Ainsi, la sécurité est aussi envisagée au
bénéfice de la personne détenue notamment s'il y a des
risques de représailles.
|