B. La reparation fondée sur d'autres instruments
des droits de l'homm
Dans les affaires précédemment citées, le
TPIR a traité également de cas de violation des droits de
l'homme, non pas sur la base des textes du Tribunal mais plutôt par
référence à d'autres instruments internationaux ou
régionaux. Ainsi, dans une affaire récente (RWAMAKUBA), vu que
l'article 5 du Règlement ne pouvait pas s'appliquer176, le
173 Comme il est le cas d'André RWAMAKUBA à qui la
Chambre de première instance a accordé après son
acquittement, l'indemnisation pour violation de son droit à un conseil
défense survenue au début du procès.
174 J. B. BARAYAGWIZA c. Le Procureur, supra
note 168, par. 75 : « Par ces motifs, LA CHAMBRE D'APPEL révise son
Arrêt du 3 novembre 1999 et remplace son dispositif par le suivant :
1. FAIT DROIT à l'Appel pour ce qui est de la violation
des droits de l'Appelant dans la mesure ci-dessus précisée;
2. REJETTE la demande de mis en liberté de l'Appelant;
3. DECIDE que pour la violation de ses droits l'Appelant a un
droit à réparation qui sera fixé au moment du jugement en
première instance, de la manière suivante :
a. Si l'Appelant est jugé non-coupable, une
réparation financière lui sera due ;
b. Si l'Appelant est jugé coupable, sa sentence sera
réduite pour tenir compte de la violation de
ses droits.» ; Voy. également Le Procureur c.
SEMANZA, supra note 169, par.129 : « (...) DECIDE que pour
la violation de ses droits, l'Appelant a droit à une réparation
qui sera donnée au moment du jugement de première instance de la
manière suivante :
a) S'il est trouvé non-coupable, l'Appelant a droit
à une réparation financière ;
b) S'il est trouvé coupable, la sentence de l'Appelant
sera réduite pour tenir compte de la violation de ses droits en
application de l'article 23 du Statut. ».
175 Dans l'affaire de BARAYAGWIZA, la Chambre a
décidé une réparation de la réduction de la peine
d'emprisonnement à perpétuité en une peine
d'emprisonnement de 35 ans (Cfr. The Prosectorat v. J. B. BARAYAGWIZA,
Case no ICTR-98-19-AR72, Trial chamber I, Judgment and sentence, 3
dec. 2003, par. 1107); Quant à SEMANZA, sa peine de 35 a
été réduite de six mois pour réparation de ses
droits violés (Cfr. L. SEMANZA v. The Prosecutor, Case
no ICTR-97-10-A, Appeal chamber, Judgment, 20 may 2005, par. 399);
Pour KAJELIJELI, la sanction de deux peines d'emprisonnement à
perpétuité et d'emprisonnement de 15 ans ordonnées par la
Chambre de première instance ont été réduites par
la Chambre d'appel en une seule peine d'emprisonnement de 45 ans pour tenir
compte de la réparation lui accordée (Cfr. J. KAJELIJELI c.
The Prosecutor, supra note 170, par. 325).
176 Le Procureur c. André RWAMAKUBA, supra
note 140, par. 39 : « Ayant jugé que l'article 5 ne
s'appliquait pas aux faits de la cause, faute de preuves d'établissement
qu'André RWAMAKUBA a subi un préjudice matériel, la
Chambre doit maintenant déterminer si la violation du droit à
l'assistance d'un défenseur peut être réparé sur la
base de tout autre droit. ». Voy. également André
RWAMAKUBA c. The Prosecutor, Case no ICTR-98-44C-A, Appeal chamber,
Decision on Appeal against Decision on appropriate remedy, 13 sept. 2007, par.
25.
Tribunal s'est appuyé sur d'autres normes relevant du
droit international coutumier qui ne font aucun doute sur les droits en
cause177.
De même, s'appuyant sur les mêmes instruments
internationaux relatifs aux droits de l'homme, les chambres du Tribunal ont
reconnu à plusieurs occasions le droit des accusés à un
recours utile dans d'autres cas. Dans l'affaire KAJELIJELI, la Chambre d'appel
a invoqué diverses sources du droit applicable par le Tribunal notamment
le droit international tel que consacré dans le P.I.D.C.P. et a
rappelé les traités régionaux relatifs aux droits de
l'homme qui sont révélateurs de la coutume internationale et qui
donnent des indications utiles sur les violations des droits à
être informé des accusations et à une assistance et la
détention arbitraire178.
La Chambre d'appel a aussi affirmé qu'en vertu des
textes internationaux le droit d'être informé des accusations,
d'être mis en accusation et de comparaître sans délai
après son transfert au tribunal dans l'affaire BARAYAGWIZA179
et le droit de contester la légalité de la détention dans
l'affaire SEMANZA ont été violés, et par conséquent
a ordonné des réparations appropriées180.
Dans tous les cas, comme le droit à une
réparation n'est prévu nulle part dans les textes du Tribunal,
les chambres devraient déterminer en particulier la source de ce pouvoir
d'ordonner la réparation. A ce propos, la jurisprudence du TPIR
s'inspirant d'autres jurisprudences, explique d'abord que ce pouvoir d'accorder
une juste réparation découle de l'effet combiné des
pouvoirs propres du Tribunal en tant qu'organe judiciaire181 et de
l'obligation qu'il a en tant qu'organe subsidiaire des Nations unies et sujet
du droit international, de respecter les normes internationales
généralement admises en matière de droits de
l'homme182.
177 Le Procureur c. André RWAMAKUBA, supra
note 140, par. 40. Dans ce paragraphe, la Chambre s'est notamment
référée aux dispositions de la D.U.D.H., du P.I.D.C.P., de
la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, etc.
178 J. KAJELIJELI v. The Prosecutor, supra note 170,
pars. 251, 255 et 322.
179 j B. BARAYAGWIZA c. Le Procureur, supra note 168,
pars. 74-75.
180 Le Procureur c. SEMANZA, supra note 169,
pars. 78, 87, 112-113, 125-128.
181 La Chambre de première instance dans l'affaire
RWAMAKUBA évoque la doctrine des pouvoirs propres sous l'inspiration des
décisions de la Cour internationale de justice et du TPIY.
D'après cette doctrine des pouvoirs propres, toute juridiction est
implicitement investie de l'ensemble des pouvoirs nécessaires à
l'accomplissement de sa mission. Cfr. Le Procureur c. André
RWAMAKUBA, supra note 140, par. 46.
182 Cfr. Le Procureur c. André RWAMAKUBA,
supra note 140, par. 48. Sous l'inspiration des avis
consultatifs de la Cour internationale de justice qui affirment que les
Nations unies en tant que sujet de droit international sont tenues de
respecter et de faire respecter les normes généralement admises
en matière de droit de l'homme,
La même jurisprudence poursuit en soutenant que ce
pouvoir dérive également des dispositions de l'article 19 1) du
Statut du TPIR qui oblige le Tribunal d'assurer toutes les garanties
nécessaires d'un procès équitable et le respect des droits
de l'accusé. L'existence des garanties d'un procès
équitable suppose nécessairement leur mise en oeuvre qui doit
envisager la possibilité d'obtenir une juste réparation en cas de
violations desdits droits183.
La question de l'évaluation d'une juste
réparation est abordée différemment, au cas par cas, en
tenant compte des circonstances de l'espèce184 et de la
nature du droit qui aurait été violé185. La
détermination de la forme de réparation à ordonner restant
ainsi toujours guidée par le principe de satisfaction du
requérant. C'est ainsi que les chambres n'ont pas accordé les
mêmes réparations dans toutes les affaires. Dans certains cas,
elles ont décidé la réparation par réduction de la
peine pour les condamnés et dans un autre cas l'indemnisation
financière pour l'acquitté186.
Cependant, si la réparation par réduction de
peine est praticable sans difficulté, cela n'a pas été le
cas pour l'indemnisation financière. Il a été soutenu
à maintes reprises par les organes administratifs du TPIR et du TPIY
qu'il n'existe aucune base légale habilitant ces juridictions à
traiter toute question d'indemnisation pour violation des droits de la personne
poursuivie résultant des actes ou faits imputables à ces deux
tribunaux et par voie de conséquence aux Nations unies187,
faute de disposition y relative dans leurs textes fondamentaux.
et tout en invoquant les différentes normes de droit
international qui consacrent l'obligation de l'ONU de respecter les droits de
l'homme et des libertés fondamentales pour tous, la Chambre soutient que
le TPIR, en tant que organe subsidiaire du Conseil de sécurité,
est , par voix de conséquence, également tenu de respecter les
normes généralement admises en matière de droit de
l'homme.
183 Voy. André RWAMAKUBA v. The Prosecutor, supra
note 176, par. 26.
184 Dans l'affaire SEMANZA, la Chambre est d'avis que le
préjudice substantiel visé à l'article 5 du
Règlement doit s'apprécier, comme tout autre préjudice,
à la lumière des circonstances de l'espèce. Cfr. L.
SEMANZA c Le Procureur, supra note 169, par. 123.
185 Dans l'affaire RWAMAKUBA, la Chambre soutient que
la réparation efficace doit s'apprécier au cas par cas, en tenant
compte des faits de la cause et du droit violé. Cfr. Le Procureur c.
André RWAMAKUBA, supra note 140, par. 68.
186 Voir supra notes 173-175.
187 Letter dated 19 September 2000 from the President of the
ICTY addressed to the Secretary-General of the United nations organization
(ci-après Letter dated 19 September 2000 from the President of The
ICTY); Letter dated 26 September 2000 from the President of the ICTR addressed
to the Secretary-General of the United nations organization (ci-après
Letter dated 26 September 2000 from the President of The ICTR); Letter dated 11
mars 2004 of President of the ICTY to Mr Zejnil DALALIC in response to
Mr DELALIC's request for indemnity dated 3 march 2004; Letter dated 20 oct.
2005 of President of the ICTR, Judge Eric MOSE, to Maitre Francois ROUX, Legal
counsel for Ignace BAGILISHEMA, in response to the "Requête en
indemnité devant les Nations unies", filed on 28 jan. 2005; The
Prosecutor v. André RWAMAKUBA, Case no 98-44C-T, Trial
chamber III, Registrar's submission regarding André Rwamakuba's
request for an appropriate remedy, 2 nov. 2006, pars, 22-24; The Prosecutor
v. André RWAMAKUBA, Case no 98-44C-T, Trial chamber III,
Registrar's additional submission in regard to the Defense application for
remedy, 24 nov. 2006, pars. 4-6 ;
Toutefois, cette position a été
réfutée par les Chambres du TPIR qui estiment que les tribunaux
concernés sont habilités à accorder l'indemnisation en
vertu de leurs pouvoirs propres, pour donner effet au droit à une juste
réparation188. Selon la même jurisprudence, les
questions relatives aux mécanismes d'exécution d'une ordonnance
portant indemnisation, comme les questions budgétaires ou la
détermination de l'organe habilité à recevoir les demandes
d'indemnisation, relèvent de considérations extrajudiciaires qui
ne sauraient empêcher l'octroi d'une indemnisation par les tribunaux en
tant qu'organes judiciaires, quand elle apparaît comme la seule juste
réparation d'une violation des droit de l'homme189.
A l'instar de l'article 5 du Règlement, bien que la
réparation pour violations des droits survenues en cours du
procès se fonde sur d'autres instruments des droits de l'homme et semble
ne pas directement concerner l'acquitté, elle n'est pas non plus sans
intérêt. Elle peut lui bénéficier en tant qu'ancien
accusé acquitté qui peut s'en prévaloir même
après le jugement d'acquittement ; ce qui est le cas de l'indemnisation
accordée à RWAMAKUBA190. Il reste à voir si
l'indemnisation sera mise en oeuvre.
En définitive, la jurisprudence des réparations
pour l'acquitté établie par le TPIR est critiquée
d'être loin de couvrir tous les torts de la personne acquittée car
elle n'a jamais permis la réparation fondée uniquement sur le
simple acquittement en raison du préjudice subi résultant de la
détention. La jurisprudence souligne qu'il existe, ni dans les textes du
TPIR ni dans d'autres instruments de droit international applicable par le
Tribunal, aucune base qui permet de telles réparations191. La
situation est évidemment fort décourageante pour les
acquittés et on ne peut qu'espérer l'émergence d'un
véritable régime d'indemnisation en leur faveur.
The Prosecutor v. André RWAMAKUBA, Case
no 98-44C-T, Trial chamber III, Registrar's additional submission in
regard to the Defense application for remedy, 7 dec. 2006, pars. 4-11.
188 Le Procureur c. André RWAMAKUBA,
supra note 140, par. 59; André RWAMAKUBA c. The Prosecutor,
supra note 176, par. 26.
189 Id., par. 60; par. 30.
190 Id., par. 39; par. 31.
191 Id., pars.21-31; pars. 10-15.
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