CHAPITRE III. LE DROIT A REPARATION POUR
L'ACQUITTÉ
Dans les poursuites pénales, il est souvent
reproché à la justice de recourir aux moyens
coercitifs155 nécessaires à l'instruction mais qui,
tel qu'argué par les personnes poursuivies, ne manquent pas de leur
porter préjudice pour lesquels une juste réparation est
accordée dans certains systèmes juridiques, surtout lorsque leur
innocence est prouvée par une décision d'acquittement. Cependant,
la réparation du préjudice des personnes acquittées devant
le TPIR reste problématique (Section 1), d'où la
nécessité d'un véritable régime de
réparation (Section 2).
Section 1. La problématique de réparation
pour l'acquitté devant le
TPIR
Le droit à la réparation de la personne
acquittée est presque inexistant dans les textes du TPIR
(§.1) mais la pratique semble lui reconnaître une
place limitée (§.2).
§.1. Un régime juridique qui fait abstraction
du droit à réparation
pour l'acquitté
L'analyse des textes du TPIR fait relever deux situations :
d'une part l'absence de l'action en réparation pour acquittement
(A) et d'autre part la possibilité de se
prévaloir l'application de l'article 5 du Règlement
(B).
A. L'absence de l'action en réparation apr~s
acquittement
Devant les juridictions répressives internationales, la
notion de réparation pour acquittement, s'est depuis longtemps
avérée inexistante, car les accusés étaient
toujours poursuivis par la justice avec priorité donnée à
l'établissement de leur culpabilité et par conséquent
à leur condamnation, sans toutefois se soucier du droit à
réparation pour l'accusé poursuivi sans succès.
C'est ainsi que pas plus qu'au Tribunal militaire
international de Nuremberg, au Tribunal militaire international de Tokyo qu'au
Tribunal spécial pour la Sierra Leone156, les
rédacteurs des textes du TPIR et du TPIY créé un an avant
par le Conseil de sécurité des Nations unies dans les mêmes
conditions, n'ont pas autorisé ces tribunaux à statuer sur
l'action en réparation de la personnes acquittée. Ni les Statuts
ni les Règlements de ces juridictions ne prévoient
l'indemnisation suite à un acquittement. Cela est d'ailleurs
affirmé par la jurisprudence bien que celle-ci se réfère
à d'autres instruments157.
L'absence de place du système permettant aux
acquittés d'être indemnisés dans les procédures des
juridictions pénales internationales semble résulter de deux
considérations. D'une part, les rédacteurs des textes de ces
tribunaux semblent s'inspirer de la philosophie procédurale
anglo-saxonne (Common law) qui pense que l'action pénale
portée devant un tribunal répressif a pour objectif primordial de
réprimer un acte attentatoire à l'ordre public et constitutif de
crime158 et doit donc écarter les questions de
réparation civile du procès pénal.
D'autre part, une certaine corrélation avec
l'indemnisation des victimes serait également à l'origine de
l'exclusion de réparation des personnes poursuivies. Les groupes des
victimes qui ont été privées du droit à
l'indemnisation devant le Tribunal auraient du mal à comprendre une
telle considération pour les personnes poursuivies159.
Selon C. JORDA, l'exclusion du traitement des dommages civils
devant les deux tribunaux pénaux internationaux ad hoc est
encore plus claire. Elle a fait l'objet de discussions entre les juges du TPIY
lors de l'établissement du premier règlement. La majorité
des juges estimaient que les discussions d'indemnisation risquaient de les
distraire de leur mission fondamentale qui leur avait été
confiée à savoir parvenir à arrêter et juger les
auteurs des crimes contre l'humanité160. Rappelons ici que le
Règlement du TPIR a été élaboré
d'après le modèle de celui du TPIY161.
156 Car les textes de ces tribunaux ne contiennent aucune
disposition relative à l'indemnisation en question.
157 Le Procureur c. André RWAMAKUBA,
supra note 140, par. 21.
158 A. MUBIHAME, La question d'indemnisation des victimes du
génocide devant le TPIR, mémoire de Licence, Huye, U.N.R.,
Faculté de Droit, 2006, p. 7, non publié.
159 The Prosecutor v. André RWAMAKUBA,
supra note 145, par. 16.
160 C. JORDA, cité par J. F. DUPAQUIER (dir.), La
justice internationale face au drame rwandais, Paris, Editions
KARTHALA,1996, p. 107.
161 Soulignons que c'est l'art. 14 du Statut du TPIR qui
renvoie à une telle élaboration. L'article se lit comme suit :
« Les juges du Tribunal international pour le Rwanda adopteront, aux fins
de la procédure du Tribunal international pour le Rwanda, le
règlement du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
régissant la mise en accusation, les procès en première
instance et les recours, la recevabilité des preuves, la protection
des
36 B. La portée de l'article 5 du
Règlement
L'article 5 du Règlement prévoit que :
« Toute exception d'une partie à l'égard
d'un acte d'une autre partie, fondée sur une violation du
Règlement ou des règlements internes, doit être
soulevée dès que possible; la Chambre de première instance
accorde réparation si la preuve de la violation présumée
est rapportée et si celle-ci a effectivement fait subir un
préjudice substantiel à cette partie. ».
Mais la Chambre a relevé que la version
française diffère de la version anglaise162 en ce
qu'elle semble limiter la portée de la disposition aux atteintes au
Règlement et règlements internes imputables à une partie
au procès163. Toutefois, la question a été
résolue par l'article 7 du Règlement selon lequel le texte qui
reflète le plus fidèlement l'esprit du Statut et du
Règlement prévaut. A cet égard, la Chambre de
première instance III a considéré que l'esprit du
Règlement est d'offrir une protection contre toute violation du
Règlement et d'autres règlements internes sans toutefois se
limiter aux violations commises par les parties au procès164.
Ainsi, la violation peut être également imputable à une
autre personne ou autorité qui n'était pas partie au
procès165.
Il faut souligner que même si cette disposition ne
prévoit pas les cas de violation dans lesquels elle serait applicable ou
limitée, elle poursuit quand méme en précisant qu'une
réparation utile pourra cependant être ordonnée lorsqu'il
sera établi que la partie requérante a subi un préjudice
substantiel ici interprété par une autre Chambre de
première instance comme étant un préjudice grave et
irréparable166. Bien que cette disposition ne fasse aucune
référence à une réparation du préjudice de
la personne acquittée, rien n'empêche qu'un ancien accusé
acquitté puisse se prévaloir de son application.
victimes et des témoins et d'autres questions
appropriées, en y apportant les modifications qu'ils jugeront
nécessaires. ».
162 La version anglaise de l'art. 5 du Règlement est
ainsi libellé : « Where an objection on the ground of noncompliance
with the Rules or Regulations is raised by a party at the earliest opportunity,
the Trial Chamber shall grant relief, if it finds that the alleged
non-compliance is proved and that it has caused material prejudice to that
party. ».
163 Le Procureur c. André RWAMAKUBA, supra note
140, par. 36.
164 Ibid.
165 Voy. le cas du Greffier qui a été
condamné pour violation du droit de l'accusé à un conseil
de défense lui reconnu par le Règlement alors qu'il
n'était pas partie au procès bien que sa condamnation ne tombe
pas sous le coup de l'article 5 au seul motif de l'absence de
l'élément du préjudice matériel (Id.,
pars. 38-39, 79).
166 The Prosecutor v. Andre RWAMAKUBA, Case
no ICTR-98-44C-1, Trial chamber II, Decision on the Defense motion
concerning the illegal arrest and detention of the accused, 12 dec. 2000, par.
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