B) La position des pays non européens
A ce sujet un tour d'horizon, au delà des
frontières de l'Europe semble être intéressant :
Aux États-Unis, chaque État réglemente
individuellement le pilotage dans sa zone, sans qu'aucune pratique
concurrentielle n'interfère entre eux. Il existe plus d'une vingtaine de
lois de pilotage distinctes. Certaines zones de pilotage obligatoire se
trouvant entre deux États, le pilotage y est organisé par la loi,
de manière à offrir conjointement le service, en participant
à la rotation des pilotes de manière équitable. Certains
états ont néanmoins déjà expérimentés
un régime de pilotage concurrentiel. En Floride, par exemple, une loi a
été adoptée pour interdire la concurrence entre les
organisations de pilotes. La conclusion d'une étude commandée par
la législature de l'État de la Floride en 1986 était sans
aucune ambiguïté ( traduction) :
« Il existe un conflit d'intérêts entre
les besoins économiques d'un armateur et l'intérêt public
inhérent à une navigation sécuritaire. Les
intérêts du public sont mieux servis lorsque, en pilotant un
navire, le pilote peut exercer son jugement indépendamment des
considérations économiques qui importent à l'armateur. Si
les pilotes doivent rivaliser entre eux pour obtenir des affectations, il est
alors probable qu'un pilote fasse des compromis sur le plan de la
sécurité afin de ménager les intérêts
financiers de l'armateur, parce qu'en agissant ainsi il aura un avantage
concurrentiel sur un autre pilote ».
Les deux premiers articles du texte de loi de l'État de
Floride26 sur le pilotage stipulent que :
1. « Le pilotage est un service essentiel d'une
importance si primordiale que l'État doit s'efforcer d'en assurer
l'existence continue et qu'il ne doit pas être laissé aux
aléas des marchés concurrentiels »
2. « Étant donné que la
sécurité est l'objectif premier de la réglementation du
pilotage par l'État et compte tenu des économies d'échelle
significatives liées à la prestation de ce service, de la
nécessité d'investir des capitaux importants en vue d'offrir les
services requis, et du fait que les pilotes fournissent des services
considérés essentiels pour l'économie et le
bien-être du public, il a été déterminé
qu'une réglementation économique servira au mieux les objectifs
de la santé, de la sécurité et du bien-être publics,
et ce plutôt que la concurrence du marché».
26 Florida Ports And Harbors Code Section 310.0015 -
Pilots, Piloting, And Pilotage - Piloting regulation; general
provisions. Title XXII PORTS AND HARBORS/ Chapter 310 PILOTS,
PILOTING, AND PILOTAGE
En Alaska, en raison de l'augmentation des escales des navires
de croisière dans cette zone, et de l'essor des industries de
pêcheries, la concurrence entre les pilotes a été
introduite dans les années 1980, perturbant l'arrangement en vigueur
stipulant qu'une seule association de pilotage par district assurerait le
service. Suite au naufrage du navire de croisière Nieuw Amsterdamen en
1997, un rapport du gouvernement de l'Alaska a révélé que
« la concurrence entre les associations de pilotes a eu des
répercussions très négative sur la sécurité
du public ». Par ailleurs, les conséquences de la concurrence ont
été clairement résumées dans un rapport
intitulé « Alaska's Marine Pilotage System Revisited27
», 1994, affirmant que :
« La concurrence [...] a sérieusement
compromis la [...] capacité à maintenir des normes
professionnelles élevées » ; Ce rapport établit entre
autres que :
- « [...] il a été
rapporté que des pressions concurrentielle afin d'obtenir une part du
marché ont entraîné une accélération du
processus habituel de formation, alors que des stagiaires peu qualifiés
ont été admis dans le programme, ainsi que d'autres pratiques
douteuse » ;
- « L'intérêt public inhérent au
maintien d'un service de pilotage sécuritaire et efficace est devenu
l'otage de contestations judiciaires et de considérations politiques
liées à des groupes d'intérêt particuliers
».
En Australie, des services de pilotage en concurrence et non
obligatoire, le long de la grande barrière de corail existaient
jusqu'à ce que les naufrages successifs du porte-conteneurs Bunga
Teratai Satuen 2000, et du vraquier Doric Chariots, face aux craintes
exprimées au sujet des dommages à la grande barrière de
corail, ne viennent accélérer la construction d'une
réglementation adaptée.
Le cas argentin reste peut être le plus
révélateur puisque dix-huit accidents maritimes majeurs sont
considérés comme directement imputables à la concurrence
dans les services de pilotage après que celle-ci y est été
introduite dans le droit maritime Argentin en 1997 - contre aucun au cours des
vingt années qui avaient précédé cette
initiative28.
27 Alaska's Marine Pilotage System Revisited, 1994
produit par le Bureau de Gestion et des Budgets de l'État.
28 Source provenant de l'Association Canadienne de
pilotage
Il y a donc un véritable conflit d'intérêt
existant entre les aspirations économiques d'un armateur, courant
toujours vers le profit maximum, et ceux représentés par
l'intérêt public général au cours d'une
activité de pilotage de navire. Pour ne pas compromettre la
sécurité, le pilote doit être libre de toute assignation ou
rapport avec un armateur car il pourrait être tenté d'agir en
portant des considérations économiques à sa mission afin
de dégager certains intérêts financiers profitables avec un
armateur.
Le pilotage en Europe mais également dans le reste du
monde profite donc d'une exception très largement et légitimement
reconnue du domaine maritime, qui leur permet d'échapper aux
règles de libre prestation de service et de libre concurrence, compte
tenu de leur activité, qui requiert des marins très
expérimentés, formés par la transmission du savoir et des
connaissances des anciens, qui agissent dans l'intérêt
général et qui ne doivent donc pas se soucier de quelconque
activité à logique commerciale ou lucrative. Leurs rôles
essentiels restent, et resteront la sécurité de la navigation,
des personnes, et la préservation de l'environnement, et du domaine
public.
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