Chapitre II) Des organisations professionnelles
différentes face à des impératifs identiques
I) Un statut de monopole voué à la
sécurité
A) Le monopole du pilotage intracommunautaire
i) Le monopole du pilotage français
En France aucune entreprise privée de pilotage ne
pourrait mettre en place un service de pilotage des navires. Le pilotage est en
effet protégé par un monopole d'état, basé sur
l'article 16 de la loi du 28 mars 1928 qui punit de sanctions pénales
toutes personnes qui entreprendrait un pilotage sans en être
officiellement commissionné par l'état :
« Est punie d'une amende de 3 750 euros, et de huit
à quinze jours de prison, ou de l'une de ces deux peines seulement, et
du double en cas de récidive, toute personne qui, sans une commission
régulière de pilote de la station, aura entrepris ou tenté
d'entreprendre la conduite d'un navire en qualité de pilote
commissionné ».
La Loi punit sur le plan pénal toute personne qui
tenterait d'usurper ce caractère exclusif des
pilotes.
Par un arrêt daté du 2 juin 1972, le Conseil d'
État a statué sur cette position exclusive des pilotes : «
le service du pilotage dans les ports constitue un service public qui s'exerce
sur le domaine public de l'état ; il appartient à
l'autorité administrative d'organiser ce service en vue d'assurer la
meilleure utilisation du domaine ; qu'à cette fin elle est en droit,
lorsqu'une concurrence serait de nature à compromettre
l'efficacité de ce service, de n'en confier la gestion qu'à une
seule entreprise ».
Non seulement, l'arrêt du Conseil d' État vient
confirmer la qualification déjà exprimée
précédemment de service publique de pilotage, mais vient
également ajouter la notion de monopole légitime de la station de
pilotage française.
Toutefois, ce monopole des pilotes est restreint par la
délivrance des licences de capitaine pilote.
ii) Le monopole en Europe : application des principes
communautaires et pilotage
La profession de pilote maritime peut faire l'objet de vives
critiques car elle engendre des frais obligatoires pour les armateurs (environ
7/8 % des coûts d'escale), mais aussi par ailleurs, parce qu'elle
détient largement un statut de monopole exclusif en Europe, qui pourrait
être discuté au regard des principes de libre concurrence et de
libre prestation de service.
Pendant de nombreuses années, en Europe, en France et
même dans le monde, le pilotage maritime était une pratique
concurrentielle, dans laquelle les pilotes couraient au devant des navires
à servir. Au même titre qu'une activité commerciale de
transport maritime, le principe de libre prestation de service pourrait
s'appliquer au service de pilotage maritime au sens du Règlement CEE
n°4055/86 du Conseil du 22 décembre 1986, portant application du
principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre
États membres et, entre États membres et pays tiers. Faisant
suite au Livre vert sur les ports et les infrastructures maritimes paru en
décembre 1997, qui prévoyait la mise en place d'un nouveau cadre
communautaire pour l'accès au marché des services portuaires, et
donnant effet aux règles du Traité sur les grandes
libertés et la concurrence dans le domaine spécifique des
services portuaires, le Parlement a ouvert le débat des « Paquets
portuaires 1 et 2 ».
Le 13 février 2001, afin d'améliorer la
qualité des services dans les ports maritimes, la commission
Européenne a soumis le paquet portuaire I, première proposition
de directive visant à reformer les services portuaires. Après
deux années de tentative de conciliation, le projet de directive est
présenté lors de sa séance plénière du 20
novembre 2003, et est finalement rejeté. Au cours de cette
première lecture, le Parlement Européen avait
décidé d'exclure le service de pilotage du champ d'application de
la directive, au motif que « du fait de leur rôle dans la
sécurité du trafic maritime, ils ne pourraient être
regardés comme des services de nature commerciale devant être
soumis à la concurrence24 ».
Si le modèle initial avait été suivi, le
pilote serait devenu un employé d'une concession de pilotage en
concurrence directe avec d'autre sociétés, qui aurait sans doute
négocié ses prix avec les armateurs ; par ailleurs, dans le cadre
du contrôle par l'état du port, le pilote ayant perdu son
indépendance, et dans un but purement lucratif et commercial, serait
tenté de perdre son impartialité, et son objectivité quant
au signalement des navires défectueux.
24 Rapport d'information déposé par
la délégation de l'assemblée Nationales pour l'Union
européenne, sur la proposition de directive du Parlement européen
et du Conseil concernant l'accès au marché des services
portuaires (COM [2004] 654 final / E 2744), présenté par M.
CHRISTIAN PHILIP, Député.
En mars 2005, une nouvelle proposition qui reprend
quasi-totalement l'ancienne version, est rapportée, mais en y incluant
des solutions à certaines interrogations importantes soulevées
précédemment. Notamment, le Parlement avait demandé le
retrait du service de pilotage des « services techniques nautiques »
(pilotage, lamanage, et remorquage) couverts par le champ d'application de la
directive. Le Conseil avait proposé d'accorder aux Autorités
Nationales compétentes la possibilité d'assurer elles-mêmes
les services de pilotage ou de les confier à un fournisseur de services,
notamment pour des raisons de sécurité, et donc de limiter les
effets d'une libre prestation des services.
La libre prestation des services est considérée
comme une liberté fondamentale partout dans l'Union européenne
pourtant, la Commission décide, le 8 mars 2006, de retirer ces
propositions de réforme rappelant qu'il est possible que la libre
prestation des services soit limitée, pour des motifs «
objectifs», qui pourraient diminuer la qualité du service de
pilotage, et surtout pour des raisons de sécurité et de
protection de l'environnement tenant compte du fait que des pressions
commerciales sur cette profession nuiraient considérablement à la
prestation.
Entre 2001 et 2006, la commission européenne a
tenté par deux fois de libéraliser les services portuaires,
(pilotage, lamanage, et remorquage) et le 18 janvier 2006, pour la
deuxième fois consécutive, le projet Paquet portuaire II visant
à ouvrir à la concurrence les services portuaires de l'Union
européenne, a été rejeté.
Pour Robert Rezenthel, « il ne paraît pas
concevable d'admettre le libre exercice du pilotage au sein de la CEE, car une
concurrence effrénée pourrait mettre en péril le
fonctionnement du service public25 ». Le rôle de cette
exclusivité est donc de contrôler le service public rendu, mais
aussi d'assurer un niveau maximal de sécurité de la navigation.
La notion de sécurité de la navigation, de protection de
l'environnement et de protection des populations riveraines exigent que les
pilotes maritimes puissent travailler dans un environnement leur permettant
d'exercer leur jugement professionnel de manière indépendante.
L'application des règles commerciales de libre concurrence dans ce
domaine seraient un retour en arrière.
Qu'ils aient un statut privé, ou qu'ils soient
fonctionnaires d'état, organisés nationalement,
régionalement, ou régie localement par une autorité
portuaire ou une municipalité, dans tous les états membres, le
service de pilotage est fourni de manière totalement exclusive par des
structures qui conservent le monopole de la profession.
Pour des raisons de contrôle public et de maintien du
plus haut niveau de sécurité, l'institution actuelle, de type
unipolaire est largement préférable à une libre
concurrence de l'activité, qui amènerait sans aucun doute une
baisse de la qualité du pilotage, créant des obstacles à
la continuité du service.
25 Robert REZENTHEL, op. cit, p. 362.
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