Chapitre II) Limitation de responsabilité et
assurance
I) La limitation de responsabilité, solution
réaliste et justifiée
Le pilote maritime devait initialement réparer
l'intégralité du préjudice que sa faute a pu créer.
Nous l'avons vu, la responsabilité de l'État, organisateur, ou
garant des autorisations d'exercer, est peu retenue pour négligence ou
faute de l'un de ses pilotes. Et, considérant les tailles des navires,
et la marchandise qu'ils transportent, les montants des réparations sont
de plus en plus élevées.
De façon totalement exorbitante par rapport au droit
commun, une exception maritime, la convention LLMC 1976, sur la
responsabilité civile de l'armateur, introduite en droit
français, et ratifiée par la plupart des pays du continent
européen, donne la possibilité à l'armateur de limiter le
montant de sa responsabilité civile au regard de certaines
créances. Cette règle est l'héritière de celle sur
l'abandon du navire, et, d'après Pierre Bonassies, elle « est
certainement l'institution la plus originale du droit
maritime90».
Cette possibilité laissée à l'armateur
fut la source d'inspiration de la limitation de responsabilité civile
dont profitent aujourd'hui aussi les pilotes maritimes européens. En
effet, la responsabilité du pilote étant prouvée, ses
fautes établies, ce dernier pourra néanmoins profiter de la
possibilité de limiter le montant de sa réparation au civil.
En France, l'arrêt rendu par la cour de
cassation91 le 12 juin 1934 condamna un pilote à recouvrer
l'intégralité des dommages causés par le navire
piloté, créant beaucoup d'agitation au sein de la
communauté des pilotes
En France, les mécanismes de responsabilité
civile applicables au pilote sont maintenant posés par la loi du 03
janvier 1969, très favorable au pilote. Le cadre réglementaire de
1935 fut mis en place suite à l'échouement du navire Guitton. En
effet, le 02 février 1931, la Cour d'appel de Bordeaux92
condamna le pilote à réparer l'intégralité des
dommages causés par sa faute, pour avoir communiqué des
informations erronées au Capitaine, et dégageant ce dernier
totalement de responsabilité.
90 Scapel, p263§ 402 Bonassies
91 Gaz Pal 1934, 2, 402 cf. annexe 5 Bignault Louise
Adelaïde
92 Cour d'appel de Bordeaux, 2 février 1931,
navire: « Guiton », D.M.F. 1931, 105. La Cour condamne le pilote
à réparer l'intégralité des dommages causés
par sa faute lourde, et dégage la responsabilité du capitaine.
De ce fait, dès 1935 en France, et dès 1936 en
Angleterre, pour des raison objectives, le législateur souhaitant
très logiquement permettre aux victimes de recouvrer plus
aisément leur créances, le pilote disposant bien évidement
de ressources monétaires moindre par rapport à l'armateur du
navire piloté, ce dernier peut limiter sa responsabilité. Cette
possibilité est reprise aujourd'hui, en droit Français, par la
loi du 3 janvier 1969 disposant maintenant que :
« Tout pilote doit fournir un cautionnement
93.
Les modalités de ce cautionnement sont fixées par
décret, et sont application par les articles 20 à 23 de la loi
:
Art 21 loi du 3 janvier 69 : « Le pilote, par
l'abandon de ce cautionnement, peut s'affranchir de la responsabilité
civile résultant des articles précédents, sauf dans le cas
où la faute par lui, commise constitue une infraction à l'article
79 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande. »
Cette possibilité réaliste et justifiée,
est offerte presque partout en Europe à cette profession à
risques en raison des préjudices monétaires importants pouvant
être entraînés par un pilotage ( pollution, abordage, heurt
avec un quai, échouement, destruction de cargaison, atteintes au domaine
public maritime, rupture d'amarrage) et dépassant largement les
capacités financières d'un pilote, sur la base que
l'étendue des dommages causés par erreur est si vaste qu'il
serait irréaliste de s'attendre à ce que le pilote puisse en
supporter la perte, ou même de faire face au coût de
l'assurance.
Cette spécificité est offerte au pilote en analogie
avec le régime du propriétaire du navire, qui profitent par
ailleurs d'assurances maritimes.
Jacques Bolopion rappelle que parmi les
caractéristiques communes à toutes les organisations
européennes de pilotage, ces dernières « comportent toujours
des aspects de service public et des limitations de
responsabilité94 ».
93 art 20 loi du 3 janv. 1969 L 69-8 du 3 janvier 1969
Relative à l'armement et aux ventes maritimes
94 Jacques BOLOPION, op. Cit.
Concrètement, les pilotes européens voient leur
responsabilité soit limitée jusqu'à un montant
défini, soit devront abandonner un cautionnement, prévu à
cet effet. Dans certains cas, le montant est défini pour un dommage ou
bien sera calculé au prorata de la jauge du navire.
En Angleterre, la « pilotage act » introduit
également la limitation de responsabilité mais sans cautionnement
ou exception possible. La responsabilité du pilote pour toute perte ou
dommage causé de son fait ou par négligence ne dépassera
pas 1,000 £ et le montant de la redevance du navire piloté à
l'instant dommageable95.
Aux mêmes fins, afin de ne pas faire supporter de trop
lourdes charges sur les pilotes en cas de dommages aux navires, comme dans les
autres pays d'Europe, et en vertu de l'article 2 de la loi de 1988, les pilotes
belges bénéficient d'une exemption de responsabilité. Ils
bénéficient d'une limitation de responsabilité,
jusqu'à 20.000 € par évènement dommageable, sauf dans
les cas où il y a une faute intentionnelle, ou de cas de
négligence grave.
En Espagne, l'article 24 du chapitre 6 de la loi du 1er mars
1996 traite la responsabilité civile du pilote maritime, celle-ci ne
pouvant dépasser la somme de deux milles ancien pesetas, soit 12 euros
par tonne de GT, ne dépassant pas un maximum 601 012 euros. Le pilote
espagnol sera « responsable des ses actes, causés au navire,
à son propriétaire, et au tiers, pour inexactitude, faute ou
omission, dans les conseils donnés, des caps ou des manoeuvres nautiques
nécessaires afin de veiller à la sécurité de la
navigation » (traduction). Dans tous les cas si un capitaine qui ne
tient pas compte des conseils du pilote, cela n'entrainera pas de
responsabilité du pilote.
La pilotage act Norvégienne n'introduit aucune notion de
montant de limitation de responsabilité civile.
De manière générale, un dommage
créé à la suite d'une activité ouvre droit aux
victimes à réparations intégrales pour les dommages subis
et cette solution semble tout à fait raisonnable, augmentant de ce fait
la position des réclamants, sans se faire opposer l'insolvabilité
du pilote.
95 UK pilotage act 1987 part II sec 22
Par ailleurs, dans certains pays comme l'Allemagne, le pilote
est exempté de responsabilité sauf dans les cas prouvé
d'actes intentionnels, ou de négligence lourde. En
Allemagne96, la responsabilité du pilote est limitée
à ces deux cas, permettant une exemption du pilote, et là aussi
il appartient à l'armateur de prouvé l'absence d'agissement
volontaire du pilote. Il n'existe donc pas de montant de limitation en
Allemagne, le pilote pourrait donc se trouver confronté à de
lourdes réparations monétaires, si l'armateur parvient à
prouver une négligence. Dans le cas contraire, l'armateur, et/ou ses
commettants doivent supporter les compensations financière envers les
tiers.
Aussi ce système est retrouvé au Portugal, ainsi
qu'au Pays-Bas, les pilotes étant fonctionnaires d'états. En
effet, actuellement les pilotes portugais ne disposent pas pour le moment de
limitation de responsabilité civile, à cause du changement
récent des nouvelles lois des ports, « Lei dos Portos ». Ils
sont employés par l'administration portuaire, et, bien qu'il n'existe
pas de jurisprudence en droit portugais, dans ce domaine, leur
responsabilité sera couverte, en théorie, par cette
dernière.
En Norvège, le pilote n'a pas d'autorité reconnue,
et aucune responsabilité ne pourrait lui être reconnue vis
à vis des tiers.
Au Pays Bas, le système de responsabilité civile
des pilotes est régit par le Dutch Pilot Act («Loodsenwet»),
articles 2 et 3, et il n'existe pas non plus de limitation de
responsabilité. L'article 3 dispose que « dans
l'accomplissement des tâches de pilotage, le pilote autorisé peut
être tenu pour responsable des dommages qui ont été
causés par un acte intentionnel ou une négligence
grave». La faute du pilote, ou la négligence grave du pilote,
gross negligence est une notion difficile à évaluer. Elle fut
néanmoins retenue dans le cas du navire « Solon » dans un
arrêt de la Cour Suprême du 4 février 2000 ( NJ 2000/429
Solon), la cour retenant qu'il est nécessaire de prouver que le pilote a
agit avec l'intention de provoquer un dommage, ou avec imprudence et avec
conscience qu'un dommage en résulterait probablement.
Comme l'écrit Jacques Truau, dans les annales de l'IMTM
1989, la volonté du législateur a semble t-elle été
guidé par le fait que la mise en application de tel jugement aurait
conduit les pilotes à souscrire à des assurances
responsabilité civile pour couvrir les effets de leurs actes,
très onéreuses conduisant inévitablement une augmentation
des redevances de pilotages.
96 Sec. 21 para 3 German Pilotage Act.
Il existe en Europe des cas où les pilotes peuvent
s'exempter de responsabilités par exemple dans les cas où les
capitaines du navire piloté refuse de suivre les instructions du pilote
et que, par conséquent, le navire subis des dommages, la
responsabilité civile du pilote ne pourra être
recherchée.
Pour conclure, les justifications de la limitation de
responsabilité et des exemptions accordées aux pilotes prennent
leur source dans le fait que le pilote a un rôle de conseiller du
capitaine, et valorisent aussi la position des demandeurs; cette solution
semble être la plus réaliste, tenant compte des ressources
financières limitées d'un pilote.
Cette possibilité de limiter sa responsabilité,
n'emporte pas reconnaissance de responsabilité, mais ne fait
qu'atténuer la portée des préjudices monétaires. Il
est donc une fausse idée que de penser que les pilotes ne supportent
aucune responsabilité. Les pilotes Européens restent responsable
civilement des actes commis intentionnellement ou avec conscience qu'un tel
dommage en résulterait, ou en cas de négligence de leur part. On
rencontre toujours, soit une exemption de responsabilité soit une
limitation, mais cette limite est parfois tellement haute que les pilotes
doivent s'assurer, comme en Italie, ou en Espagne.
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