II ) Les responsabilités civiles résultant de
l'organisation du pilotage
La responsabilité civile est par définition
l'obligation légale de réparer le préjudice causé
à autrui dans l'exercice d'une action, par inexécution d'un
contrat ou de toute action dommageable commise par soi même, ou par une
personne qui dépend de soi, ou par une chose dont on a juridiquement la
garde61. Elle vise à réparer, non à
sanctionner.
Le capitaine restant maître incontesté de son
navire, encore faut-il comprendre dans quelle mesure le pilote, ou son
employeur, qu'il soit l'État par voie directe, ou qu'il dépende
d'une organisation exclusivement dédiée au service,
pourraient-ils voir leurs responsabilités recherchées en cas de
dommage.
En effet, même si le pilote est largement reconnu comme
travailleur indépendant en Europe, mais restant néanmoins
très largement sous tutelle de l'État pour sa nomination, cela a
entraîné, légitimement, non seulement des recherches des
responsabilité du pilote provenant des tiers, mais aussi, plus
étonnamment, des tentatives de recours contre les structures
organisatrices du pilotage ou l' état qui certifie les pilotes ou qui
les emploie.
A) Cas de responsabilité de l'autorité
compétente organisatrice du service
D'une façon générale, en Europe, en
raison de leur statut d'agents publics d'états ou de fonctionnaires
reconnu dans certains pays, ou tout simplement par le lien qui lie un pilote
à son employeur, la recherche de responsabilité en cas de dommage
pourrait introduire la responsabilité soit de l'état lui
même, ou de son représentant, ou d'un employeur privé, dans
les opérations de pilotage. En effet, parce que dans la plupart des pays
d'Europe, nous l'avons vu, l'administration de l'état détient le
pouvoir d'autoriser des pilotes à exercer leur métier, et parce
que, dans quelques uns de ces pays, les pilotes sont directement
employés par l'administration, ou parfois même par des
sociétés, ou des autorités portuaires, la
responsabilité des autorités ayant certifiées,
formées et autorisées à exercer, peut être
soulevée.
61 La garde juridique est le pouvoir de
contrôler et d'utiliser à ses fins une choses que l'on utilise.
En premier lieu, et nous allons le voir, des cas de litiges
ont été rencontrés et jugés en Angleterre, au sujet
des obligations des pilotes vis à vis de leur employeur
général, dans un pays où les pilotes sont
liés62 à une autorité portuaire (du type CHA),
par un contrat de travail.
i) Les problèmes émanant d'un contrat de
travail conclu avec une autorité compétente
En Angleterre, en octobre 1988, la dernière version de
la loi sur le pilotage datant de 1987 est adoptée, transférant
l'organisation du pilotage aux autorités portuaires des ports anglais,
les CHA.
Abrogeant, les anciennes dispositions de la loi de 1913, elle
complète les modalités sur les conditions d'emploi des pilotes,
stipulant (article 4) que les pilotes d'un port peuvent être
autorisés à exercer par l'autorité portuaire du CHA, et
exercer soit directement employés par un CHA ou exercer comme
travailleurs indépendants, si les pilotes le décident à la
majorité lors d'une élection obligatoire.
Cependant, ces dernières années, plusieurs
décisions ont mis en lumière la nature parfois
considérée comme oppressive de certaines obligations
exigées à des pilotes qui se trouvent soumis à un contrat
d'emploi avec un CHA. L'un de ces cas a fait jurisprudence en Angleterre,
renforçant la loi de 1987.
Le 11 décembre 2001, (voir annexe 3 Case TGWU v
Associated British Ports No A2/2001/2505 Court of Appeal Civil Division) la
division civil de la Cour d'appel a confirmé dans le paragraphe 11, pour
le cas des pilotes de la Tamise, que ces derniers peuvent être
employés soit par le CHA ou être des travailleurs
indépendants, et qu'ils sont, en vertu de l'application de l'article 4
de la pilotage act 1987, tout à fait libres de refuser une offre
d'emploi même permanente, proposée par un CHA et, le cas
échéant, travaillent comme des travailleurs autonomes, par le
biais d'une coopération entre pilotes « self-employed » si ils
le désirent.
62 Pilot mag N° 290 traduction : « Tout
récemment, en Décembre 2001, la Cour d'appel a confirmé
que les pilotes peuvent soit être employés par le CHA pertinent
ou, alternativement, être des travailleurs indépendants. En vertu
de l'article 4 de la loi, après l'accord de la majorité des
pilotes d'un port, le CHA n'a aucune obligation d'offrir des conditions de
l'emploi. Lorsqu'une telle coopération existe le pilote n'est pas
lié par un contrat de travail, et donc cela évite des situations
périlleuse telles que celles connues au sud du Pays de Galles, ou sur la
rivière Clyde.»
La loi anglaise donne la possibilité à
l'autorité du port d'autoriser un pilote à exercer, mais la
délivrance de cette autorisation ne se limite pas seulement aux pilotes
qui sont employés par cette autorité portuaire.
Selon Barry Youde, dans le cas de pilotes qui travaillent sous
contrat avec un CHA, « il y a eu au moins six cas récents dans
lesquels il fut considéré que des pilotes avaient commis des
infractions, simplement à cause du fait qu'ils auraient
outrepassés les termes de leur contrat de travail avec un CHA, à
terre, sans même qu'un navire piloté ne soit impliqué. Ces
cas d'infractions connus furent tous classés comme grave
désobéissance relative aux termes du contrat de travail, alors
qu'ils n'avaient qu'osé mettre en doute les requêtes d'une
autorité portuaire ».
Dans ces cas, le pilote a contesté la demande d'un
agent du CHA pour des raisons de sécurité, l'officier du CHA ne
détenant aucune qualification ni d'expérience dans le pilotage,
et dans aucun des cas jugés, il n'a été
suggéré que l'incompétence, affectant sa capacité
à piloter, ou la faute du pilote ne puissent être retenues.
Non seulement le pilote peut être tenu responsable
civilement et pénalement, mais, choisissant la prudence et limitant la
prise de risque, il s'exposerait ainsi à de graves sanctions, pouvant
lui causer des déboires financiers, alors même qu'il voulait se
prémunir de certain risque d'accident qui aurait pu lui causer de
lourdes mises en cause devant un tribunal civil; et d'après Kevin Austen
( Barlow, Clyde & Gilbert), « il prend alors le risque de se retrouver
face à des sanctions disciplinaires prises par son employeur, le CHA,
qui lui seront certainement bien plus préjudiciable personnellement que
s'il n'avait répondu de ses actes lui même en
responsabilité civil pour des dommages causés ».
Pourtant, dans ces cas, les tribunaux ont conclu que, en vertu
du contrat de travail, le pilote est obligé d'accepter la parole d'un
agent du CHA ; que le pilote avait rompu les termes du contrat et que la
révocation du pilote par la CHA était donc appropriée
vertu de l'article 3 (5) de la loi sur le pilotage de 1987.
Les raisons de telles difficultés entre l'employeur et
les pilotes proviennent du remaniement de la loi de pilotage Anglaise en
1987.
Les pilotes devraient sans aucun doute être
traités différemment des autres employés, en cas de refus
d'obéissance, en raison des risques engagés, et des
conséquences de dommages possibles, encourus lors de manoeuvres
délicates.
L'indépendance du pilote reste donc primordiale, de par
son jugement, son professionnalisme et surtout son expérience
maritime.
Cependant cela ne semble pas être l'avis de certaines
autorités portuaires. Récemment, trois pilotes ont
communiqués une lettre avertissant le CHA de leur refus d'amarrer un
navire qui était surchargé, ne permettant donc pas d'entrer dans
le port en respectant les minimums requis de clair sous quille conclus entre
les pilotes et le port. Quand l'un des pilotes a protesté,
alléguant que son jugement professionnel était remis en question
par l'un des fonctionnaires du CHA, celui-ci répondit que « les
règles disciplinaire d'un CHA s'appliquent à tous les
salariés sans que les pilotes ne fassent exception63
».
Selon Dr A.G.Corbet, de l'Université de Galles à
Cardiff, « il y a aussi des risques de perdre son gagne pain, car
outre le fait de perdre son autorisation à travailler comme pilote, il
détient aussi un brevet de capitaine ou d'officier, qu'il risquerait de
perdre par la même occasion. Le pilote perdrait donc sa deuxième
chance de travailler comme naviguant ».
Dans ce sens, ce que les autorités d'un port peuvent
omettre d'apprécier serait que le pilote est justement un employé
différent des salariés de la société, notamment
parce qu'il engage sa responsabilité civile une fois qu'il est à
bord, que les dommages, avaries, et pertes conséquentes à un
incident maritime seront importantes, et qu'il peut aussi et surtout être
emprisonné64 ou punis de sanctions disciplinaire65
prévues par la loi nationale de son pays pour ses actions ou omissions
alors qu'il se trouve à bord.
Bien qu'il existe peu pour le moment, hormis en Angleterre, de
cas connus de telles sanctions, appliquées pour
désobéissance d'un pilote, ce qui vraisemblablement ne peut
advenir qu'en cas de danger à la navigation, d'impossibilité
notoire de piloter en toute sécurité, à cause de
circonstances exceptionnelles liées à la hauteur d'eau
disponible, aux conditions météorologiques, ou à
l'état de navigabilité d'un navire, dont seuls les marins
professionnels, pilotes, et capitaines ne peuvent prétendre
connaître les détails, et qui surtout, seuls en subiront les
conséquences.
63 Source Barrie Youde
64 Selon la Pilotage Act 1987 c. 21 17 une personne
qui commet des fautes disciplinaires telles que celles contenus dans la dite
loi seront soumis à des peines de prison allant de 6 mois à 1 an
maximum, à des peines d'emprisonnement ou aux deux
65 Selon F. Laffoucrière : « La
responsabilité disciplinaire est l'obligation de répondre des
comportements fautifs commis par des personnes au sein d'un groupe de personnes
ayant la même qualité ».
D'une façon générale, si de tels cas se
réitèrent, il pourrait être nécessaire de recevoir
l'avis d'autres pilotes professionnels, avant d'en tirer trop tôt des
mesures disciplinaires que le pilote pourrait subir alors même qu'il
souhaitait se prémunir d'un danger.
Outre les rapports qu'un pilotes peut avoir avec son employeur,
il conviendrait alors de réétudier les obligations normales du
pilote, vis à vis du navire qu'il va servir.
Selon Dave Devey, pilote à Liverpool, « Quand un
pilote est à bord un navire il cesse d'être un employé du
CHA, mais devient l'employé de l'armateur, le CHA devenant son employeur
général66».
Cette situation soustrait alors les obligations normales du
pilote employé d'une entreprise au profit d'une certaine
indépendance du travailleur, responsable totalement de ces actes, comme
le serait un médecin du travail, employé d'une
société, mais qui agit en toute « indépendance
technique et morale67».
Aucun autre salarié d'une organisation en charge du
pilotage ne pourrait détenir cette position unique. Certains pilotes
pourraient donc être tentés d'un revirement de situation, un
retour en arrière, vers l'indépendance du pilote vis à vis
des autorités portuaires.
Mais, toutefois, les pilotes pourraient intenter des actions
en justice. Mais le retour en arrière pourrait certainement être
refusé par les tribunaux depuis le catastrophe du Sea
Empress68 si, par exemple, un jeune pilote qui remplacerait le
pilote souhaitant son indépendance, manque d'expérience au regard
de celle du pilote déjà autorisé et employé par
l'autorité portuaire.
66 Dave Devey concerned ret. Liverpool Pilot
67 La médecine dans l'entreprise par
Christophe De Brouwer « Le concept trouve son origine dans la
recommandation 111 de 1959 de L'OIT, sans pour autant être
explicité. La loi de protection des médecins du travail est
charpentée autour de cette notion. Ce sont des travailleurs
protégés (...) que leur statut soit indépendant,
salariés, ou statutaire. La protection s'exerce vis à vis de
l'employeur qui rémunère le médecin du travail. Un
employeur ne peut se séparer d'un médecin du travail s'il y a
atteinte à l'indépendance technique et morale du médecin
du travail».
68 « En 1999, devant la Haute Cour, suite à la
catastrophe du Sea Empress à Milford Haven de 1996, l'Autorité
Harbour CHA de Milford Haven a plaidé coupable pour pollution, pour la
raison qu'elle avait engagé dans une opération de pilotage un
pilote qui avait reçu une formation insuffisante et dont
l'expérience qu'il possédait ne lui aurait pas permis
d'exécuter la tâche de pilotage qu'on lui demandait ».
ii) Les pilotes, des professionnels à
l'indépendance juridique reconnue
La loi a traditionnellement considéré le pilote
maritime comme un employé de l'armateur, employé le temps de son
service de pilotage à bord.
A ce sujet l'OMI, est très clair, retenant que le
capitaine reste maitre de son navire tout au long du pilotage ; la
résolution69 IMO A.920 (23), adoptée le 5
décembre 2003, déclare en Annexe 2, que :
« Malgré les responsabilités et
obligations du pilotage, la présence d'un pilote à bord d'un
navire ne relève pas le commandant ou l'un de ses officiers en charge du
quart à la passerelle de leurs responsabilité et obligation pour
la sécurité du navire ».
La résolution déclare également que le
pilote peut à tout moment refuser le pilotage quand le navire à
piloter présente un danger à la sécurité de la
navigation ou à l'environnement.
Au cours des années, le niveau d'indépendance du
pilote et la nature de la relation légale, entre l'armateur et le pilote
a fait l'objet de nombreuses délibérations devant les
tribunaux.
Des cas ont fait jurisprudence, dont notamment en Angleterre,
et ont solidairement établis qu'un employeur ne pourrait avoir à
supporter les dépenses admises suites à une négligence du
pilote. Deux cas font jurisprudence outre-manche :
En Angleterre, en 1989, la Chambre des Lords a rendu un
arrêt se prononçant sur les rapports de responsabilité d'un
pilote employé par une autorité portuaire anglaise. L'arrêt
rendu concerne l'affaire entre le ESSO Bernicia contre Russell Hall. Cet
arrêt est unique en son genre. En effet, à cet époque, la
plupart des pilotes anglais étaient indépendants, «
self-employed ». Le navire Esso Bernicia, était à ce moment
piloté par un pilote employé par un CHA. Le propriétaire
de l'appontement endommagé par le pétrolier intenta une action
contre l'armateur, qui s'est directement retourné contre le CHA qui
employait le pilote pour présomption de responsabilité à
l'encontre du pilote pour négligence. Cet arrêt, aussi connu sous
le nom « the Sullum Voe case » a mis en évidence le fait que
même lorsqu'un pilote est employé par une autorité
portuaire, l'autorité ne sera pas tenue pour responsable des
négligences commises par celui-ci;
69 IMO A.920 (23) « Recommendations on
Operational Procedures for Maritime Pilots other than Deep Sea Pilots
l'armateur considérant que le recouvrement du montant
des dommages importants causés au quai serait beaucoup plus facile en
les réclamants au CHA plutôt qu'au pilote. L'arrêt rendu par
la Chambre n'a pas retenu de responsabilité contre l'administration
portuaire, affirmant qu'un pilote « est un professionnel
indépendant qui conduit le navire seul et comme préposé de
employeur ».
En 1993, en Angleterre aussi, une nouvelle tentative a
été menée afin qu'une autorité portuaire anglaise
soit considérée responsable de négligence d'un pilote
qu'elle emploie. C'est le cas du gazier Cavendish. Les demandeurs ont fait
valoir le fait que les demandes exprimées pour le Bernicia Esso avait
pris naissance avant l'introduction de la nouvelle de loi de 1987 ( pilotage
act 1987) et que l'introduction de cette loi modifia la situation juridique du
pilote, parce qu'il appartient désormais à l'autorité
portuaire de délivrer les autorisations de pilotage, c'est à dire
de certifier les pilotes ; la Haute Cour a retenu que la loi de 1987 n'avait
pas modifié la situation juridique de celui-ci et donc que le pilote
reste un professionnel indépendant et qu'il n'est pas le
préposé ou mandataire de quelqu'un70.
Le principe de responsabilité du pilote chez les
anglais n'est autre que celui de la Bible71, bien plus qu'une
doctrine religieuse, incorporé au droit maritime du pilotage anglais,
son fondement provenant du fait que personne ne pourrait dépendre de
deux employeurs à la fois, ne pouvant travailler à la fois pour
le compte d'une autorité portuaire, et pour le navire qu'il pilote :
« No man can serve two masters ».
Cette décision a, pour la jurisprudence anglaise, fait
directement devenir l'armateur comme employeur unique du pilote à partir
du moment où celui ci est monté à bord du navire. Le juge
a déclaré qu'une fois ce principe établi, un
employé ne pouvant prétendre avoir deux employeurs, écarte
la possibilité d'être aussi considéré comme
employé de son employeur général, c'est à dire le
CHA, le pilote devenant un employé, et un employé seulement de
l'armateur.
70 Source pilot mag N°293
71 La Bible Gospel / St Matthieu, Chapitre 6 verset
24
La court a finalement retenu que selon cette même
section 2 de la loi de 1987, l'autorité portuaire doit fournir un pilote
compétent mais n'est pas responsable du pilotage en lui même,
cette dernière responsabilité étant supportée par
le pilote lui même.
Ce statut de travailleur indépendant n'est pas unique
à l'Angleterre.
A ce propos, en Hollande, il est reconnu que tout faute
commise par une autorité administrative engage des indemnités, et
que cette obligation est reprise en droit privé pour les entreprises et
les personnes privées : « As far as damage concerned,
administrative autorities are subjected to the same rules as private persons
and companies72 ». La logique voudrait donc que l'organisation
du pilotage, qui est dans ce pays privatisée73, engage sa
responsabilité. Au contraire, en 2005, la cour du district de Rotterdam
a confirmée l'indépendance des pilotes après qu'un navire
en route de sortie pour le canal de la mer du Nord sous la supervision d'un
pilote, ait subie des dommages. Le propriétaire du navire a
exercé un recours auprès de Nederlands loddswezen B.V parce qu'il
avait commandé son pilote auprès de cette compagnie, mais la
court a retenu que, malgré l'existence de cette compagnie privée,
les pilotes agissent comme des professionnels « indépendants et
autonomes » mettant en jeu leur propre responsabilité pour tous
dommages qu'ils peuvent créer74.
Au sujet de cette indépendance, rappelons qu'en France,
la décision de la cour d'appel de Rouen dans l'affaire « Le Squire
C/ synd. Pilote de seine », considère le pilote comme une
personnalité indépendante, hors de tout lien de subordination vis
à vis du capitaine ; le pilote étant à la disposition du
capitaine, mais conservant son indépendance : il n'est ni un
subordonné, ni un préposé75.
Les pilotes européens exercent une fonction dont la
position est singulière et inhabituelle, et dont les
réglementations actuelles sur la question posent le principe de non
redevabilité envers un quelconque employeur. Les pilotes disposent d'une
indépendance de jugement professionnel absolument incompatible avec des
contraintes de résultats, faces aux engagements ou aux obligations
générales liées à l'obéissance qui serait
normalement due d'un employé envers son employeur.
72 C Goorden « Algemeen bestuursrecht compact
» 4 editie Elsevier Den Haag 2003 page 41/43.
73 Les pilotes Hollandais sont devenus des
professionnels indépendants, par privatisation en 1988.
74 Supreme court 04 février 2000, NJ 2000/429
Navire Solon
75 CA Rouen, 29 avril 1966, le squire C/synd. Pilote
de seine, Cie ch.Schiaffino et Enim, DMF 66, p426.
iii) La responsabiité de
l'État
Pour ce qui est de la responsabilité de l'État
dans des litiges liés à une activité de pilotage, il est
généralement reconnu que dans les pays d'Europe où
l'état agit comme organisateur du service, aucune recherche de
responsabilité contre celui-ci ne pourrait être retenue.
Cependant, un examen de la jurisprudence dans le domaine montre dans certains
pays une réelle évolution et d'importantes modifications
récentes de la loi.
En Espagne, avant l'entrée en vigueur de la loi de 1992
sur la loi des ports et de la Marine Marchande, des demandeurs espagnols ont
obtenus gains de cause, et on réussit à ce que le jugement de la
court suprême considère finalement l'autorité portuaire
responsable des faits de négligence du pilote, tenant compte du fait que
les anciennes lois de 1958 sur le pilotage, maintenant remplacées par la
LPEMM de 1992 et par le Règlement Général du Pilotage du
1er mars 1996, faisaient référence à des pilotes
fonctionnaires d' État, et donc directement soumis à
l'autorité nationale du pays ( en Espagne, les lois de 1992 ont
réorganisé le pilotage, bâti maintenant sur le
modèle Français, Italien ou Hollandais, et engageant des pilotes
« self-employed, indépendants », organisés en
structures privées).
Auparavant, avant la modification de la loi espagnole, le
Belgique avait aussi retenu une décision marquante établissant la
responsabilité de l'État pour faute commise par ses pilotes dans
le cas du navire Ore Prince, dit cas de l'Escault76. Mais la loi a
connu en Belgique un revirement de situation important, car en effet, une loi a
été adoptée le 30 août 1988 afin de contrer les
effets de cette jurisprudence, loi qui a été modifiée en
2001 afin de supprimer son effet rétroactif. La cour de Cassation belge
mettant en cause la responsabilité de l'État, celle-ci pouvait
craindre les conséquences désastreuses d'une telle
décision pour les finances du pays, les législateurs ont
logiquement souhaité modifier la loi.
76 Cas de l'Escault DMF 1985, N°12 MS Ore Prince
Suite à la jurisprudence « Ore Prince », la
loi du 30 août 1988 a prévu que la responsabilité de
l'administration ne puisse plus être mise en cause. Elle dispose que
« l'organisateur d'un service de pilotage ne peut être rendu,
directement ou indirectement, responsable d'un dommage subi ou causé par
le navire piloté, lorsque ce dommage résulte d'une faute de
l'organisation elle-même ou d'un membre de son personnel agissant dans
l'exercice de ses fonctions, que cette faute consiste en un fait ou une
omission ».
En Espagne et en Belgique, bien que ces deux pays ne
possèdent pas le même statut du pilote, le premier étant de
type indépendant, proche du modèle français, le
deuxième étant fonctionnaire, ont tous deux subis
récemment une modification de leur réglementation afin
d'éviter des recours contre l'administration. Contrairement à
l'Angleterre, qui est un pays de tradition de droit du Common Law, l'Espagne et
la Belgique sont des pays de droit de tradition civiliste, qui accordent bien
plus d'importance à la loi qu'aux jurisprudences. Alors qu'outre-manche,
la création des principes juridiques est laissée aux tribunaux
par leurs décisions, les pays romano-germanique comme l'Espagne et la
Belgique ont préféré réviser la loi.
Le pilote ne devrait donc pas être
considéré comme un employé classique d'un service public.
En ce sens, cela s'applique aussi à ses responsabilités, il
supporte les responsabilités de son activité, au même sens
qu'une personne indépendante. Et, plus que tout, il convient aussi
d'ajouter que les parties qui subissent les dommages, les navires ou des tiers,
ne pourraient pas non plus être traitées de la même
manière qu'une victime classique d'un service publique77,
rappelant que ces personnes, disposent d'un droit maritime qui leur ait propre,
dont les risques sont couverts par des assurances, et qui peuvent à tout
moment invoquer des limitations de responsabilités, notamment, les
propriétaires des navires.
En Belgique la loi exonère complètement
l'État de toute responsabilité, car la loi insère un
article 3 bis dans l'ancienne loi, et institue le fait que :
77 Olivier De Schutter, Sébastien Van Drooghenbroeck,
extrait du livre page 440 droit international des droits de l'homme devant le
juge national, collection : les grands arrêts de la jurisprudence belge,
Arrêt N25/90, Pilotage des bâtiments de mer, modification
rétroactive des régimes de responsabilité, par Olivier De
Schutter,Sébastien Van Drooghenbroeck.
« L'organisateur de service pilotage ne peut
être rendu responsable, de quelque manière que ce soit, d'un
dommage subi ou causé par le navire piloté, lorsque ce dommage
résulte d'une faute :
a) de l'organisateur du service pilotage lui
même
b) d'un membre de son personnel agissant dans l'exercice de
ses fonctions, et peu importe que la faute consiste en un fait ou une omission
».
Par ailleurs, l'exemption de responsabilité de
l'État belge concerne aussi les dommages qui résultent «
d'une défaillance ou d'un vice des appareils destinés à
fournir des informations ou des directives aux bâtiments de mer ».
Dès lors, l'État est exempté de responsabilité en
cas de défaillance d'un service de guidage des navires par radars.
La Belgique est donc très largement exemptée de
toute responsabilité en cas de dommage intervenant au cours d'un
pilotage. Le législateur s'est évertué à mettre
à néant les effets pécuniaires de la jurisprudence Ore
prince.
Certains autres pays, dans lesquels le pilotage possède
un niveau important de gestion de l'État, prennent des dispositions
équivalentes. Au Danemark, aucune demande de réparation ne pourra
être demandée auprès du trésor public danois.
De la même manière, l'État Suédois,
selon le code ( Skadeståndslagen 1972:207) ne pourra pas être tenu
responsable pour faute ou négligence dans le pilotage, le pilote
étant considéré comme un employé temporaire de
l'armateur78.
78 Göteborg 19 aout 1998 ND 1998 Navire Birta
: En aout 1998, un pilote de canal, pilotant sur la rivière Gota a
été poursuivi parce qu'il n'avait pas emporté suffisamment
d'eau de refroidissement des moteurs dans les ballasts du navire, causant des
problèmes de propulsion et ayant failli causer une collision grave,
chronique de droit maritime suédois, 1998- 1999, par Hugo Tiberg.
L'incident fut classé sans appel, la cour ayant
jugé que cette obligation m'incombait pas au pilote, mais donc bien au
capitaine.
Peu de jurisprudence existant à ce sujet, il
paraît néanmoins incertain, alors que la plupart des pilotes
d'Europe sont considérés comme travailleurs indépendant le
temps de l'exécution du contrat, que de telles actions ne soient
engagées contre l'État, marquant une certaine impunité des
pouvoirs administratifs organisateurs de pilotage.
Cependant, en Norvège, même si la loi
établit clairement que l'État ne peut pas non plus être
tenu pour responsable d'une faute de l'un de ces pilotes79, une
jurisprudence récente est venu compléter ce principe, la
responsabilité de l'État étant recherchée pour
avoir fourni un pilote jugé pas assez qualifié par la court
suprême de Norvège80. Et selon Hugo
Tiberg81, de telle décision pourrait faire jurisprudence pour
la Suède aussi si une nouvelle affaire se présentait.
79 Ch 3 section 9 de la loi 1972 : 207 relative
à la responsabilité civile ( Skadeståndslagen)
80 Nordiske Domme ND 1972 page 93
81 Professeur émérite de
l'université de Göteborg, Droit des transports, et droit des
exportations.
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