Partie II: La responsabilité civile du pilote et
des organisations de pilotage
Chapitre I) Responsabilité civile liée
à son rôle et à sa qualification
I) La qualification du pilotage
A) Le pilote européen, conseiller du capitaine ?
Il est indiscutable que la gestion de la navigation d'un
navire en plein océan, requiert moins de compétence et surtout
d'expérience que le pilotage d'un navire lors d'un atterrissage à
la côte, ou bien lors d'une navigation en eaux resserrées, voies
navigables, ou au sein d'un port. Dans des eaux resserrées, la charge de
travail augmente à la passerelle, le temps et les marges d'erreur sont
réduites, l'activité portuaire et le trafic intense, et les
conséquences d'un incident ou d'une erreur de jugement seraient
considérables. Des connaissances spécialisées dans la
manoeuvre des navires à l'approche des ports sont requises.
Quand le pilote arrive à la passerelle d'un navire, la
phrase « aux ordres du capitaine, sur les conseils du pilote »
devrait être inscrite au journal passerelle. Cette phrase devrait suffire
à décrire le lien qui uni le capitaine au pilote et
réciproquement.
Pourtant, le pilote n'occupe pas, dans les esprits, toujours le
même rôle à bord.
En parlant de l'autorité et de la responsabilité
du capitaine, Cpt Roger Clipsham écrit « qu'une bonne
décision d'un officier chef de quart ou d'un capitaine devrait utiliser
les connaissances combinées, l'expérience, et la qualification,
à la fois des officiers professionnels, et des pilotes
maritimes43»
D' une part le pilote tiendrait dans les mentalités une
place de conseiller, et de conseiller seulement du capitaine, lui apportant sa
connaissance locale du site dans lequel le navire évoluera.
43 Examen de la responsabilité personnel et des
responsabilités du Capitaine de navire R.Clipsham, Secrétaire
général IFSMA, International Federation of Shipmasters'
Associations London 21ST & 22ND, septembre 2000, partie 1
Une définition moderne, datant du 24 novembre 1992 (
LPEMM44), du pilote en Espagne est fournie par l'article 102 de la
loi45: « le pilotage étant compris comme les services de
conseil pour les capitaines de navire, et des objets flottants, à propos
des manoeuvres, afin de faciliter l'entrée et la sortie des navires dans
de bonnes conditions de sécurité ».
Il peut y avoir débat sur la question du rôle du
pilote, et sur sa qualification de conseiller et de conseiller seulement du
capitaine, car il prend dans la pratique souvent et complètement la
manoeuvre du navire. Cependant, le commandant devrait reprendre le
contrôle total de la manoeuvre s'il est nécessaire de le faire, ou
s'il juge que la manoeuvre ne s'effectuera pas en toute
sécurité.
D'autre part, outre Atlantique le « rapport de la
Commission Royale sur le Pilotage46 » contient une analyse
détaillée du statut de la définition anglaise et
canadienne du terme « pilote ». Pilote signifie : « n' importe
quelle personne n'appartenant pas à un navire mais qui en a la conduite
». Cette définition du pilote est d'ailleurs également
reprise en droit australien, dans la Section 6 de la « Navigation
Act47 de 1912 ».
Et, requalifiant ensuite la signification du mot «
conduite », ce rapport en a retenu la définition suivante :
« avoir la charge et le contrôle de navigation autrement dit, le
contrôle des mouvements du navire. De le même manière, si
quelqu'un est utilisé comme un conseiller, et ne se voit pas confier la
navigation à proprement parler du navire, il n'est pas le pilote de ce
navire ».
La Commission Royale, après examen des pratiques
actuelles à bord des navires a finalement conclu : « le pilote
n'agit pas comme un conseiller du capitaine, mais conduit en
réalité le navire ».
Dans cette intention, le Capitaine deviendrait alors, au
contraire mais jusqu'à un certain degré, un conseiller du pilote
pendant sa manoeuvre, quand celui-ci lui indique les particularités du
navire, tant techniques que manoeuvrière.
44 La Loi des Ports de l'État et de la Marine
Marchande du 24 novembre 1992 (LPEMM)
45 Servicio de practicaje Artículo 102 : «
Definición y régimen de gestión. Se entiende por
practicaje el servicio de asesoramiento a los Capitanes de buques y artefactos
flotantes, para facilitar su entrada y salida a puerto y las maniobras
náuticas dentro de éste, en condiciones de seguridad y en los
términos que se establezcan en esta Ley».
46 Report of the royal commission on pilotage part 1.
page 22 et suivantes.
47 Section 2 of that Act provides that
«pilot» shall mean any Person not belonging to a Ship who has the
conduct thereof.
Leur relation ne serait qu'une question de sémantique,
et, on le voit, le pilotage n'est pas pour tout le monde
considéré comme un service de conseil de navigation donné
du pilote vers le capitaine, mais pour certains l'inverse. Ainsi, comme le
pense G. K. Geen, l'auteur de « The Law of pilotage48 »,
il peut exister dans la relation de ces deux personnes, l'apparition d'un
double commandement, qu'il qualifie de « divisum imperium», ou
commande divisée, et qui, d'après le Dr.Lushington sera à
l'origine de nombreuses confusions et d'incidents dont celui du navire la
PEERLESS en 1860.
Pourtant, malgré ces questions d'usage, et
malgré de nombreux débats lancés au sujet des termes
« conduite ou commandement49 » du navire, la qualification
juridique du pilotage est énoncée dans les lois nationales (
Pilotage Act) réglementant ce service. Au niveau européen, qui
reste le sujet de ce mémoire, ces définitions, malgré
leurs différences, renvoient toujours aux notions de conseils
donnés par le pilote.
Les états sont libres de définir eux même
les limites de ce qui est appelé opération de pilotage, et les
notions d'expertise, d'assistance dans la manoeuvre, ou de conseils dans la
navigation, y sont toujours abordées dans les réglementations
européennes. En droit français, comme en droit
portugais50 ou maltais51, la définition du
pilotage, contenue dans l'article 1er de la loi du 28 mars 1928 dispose que :
« Le pilotage consiste dans l'assistance donnée aux capitaines
par un personnel commissionné par l'État pour la conduite des
navires à l'entrée et à la sortie des ports, dans les
ports, rades et eaux maritimes des fleuves et des canaux52
».
En Finlande, d'après la Pilotage Act 940/2003, le
pilotage est considéré comme « une activité
directement liée à la manoeuvre du navire, pendant laquelle le
pilote est un expert local de la navigation dans la zone », et en
Norvège, la définition donnée par le pilotage act de 1989
précise que toutes opérations de pilotage est un guidage de
navire dans la manoeuvre ou la navigation, donné par un pilote
détenant une licence de pilotage.
48 The Law of pilotage, GEEN. G.K., LLOYD'S
OF LONDON PRESS, 1977
49 Conduct or command
50 Capitulo I Disposições gerais Artigo
1.o Serviço de pilotagem
1-actividade de pilotagem é o serviço
público que consiste na assistência técnica aos comandantes
das embarcações nos movimentos de navegação e
manobras nas águas sob soberania e jurisdição nacionais,
de modo a proporcionar que os mesmos se processem em condições de
segurança.
51 Malta pilotage service means the act, carried
out by a licensed pilot, of assisting the master of a ship in navigation and
manoeuvring when entering, leaving or shifting in a port or the approaches
thereto, and includes the provision of the pilot launch».
52 Loi du 28 mars 1928 : régime du pilotage
dans les eaux maritimes
Aux Pays-Bas, les limites de l'exercice de la fonction du
pilote, données par l'article 2 de la pilotage act sont de «
donner des conseils au commandant du navire dans la navigation et la
manoeuvre du navire rendant le trajet jusqu'à sa destination, le plus
sure possible53 ».
Et cette notion de conseil du capitaine, se retrouve
également en droit allemand, dans le paragraphe §.1 de la Maritime
Pilotage Act et dans la réglementation lettonienne54.
Il est intéressant de préciser que certains pays
dont l'organisation du pilotage présente des particularités
marquantes, lorsqu'il existe par exemple à la fois un pilotage de
transit des navires dans les eaux territoriales, et aussi un pilotage
portuaire, la réglementation définit différemment ces deux
types de services. C'est le cas au Danemark, où les « transit Pilot
» gouvernementaux coexistent avec les pilotes régionaux : « d'
après la pilotage Act 567 du 09/06/2006, en vigueur, « un
pilote de transit est un pilote qui n'est ni un pilote hauturier, ni un pilote
régional, et un pilote régional est un pilote qui travaille
à la journée, ou pour une partie de journée seulement dont
le service commence ou se termine dans un port danois ».
Par ailleurs, la définition juridique de l'acte de
pilotage s'éntend dans certains pays plus largement que les conseils
donnés au capitaine à bord des navires. En effet, les
législateurs danois ont inclus dans la « Pilotage Act » des
clauses étendant l'acte de pilotage au guidage des navires utilisant
tout moyens de communications par des pilotes, depuis la terre ou depuis un
autre navire :
« Conseils donnés par une personne pilotant le
navire en mer, dans les détroits ou en manoeuvre, sans tenir compte du
fait que les conseils soit rendus à bord du navire ou en utilisant des
moyens de communications depuis un autre navire ou depuis la terre ».
(Traduction)
Cette notion d'assistance à distance est aussi reprise
en droit espagnol dans le Décret Royal 393/1996 du 1er mars incluant
dans l'opération de pilotage, tous service rendus pour « les
instructions données par les pilotes à partir du moment où
il quitte la station de pilotage ». La naissance du contrat de
pilotage est dans ce cas le moment où le pilote prend contact avec le
navire pour la première fois.
Comparant les lois de pilotage de l'Europe Continentale avec
celles de la Grande-Bretagne et de d'Amérique du Nord, l'observation
suivante a été faite par DAVID J. BEDERMAN55 : «
Un pilote, bien qu'exigé, conformément à la loi,
n'était considéré que comme un simple conseiller, et
n'aurait jamais prétendu outrepasser l'autorité du capitaine
».
53 Art 2 : Dutch pilot act « De loodsenwet 1988
»
54 The Regulation No.102, "Regulations on Pilots"
née de la volonté du cabinet du ministère le 7
Février 2006.
55 Compulsory Pilotage public policy and the early
private international law of torts. David J. Bederman. VOL 64. Tulane law
review .1060
Aussi, reprenant cette notion, le fondement juridique de la
relation entre le capitaine et le pilote est maintenant énoncé
clairement dans le Code STCW 1995, spécifiant ainsi que le pilote
maritime agit en tant que conseiller du Capitaine, qui reste seul «
maître à bord ». L'Annexe I du présent code
établit que « la présence à bord d'un pilote ne
relève pas le capitaine de ses fonctions et obligations en
matière de sécurité du navire ». Dans tous les
cas, le capitaine garde la responsabilité de la conduite du navire,
l'autorité légale du capitaine est conservée, même
si les pilotes conduisent parfois eux mêmes les navires, « mains sur
les manettes ».
En définitive, le Capitaine, l'officier de quart et le
pilote doivent être capable et travailler ensemble pour la conduite du
navire dans les meilleures conditions de sécurité.
Dans toute l'Europe, le rôle du pilote est de conseiller
le capitaine du navire à l'approche des zones dangereuses crées
par les approches portuaires, à la fois en phase finale de voyage mais
aussi en phase initiale, à l'appareillage des navires. Ces zones
à risques demandent une parfaite connaissance des lieux (courants,
sondes, effets de berges, natures des fonds, effets des marées) et des
installations portuaires, le pilote participant donc activement au
fonctionnement d'un port de commerce. Par ailleurs, ces hommes du lieu,
pratiques de la zone où ils exercent, sont les seuls à pouvoirs
informer les capitaines des usages et coutumes d'un port, ou à pouvoir
communiquer clairement avec les services de lamanage ou de remorquage, tout en
adaptant continuellement leur pilotage aux conditions
météorologiques et aux caractéristiques des navires
pilotés.
Les ports sont aujourd'hui gérés comme des
entreprises commerciales, et ils sont tous internationalement en concurrence
entre eux. Il y a donc de grosses raisons d'augmenter à la fois la
taille des navires, et le trafic dans les ports. Les pilotes, ont, aujourd'hui
le défi de manoeuvrer des navires de plus en plus gros, dans des voies
navigables identiques, pendant des laps de temps parfois réduits et
imposés par des cadences portuaires extrêmement soutenues ; les
risques de l'activité du pilotes augmentent en conséquence.
Dans le cadre de sa prestation, qui de part sa nature, n'est
pas un contrat de travail, mais un contrat de pilotage conclu pour service
rendu, entre l'armateur et le pilote, le pilote peut engager sa
responsabilité à plusieurs niveaux. Bien qu'au niveau
international, aucune réglementation ne traite en particulier la
responsabilité civile du pilote, celui-ci l'engage tant civilement que
pénalement et cela pendant toute la durée du pilotage, envers
l'armateur, mais aussi devant les tiers.
Faces aux risques de l'activité, dans quelles mesures
le pilote, l'État, ou une organisation en charge du service peut il voir
sa responsabilité engagée en cas de dommage lors d'une
opération de pilotage. Quel est le statut actuel de
responsabilité civile des services de pilotage ?
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