Féminisme, genre et développement en Amérique latine: le cas de Novib (ONG néerlandaise )( Télécharger le fichier original )par Zoé Maus Université libre de Bruxelles - DEA pluridisciplinaire 2002 |
Chapitre I: Savoir féministe et Savoirde femmes"L'anthropologie se penche sur la répartition sexuelle des tâches, fonctions, attributions, attributs, etc., dans telle ou telle société, avec souvent le projet de trouver une bonne raison ou deux pour qu'il en soit comme ilen est, que le cru aille à l'un et le cuit à l'autre, à moins que ce ne soit le contraire. Comme si, étant donné l'identité de l'un et l'autre sexe, on pouvait comprendre que le partage symbolique attribue ceci à l'un et cela à l'autre - le strict aux hommes, le flou aux femmes, dans l'ordre de la pensée comme dans celui de la confection, par exemple."23 1. LES RACINESSi le savoir est socialement construit, il a été, pendant longtemps, socialement construit par les hommes et pour les hommes. Les hommes ont été, comme le souligne Marcela Lagarde, les "ma»tres de la parole" qui nomment le monde dans la société patriarcale. C'est à partir de ce monopole du savoir que les hommes ont construit des conceptions qui légitiment et fondent les systèmes de valeurs, les normes, les conditions cosmogoniques et les explications de l'ordre patriarcal.24 Ce savoir est donc construit autour d'un sujet et à partir d'un imaginaire purement masculins. Toutes les théories, sociologiques, psychanalytiques, politiques etc. ont donc été établies à partir de ce regard masculin et donc à partir d'une subjectivité masculine. L'homme et le masculin sont donc les paradigmes de toute l'humanité. Cette conception du savoir légitimateur d'un ordre social patriarcal rejoint en quelque sorte la notion d'idéologie telle qu'elle est définie par Eraly.25 Le contrôle du savoir par les hommes a donné lieu à la hiérarchisation du vivant selon des catégories construites, donnant à l'homme et au masculin un caractère historique, socialement construit, supérieur et valorisé et à la femme et au féminin un caractère naturel, inférieur et dévalorisé. Les hommes ont donc légitimé la domination qu'ils exercent sur les femmes et le féminin par le recours à l'argument de la "nature", des raisons biologiques, inaltérables. Toute une série de caractéristiques soi-disant naturelles sont donc attribuées aux femmes, notamment toutes les caractéristiques qui touchent au corps, à la sexualité et à la maternité. Or, comme le souligne Marta Lamas, penser que quelque chose est naturel c'est le croire immuable. Et c'est justement dit-elle, de la critique féministe du sexe comme étant quelque chose de donné et d'inamovible qu'a surgi l'utilisation de la catégorie "ge nre".26 Comme nous l'avions souligné dans nos définitions précédentes de genre (définitions de Jacquet, de Marques-Pereira27), ce concept a un caractère socialement et culturellement, ancré dans l'historicité, ainsi que dans une démarche intellectuelle large, perpétuellement en mouvement. Le genre serait un ainsi un "momentum concept", selon la terminologie de Hoffman. Pour Hoffman, les "momentum concepts "sont des concepts qui ont une logique égalitaire et antihiérarchique", logique qui permet de rendre compte de manière progressive des différentes phases du concept. 23 LE DOEUFF Michèle, Le sexe du savoir, Aubier, Coll. Alto, Paris, 1998., p. 25. 24 LAGARDE Marcela, Identidad de Genero, Ed. Cenzontle, Managua, 1992, p. 13. 25 voir définition page 8 26 LAMAS Marta, Usos, dificultades y posibilidades de la categor'a de género, in La Ventana, 1:10-61, Universidad de Guadalajara, Mexico, 1995 (version online: http://www2.udg.mx/laventana/) 27 voir pages 10 et 11. Par progres Hoffman entend "mouvement vers l'emancipation". Un "momentum concept" est donc un concept qui peut se "déplier afin qu'il soit possible de continuellement le retravailler pour qu'il réalise encore et encore son potentiel egalitaire et anti-hierarchique".28 Cette conception correspond, ou devrait correspondre, A ce qu'est le concept de genre mais aussi le concept de développement. Le genre, la relation masculin/féminin, est donc l'un des éclairages fondamentaux qui structure le monde A tous les niveaux de son organisation, qu'il s'agisse du symbolique, du politique ou de l'économique. Loin d'être un concept occidental, on s'apergoit également que le genre se retrouve, d'une manière ou d'une autre, dans toutes les sociétés. En effet, dans la plupart des cosmogonies, une relation de genre est élaborée. L'apport de l'anthropologie est A cette égard utile comme le rappelle Frangoise Gaspard.29 Le genre est un concept permettant une analyse globale de la société mais son utilisation implique également de se poser la question du savoir. En effet, si l'on admet que la société est toute entière traversée et modelée par le genre, le savoir qui est constitué l'est également. Utiliser le concept de genre pour définir les conditions d'un changement social serait donc également redéfinir les conditions de la production du savoir sur ce changement. C'est donc pour parer au biais masculin autour du savoir, ainsi que pour élaborer une conception globale de leur situation, que les femmes se sont mises, non seulement A revendiquer un changement sociétal, mais également A faire elles -mêmes des recherches et des études sur les conditions de leur domination, se mettant A la recherche de ce que Delphy nommerait "l'ennemi principal". 30 28 HOFFMAN John, Gender and Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave, New York, 2001, p. 23. 29 Selon Gaspard, l'anthropologie nous permet de relever au moins trois données utiles pour l'analyse des sociétés modernes. La première est que le rapport inégal entre les deux sexes a précédé la constitution de sociétés de classes formées par la division sociale du travail. Ce rapport semble être fondé, y compris dans les sociétés matrilinéaires, sur le fait que l'appropriation par les hommes de sa voirs complexes et dangereux, en raison de la fonction reproductrice des femmes, a conféré aux premiers une aura particulière. La deuxième donnée est que le statut des femmes se serait dégradé avec le développement des inégalités entre les classes, la constitution de sociétés hiérarchisées, le développement de la sphère privée. La modernité jouerait donc contre les femmes qui en seraient, au moins A certaines périodes, les perdantes. La troisième donnée est que le biais androcentrique ne concerne pas seulement l'étude des sociétés primitives, et n'est évidemment pas le propre des hommes. Frangoise GASPARD: La République et les femmes in WIEVIORKA Michel, Line Société fragmentée. Le multiculturalisme en débat, La Découverte, Paris 1997, p.154. 30 Par rapport A cette question de la constitution du savoir, en particulier le savoir développé par les femmes, Michèle Le Doeuff, dans son ouvrage "Le sexe du savoir"30, constate que tant le savoir des femmes que le savoir sur les femmes sont entourés de préjugés masculin s (selon elle le savoir 'a un sexe') qu'il importe de déconstruire car ils influencent A la fois la méthodologie et les résultats du savoir qui est constitué, et ce dans la plupart des domaines. Ceci explique également le mépris dont les femmes sont l'obje t lorsqu'elles s'engagent dans le monde scientifique, voire dans quelque initiative raisonnée que ce soit. Selon certains, "elles ont tendance A développer un mode spécifiquement féminin de connaissances, imprégné d'irrationnel, d'intuition, de rapport affectueux A l'objet, rapport qui délégitime le savoir constitué". Pourtant, ce rapport affectif est nécessaire et inévitable puisque le savoir est issu d'une pratique et d'une situation vécue par un être sensible, qu'il soit femme ou homme. Comme le soulignait Jean Rémy lors d'une conférence donnée A Louvain -la-Neuve en 1997, il est impératif d'associer le mental et l'affectif afin de produire du rationnel car, s'il n'y a rien de plus irrationnel qu'une raison détachée de l'affectif, un affectif détaché du mental est tout aussi irrationnel. Par rapport A la question de l'irrationnel, Le DÏuff se demande 'comment l'intuition est venue aux femmes?' D'un point de vue masculin, l'intuition est traditionnellement opposée A la raison et considérée comme étant une caractéristique plutôt féminine. Elle est définie comme étant une saisie intellectuelle directe de quelque chose de vrai, et ce par différence mais non nécessairement opposition radicale, avec la connaissance médiate ou laborieuse, cette dernière supposant raisonnement, discussion, débat intérieur, dialectique, expérimentation, déduction, langage, administration ou tentative d'administration d'une forme quelconque de preuveÉ ce qu'on appelle, globalement la connaissance discursive. L'intuition fut longtemps considérée comme, primo, un mode important et valide de connaissance, secundo un mode |
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