Le clivage qui existerait entre femmes du Sud
(féministes ou non)se situerait donc dans la lecture - politique,
sociale, économique et culturelle, qui est faite de leurs revendications
par le monde de la coopération, y compris celui des ONG. Nous
évoquerons donc ici quelques unes des critiques qui sont faites par
rapport a l'intégration du genre dans les projets en Amérique
latine.220 Ces quelques critiques nous permettent de voir que, outre
la difficulté a intégrer le genre aux projets, en accord avec ce
que demandent les populations locales, il y a également un "gouffre"
entre ce que disent les ONG et les institutions de développement
(notamment les principes énoncés dans les cadres d'analyse) et ce
qu'elles font sur le terrain.
· le genre: un effet de mode
Le premier ensemble de critiques ont trait a la position des
ONG par rapport a la problématique de genre. Dans la plupart des cas, il
semblerait que les ONG intègrent cette notion dans leurs projets soit
parce qu'elle est "politiquement correcte" et a la mode, soit comme condition a
remplir pour avoir des subsides. Cette remarque soulève plusieurs
questions, notamment celle de la dépendance financière des ONG
par rapport aux bailleurs de fonds (gouvernements nationaux, institutions
internationales, etc.) qui imposent leur critères de financements,
même si ces critères restent de simples concepts a l'ordre du
jour. Selon les associations féministes locales, les ONG
européennes resteraient trop dépendantes de leurs financements,
et n'iraient pas au bout de leur vision politique de peur de perdre de
précieux subsides.
· mode de fonctionnement et structure des
ONG
Une critique est faite également aux changements trop
fréquents de personnel expatrié, personnel qui n'a dès
lors pas l'occasion de réellement comprendre les problèmes
auxquels il doit faire face. Un manque de coordination entre les
différents acteurs de la coopération internationale est
également cité comme étant une des cause du manque
d'efficacité de ces organisations. D'autre part, les projets sont
souvent dirigés par des hommes, peu sensibles, voire réfractaires
a l'intégration du gen re, qui n'est dès lors pas prévue
dans des projets pensés en termes masculins.
Par ailleurs, lorsqu'elle est prévue, cette
intégration du genre est confiée a un expert du genre, souvent
une femme. Dans la plupart des cas, il n'y a pas de coordination avec les
autres composantes du projet et manque donc cruellement de vision globale. De
plus, les ONG ne répondent en général qu'aux besoins
directs des femmes, les considérant comme des
bénéficiaires et non pas comme des citoyennes a part
entière. Cette vision a court terme est d'autant plus flagrante quand il
s'agit d'intervenir dans des pays fréquemment atteints par des
catastrophes et en situation d'urgence quasi permanente (comme c'est le cas en
Amérique centrale - un peu moins en Amérique du Sud).
· vision politique
Une des critiques faites par Mar'a Teresa Blandón, du
Collectif Féministe La Malinche a
Managua, était que les ONG
rechignaient a soutenir les projets visant a augmenter le
220 Les critiques dont nous parlons ici nous ont
été faites par les personnes que nous avons rencontrées
lors de nos voyages en Amérique centrale, notamment par Maria Teresa
Blandon (la Malinche a Managua, 04/10/2000) et An a Leticia Aguilar (Christian
Aid/ La Corriente a Guatemala Ciudad, 13/10/2000).
pouvoir des femmes et surtout à les aider dans la
conquete de l'espace politique dans leurs pays. Cela rejoint ce que nous avions
déjà constate dans la première partie de ce travail.
L'integration des femmes et du genre dans le developpement ne se fait que
lorsque les risques de changements dans la repartition du pouvoir sont
limités pas trop de risques et de changements dans la repartition du
pouvoir. La "vision de genre" reste des lors souvent limitée aux projets
de femmes pour femmes, invisibilisant les femmes du reste de la dynamique de
developpement et reproduisant les modeles autoritaires et patriarcaux
existants.221 Dans les faits les actions et projets des ONG
s'opposent à la construction des femmes comme sujet politique.
relations inegalitaires et
instrumentalisees
Selon Ana Leticia Aguilar, c'est une relation inegalitaire
que celle qui se cree entre la Cooperation internationale et les organisations
locales. En effet, la difference est enorme entre les deux parties, tant en
termes de capacités de reflexions, de connaissances sur leurs actions et
vecus, et d'acces et de divulgation des informations222 qu'en termes
strategiques et materiels. Cette relation renforce bien evidemment la
dependance dans laquelle se trouvent les organisations locales par rapport
à la "cooperation internationale".
D'autre part, alors qu'elles devraient n'etre que de simples
"facilitatrices", les ONG se transforment en executrices de projets. Ceux-ci
courent alors le risque d'être completement eloignes des preoccupations
et attentes des populations bénéficiaires. Cette "usurpation" se
fait au detriment d'un partenariat veritable, qui serait basé sur une
communaute d'interets entre ONG et organisations locales visant à la une
societe plus egalitaires.
Si leur projet de développement est de contribuer
à l'autonomie des populations du Sud, des femmes en particulier, il est
indispensable que les ONG reconsiderent leurs fagon d'agir et soient plus
cohérentes avec cet objectif. Il faut que les ONG elles-mêmes
cherchent leur autonomie par rapport au systeme institutionnalisé de la
cooperation internationale.
221 MONTENEGRO Maria Elena, VISSERS Cita et
VOLIO Roxana, Una cuenta pendiente? Género y
coopéraci--n internacional en Centroamérica, San
José, 1997, p. xi.
222 Les ONG ont en effet un grand accès aux
diverses sources d'informations, que ce soit les informations provenant des
gouvernements ou institutions internationales, les statistiques, et autres
données relatives aux populations locales. Ces dernières n'y ont
pas toujours accès.