Le premier clivage que nous voyons est celui qui oppose les
féministes d'une part, les mouvements de femmes d'autre part. Cette
opposition semble être une constante du mouvement des femmes de ces
vingt-cinq dernières années.
Ce clivage s'articule autour de plusieurs points de tensions
relatifs à la question "Qui représente et comment les
intérêts des femmes", en particulier les intérêts des
femmes de classes populaires? Cette tension a notamment été
exacerbée par les partis de gauche et par les structures conservatrices
(telles l'Eglise). Pour des raisons différentes, celles-ci ont soit
diabolisé le féminisme soit jugé qu'il y avait un "bon" et
un "mauvais" féminisme. Les partis de gauche voyaient le
féminisme comme un concept impérialiste. La révolution et
le socialisme détruiraient automatiquement toutes les
inégalités, y compris les inégalités de genre.
L'Eglise, dont la conception de l'émancipation féminine est assez
restreinte, était contre une série de revendication progressistes
des féministes, notamment l'avortement. tant la gauche que l'Eglise
estimaient également que le féminisme était un mouvement
intrinsèquement bourgeois et susceptible de diviser l'unité de la
lutte de la classe ouvrière. Les "movimientos de mujeres" actifs dans
l'organisation des femmes pauvres ou de la classe ouvrière sont pour la
plupart liés à ces structures. Ces movimientos mettent l'accent
sur la modification des conditions de vie de ces classes sociales plutTMt que
sur l'oppression et la
196 MOLINA Natacha, opcit, p.9.
197 Pour cette partie sur l'opposition entre
movimientos et féministes, nous nous basons essentiellement sur
l'article que Nancy Saporta STERNBACH (et. alii) a consacré aux cinq
premiers Encuentros féministes. STERNBACH Nancy Saporta (et.
alii), Feminisms in Latin America: From Bogota to San
Bernardo, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction
de), The making of the social movements in Latin America.
Identity, strategy and democracy , Westview Press, Boulder, 1992,
subordination de genre. Les femmes de ces mouvements ont
souvent évité de défendre des thématiques
féministes classiques de peur de s'aliéner leur base sociale.
Les femmes se proclamant "féministes" refusent de
choisir. Elles estiment qu'il est indispensable de travailler sur les deux
fronts (équité sociale et équité de genre) et ont
une vision féministe qui englobe politique, culturel et
société. Si elles se centrent essentiellement sur les
thématiques de femmes, leur objectif est de sensibiliser dans toutes les
sphères de la vie en société aux différentes
oppressions des femmes. Le féminisme est selon elles une pratique
politique complète, qui doit constitue un mouvement autonome des
structures existentes dont elles critiquent la structure patriarcale (Etat,
partis, syndicats). Les "feministas" sont souvent
considérées comme appartenant à la classe moyenne. Ce
facteur, conjointement à une certaine "intellectualisation" de leurs
actions, a contribué
au conflit qui
les opposent aux femmes des "movimientos de mujeres"
.
Cette opposition est le reflet des différentes
perceptions de la situation des femmes et des moyens à utiliser pour
changer cette situation. Elle est notamment visible, comme nous l'avons vu,
dans les différentes grilles d'analyse et approches du FED. Ces
approches ne seraient donc que le reflet exacerbé et figé des
positions existantes dans la société.