Chapitre II: L'autonomie comme
alternative au dispositif de
Développement
Dans ce chapitre nous allons donc nous attacher à
definir dans les grandes lignes ce que pourrait etre une action de
developpement qui choisirait de "sortir du dispositif" et emprunterait le
chemin de l'autonomie plutTMt que celui de l'institutionnalisation ce qui
permettrait une reelle integration du genre dans la "problématique de
developpement".
Nous definirons d'abord brievement ce que nous entendons par
institutionnalisation, que nous distinguerons de la notion de
transversalisation, pour aborder finalement la question de l'autonomie.
Celle-ci passe tout d'abord par une reconstruction et une reappropriation des
savoirs, tant individuels que collectifs. Nous analyserons ensuite ce que
l'autonomie peut representer au niveau individuel et collectif pour ensuite
voir comment elle peut etre mise en Ïuvre dans le cadre des relations de
developpement et plus particulierement en quoi l'autonomie peut mener à
des pratiques sociales qui ne viseraient pas à permettre aux individus
(femmes ou hommes) de renforcer les relations de pouvoir et de domination. Ces
pratiques viseraient au contraire à augmenter la puissance des acteurs
sociaux. Comme nous le verrons, la puissance implique en effet une evolution
permanente, un processus qui, selon Benasayag, n'accepte aucune forme "finale".
Ce serait donc un retour à un reel developpement, dans ce que ce terme a
de dynamique.
1. L'INSTITUTIONNALISATION: RISQUES ET PROFITS
Nous avions dans le chapitre precedent separe les approches FED
et GED en deux
categories selon qu'elles nous semblaient ou non participer
à une demarche novatrice ou au contraire au maintien d'un statu quo.
Les approches que nous avons mises dans la première
categorie (approches bien-etre, antipauvrete et efficience) -voir tableau p. 52
- concoivent les programmes et projets dans lÕoptique de "rendre la vie
des femmes plus facile et de les aider dans lÕaccomplissement des
t%oches". On travaille alors à lÕamelioration et à
lÕallegement des t%oches qui leur sont assignees. C'est leur integration
dans le systeme economique mondial et leur participation au developpement qui
est recherchee. On incite notamment les femmes à travailler à
l'exterieur, à créer des entreprises, à dépasser le
caractere Ç informel È de leurs activites productives. Des trois
rTMles qui sont ceux des femmes (rTMles reproductif, productif et social), il
n'en est reellement promu quÕun seul: le rTMle productif. Ce sont
essentiellement aux besoins pratiques que l'on tente de repondre, au detriment
des rTMles strategiques.
Nous qualifierions la methode d'institutionnelle. D'une part
parce que l'on observe que cette facon de travailler se retrouve
essentiellement dans les institutions
internationales (Banque Mondiale, FMI, agences de l'ONU) et
d'autre part parce qu'elle favorise la reproduction du systeme existant. Les
femmes y sont encore, dans une large mesure, considérées comme
passives ou alors comme devant s'integrer dans un système donne, avec
des objectifs predefinis pas les agences de developpement ou les institutions.
Nous sommes totalement dans le cadre d'un dispositif tel que nous l'avions
decrit dans la première partie. Le terme d'institutionnalisation se
refere dans ce cas à l'intégration, à l'absorption dans un
dispositif, dans une structure figee d'un element donne, element qui en
sortirait legitime mais egalement affaibli.
On peut concevoir cette institutionnalisation au niveau
individuel (l'individu peut à la fois participer
à l'institution, en faire partie ou bien être "géré"
dans son individualité par cette structure), collectif
(les groupes, organisations et associations sont
intégrées ou non dans l'organisation, leurs revendications sont
relayées ou encadrées au niveau structurel), et
organisationnel (l'organisation des différents aspects
des relations sociales est gérée au niveau des institutions et ce
qui en "sort" n'est pas reconnu comme légitime). Ces trois niveaux sont
pareillement utiles dès lors qu'on analyse le genre dans le
développement. On pourrait donc constituer un tableau dans lequel nous
verrions le "niveau d'institutionnalisation" pour les individus, les collectifs
et les organisations d'une part, quel est ce niveau pour les "concepts" tels le
genre d'autre part. En quelque sorte, on observerait quel est le degré
d'intégration au système, au dispositif, de ces
éléments.
Cette institutionnalisation des concepts peut être
comparée mais pas confondue avec la transversalisation. Nous avons vu
dans le chapitre précédent que le genre (et la
problématique femmes) tendait à être
"transversalisé" dans les institutions et ONG. Alors que la
transversalisation permet d'aborder la question du genre dans tous les secteurs
de la vie sociale et dans toutes les activités d'une organisation, et
correspond à un processus de déconstruction - reconstruction de
nos savoirs, l'institutionnalisation a un aspect statique qui laisse entrevoir,
plutôt qu'une amélioration, un statu quo dans
l'organisation sociale. Ce statu quo serait contraire aux aspirations
féministes comme le souligne Garcia Castro. Pour elle,
l'institutionnalisation signifie pour les mouvements de femmes en
général et le féminisme en particulier, "le passage d'un
contre-pouvoir à un pouvoir sans pouvoir, à une
représentation au cÏur même du discours
officiel".143 Elle poursuit en montrant que l'institutionnalisation
du féminisme signifie le plus souvent lier le genre à des
mesures, (É) qui n'accomplissent pas l'objectif majeur du
féminisme: être une position, une critique des pouvoirs,
même du féminisme comme savoir-pouvoir. Revendiquer le genre
suggère transition, défi, questionnement, réinvention de
la femme ou de l'être féminin dans l'humain, mais aussi se relier
à d'autres langages, d'autres systèmes de refus des oppressions
et à des systèmes revendiquant des manières
singulières d'exister.144 Cette définition nous
permet de montrer en quoi le féminisme a pour vocation la
création de nouveaux savoirs ainsi que la mise en réseau avec
d'autres formes de refus des oppressions.
La seconde facon de travailler sur le genre (dans laquelle
nous avions inclus l'approche d'empouvoirement, l'analyse des relations
sociales et la "transversalisation" du genre) serait ainsi plus à
même de répondre aux aspirations féministes mais
également à une réelle intégration du genre dans le
développement. Nous qualifions cette méthode d'autonome. Cette
facon de travailler, en abordant la question de l'inégalité entre
les hommes et les femmes (par exemple via la modification des lois
discriminantes ou l'augmentation de l'accès des femmes à la
terre), remet également en cause l'ensemble des relations sociales et
dénonce les institutions (politiques, sociales, économiques)
fondées sur le patriarcat.
Nous noterons ici que le concept d'autonomie est utilisé
dans certains textes d'institutions145, notamment dans les textes
de politique de développement des Pays-Bas. Lorsqu'on analyse les
critères d'autonomie tels qu'ils sont exprimés dans ces
textes146, nous sommes en droit
143 GARCIA CASTRO Mary, Le pouvoir des
genres à l'époque du néo-libéralisme. Line
réflexion de gauche sur les féminismes en Amérique
latine, in Rapports de Genre et mondialisation des marchés, in
Alternatives Sud, Vol. V n° 4, 1998, p. 54.
144 GARCIA CASTRO Mary, idem, p. 52.
145 Le terme "autonomie" est apparu dans les textes relatifs au
développement à la fin des années 70 pour ensuite
être remplacé par le concept de "participation active"
146 et qui se base sur des textes de l'OCDE. Voir PRONK
Jan, Comment mettre en Ïuvre le concept d'autonomie (extrait
de Policy and Development: Analysis and Policy, La Haye, Ministery of Foreign
Affairs, 1992) in
d'être sceptiques par rapport à la convergence
entre la conception d'autonomie telle qu'elle est défendue par des
groupes tels DAWN et celle qui est inscrite dans les textes de la
coopération hollandaise. En effet, le fait même que l'autonomie
soit utilisée comme outil, comme mesure d'évaluation du projet
retire une grande partie de son potentiel de changement. Il nous semble en
effet que mesurer l'autonomie des femmes à l'aune de critères
prédéfinis risque de transformer l'autonomie en un critère
de plus à ajouter à la longue liste de critères
d'après lesquels "l'intégration des femmes dans le
développement" est évaluée. C'est bien évidemment
d'une autre conception que nous voulons parler ici.
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