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Féminisme, genre et développement en Amérique latine: le cas de Novib (ONG néerlandaise )

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par Zoé Maus
Université libre de Bruxelles - DEA pluridisciplinaire 2002
  

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B. Les approches pratiques

110 MOLYNEUX MAXINE, Mobilization without emancipation? Women's interests, the State and Revolution in Nicaragua, in Feministe Studies , summer 1985, vol. 11, n°2, p.227-235 (traduction partielle in: BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une problématique, Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 123-132.

111 idem

112 MOLYNEUX, opcit., p. 128.

i. Bien-etre

Cette approche, descendante directe du colonialisme, voit les femmes comme des beneficiaires passives du developpement et se focalise sur leur rTMle reproductif. L'objectif est d'en faire de "bonnes meres". Selon cette approche, le fait que les femmes élèvent les enfants est le rTMle le plus important pour le developpement economique. Les mesures prises sont essentiellement basees sur l'aide materielle (alimentation, sante, etc.) visant au bien-etre des familles. C'est une vision 'top down', tres paternaliste de la cooperation. Les femmes y sont identifiees comme un groupe vulnérable qu'il faut proteger. En general ces programmes instrumentalisent les femmes (auxquelles n'est pas reconnu un quelconque droit au contrTMle de leur corps) et ne répondent qu'à leurs besoins pratiques (parfois maladroitement113). Alors que les hommes sont des hommes, et que leur rTMle en tant que peres est passé sous silence, les femmes ne sont que des meres. Cette approche fait l'impasse sur les relations entre hommes et femmes et ne remet pas en cause la divis ion traditionnelle des rTMles. En etant tres politiquement correcte, cette approche, datant des annees cinquante, est toujours largement utilisee de nos jours, notamment et principalement dans l'aide d'urgence.

Au vu des nombreuses critiques que cette approche suscitait, et sous l'impulsion des Nations Unies qui met sur pied la "Decennie des Nations Unies pour les Femmes" (1976- 1 985), des alternatives à l'approche de bien-etre appara»tront. Caroline Moser souligne que ces alternatives, contemporaines, ont souvent ete confondues et englobees dans la meme categorie fourre-tout de l'approche Femmes et développement alors que d'evidentes nuances doivent etre soulignées. 114

ii. Equite

En 1979 est publiee la "Convention sur l'elimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes". Celle-ci contribue à l'elaboration d'un cadre legal pour la reconnaissance des droits des femmes (education, services, credits, etc.) meme si ce cadre legal n'est pas synonyme d'amelioration dans la pratique.

L'approche de l'equite est en quelque sorte l'approche Femmes et Développement originale. Cette approche reconna»t la femme comme participante active au developpement, tant dans son rTMle productif que dans son rTMle reproductif. Elle n'est donc plus seulement une mere. L'approche essaye d'eviter trois erreurs communement commises par les "planificateurs du developpement": l'omission du rTMle productif des femmes, le renforcement de leur rTMle reproductif, et enfin l'utilisation de valeurs occidentales pour juger du travail des femmes. L'objectif de l'approche est de reduire les inegalités entre les hommes et les femmes et se concentre particulierement sur la division du travail, prenant ainsi en compte les besoins strategiques des femmes, et non plus seulement ses besoins pratiques.

L'influence des feministes occidentales, notamment des americaines est tres forte115 et ce
malgre l'intention de l'approche d'être plus à l'ecoute de la realite du terrain. C'est d'ailleurs

113 A ce sujet, il m'a été raconté par Maria Teresa Bland--n de la Malinche à Managua que, lors des programmes d'aide humanitaire d'urgence mis en place après l'ouragan Mitch en Amérique centrale, les ONG européennes et américaines, pourtant nombreuses, n'avaient pas pense à insérer des tampons, serviettes hygiéniques et pilules contraceptives dans les paquets d'aide distribués aux femmes. Par contre, biberons, langes, lait en poudre et autres produits pour les enfants avaient bien été integre. Ce sont finalement les associations féministes locales qui ont du fournir ce dont les femmes avaient besoin.

114 MOSER Caroline O.N., Planificación de género y desaro llo: teoria, practica y capacitación, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995., p. 100.

115 Celles-ci mettent l'accent sur les desavantages des femmes provenant des stereotypes diffuses par les hommes
et internalises par les femmes, lesquels sont promus par les "agences de socialisation" (écoles, états, etc.). Pour
contrer cela, elles préconisent de donner aux femmes une meilleure education, plus de diversité dans les rTMles

en partie à cause de cette influence que l'approche équité sera accueillie avec méfiance. En effet, tant les organismes de développement, que les gouvernements du Sud et même les femmes du Sud considèrent qu'il s'agit là d'une approche ethnocentrique et bourgeoise. Mais c'est surtout la redistribution du pouvoir que sous-tend l'approche ainsi que la tentative de répondre aux besoins stratégiques des femmes qui la rend difficilement acceptable, peut importe d'oü vient l'idée.

Toutefois, dans l'approche équité, les mesures prises sont pour la plupart des mesures institutionnelles, selon une logique 'top-down' qui ne permet pas vraiment une réelle autonomie des femmes. Il s'agit de lois, de mesures légales, qui ne constituent pas une remise en question en profondeur de la structure patriarcale de la société. L'Etat joue ici un grand rôle dans la conception de ces mesures. Cette démarche répond à l'idée que si l'on accepte que les femmes soient présentes aux postes de décisions, l'équité sera obtenue. Or nous avons vu dans le chapitre précédent non seulement qu'il n'en était rien, mais également que, le plus souvent, les femmes jouent un rôle d'exécutantes de tâches qui incomberaient normalement à l'Etat et aux structures étatiques. L'instrumentalisation des femmes, leur intégration au marché correspondrait ainsi à un désengagement de l'Etat dans des domaines qui devraient être de son ressort (santé, éducation, É) d'une part, à la privatisation du social d'autre part.116

Nous soulevons également la confusion, ou l'absence de différenciation qu'il y a entre "équité" et "égalité" dans cette approche. L'objectif de cette approche est de mettre en place des mesures de discrimination positive permettant aux femmes de combler le retard qu'elles accusent envers les hommes. C'est dans une perspective de réduire les inégalités formelles, et avant tout légales, entre hommes et femmes que ces mesures sont mises en Ïuvre et non pas pour essayer de renforcer l'équité (et donc la "justice") entre hommes et femmes. Cette approche n'est donc pas tellement propre à réduire la subordination des femmes, ni à renforcer l'équité. Elle aurait plutôt tendance à faire abstraction des différences entre hommes et femmes, mais également des différences entre femmes.117 ce qui ne correspond évidemment pas à l'objectif de départ.

qui leur sont proposés et une égalité de traitement (revendications touchant à l'égalité des chances dans le domaine du travail, etc.).

116 Au Nicaragua, suite à l'Ouragan Mitch, l'Etat s'est totalement désinvesti du problème de la reconstruction, laissant cette tâche à l'Eglise catholique, mais également aux ONG. (entretien avec Maria Teresa Bland--n, septembre 2000).

117 Nous reviendrons sur cette thématique dans le chapitre sur les féminismes latino-américaines.

iii. Anti-pauvreté

Selon Moser, cette approche est une version "suavizada de tono" (édulcorée) de l'approche de l'équité.118

Selon cette approche, l'inégalité économique entre hommes et femmes n'est pas liée à la subordination mais à la pauvreté. C'est donc en réduisant la pauvreté des femmes que leur inégalité sera réduite.119 C'est parce que le rôle productif des femmes n'est pas assez développé qu'elles sont "subordonnées". Et c'est donc en développant des projets générateurs de revenus pour les femmes que cette subordination cessera. Cette conception est donc centrée sur les femmes pauvres sans mettre l'accent sur le lien entre la pauvreté des femmes et les relations hommes/ femmes. Il s'agit plutôt de mettre en avant le fait que les femmes ne sont pas uniquement des bénéficiaires mais qu'elles peuvent également jouer un rôle important dans le développement par leur productivité. Les inégalités hommes-femmes sont dues en partie au fait qu'elles n'ont pas accès à la propriété privée de la terre ou du capital.

L'objectif est que les femmes contribuent efficacement à répondre aux besoins de leurs familles. Les projets mis en place visent donc à générer des revenus pour les femmes. On part de l'idée que les femmes ont de toute facon beaucoup de temps libre (puisqu'elles ne travaillent pas de ma nière visible) pour diversifier leurs activités et s'investir

dans des activités productives. Par les aides qui leur sont accordées, les agences de développement incitent les femmes à améliorer leurs performances et à étendre leurs activités économiques, le plus souvent dans les domaines qui sont traditionnellement les leurs (couture, cuisine, artisanat, etc.), doublant ou triplant ainsi leurs journées.

Or, comme le souligne Moser, "les projets de génération de revenus ne satisferont le besoin pratique de genre d'avoir un revenu que dans la mesure oü ils déchargent les femmes d'une partie du travail domestique et de l'éducation des enfants."120 De plus, ces projets n'ont en réalité que peu de résultats car la question de redistribution des ressources dans la sphère privée et le changement d'attitudes et de comportements n'a pas été privilégiée. Ces projets n'ont donc eu aucune influence sur la réduction de la marginalisation économique des femmes.

iv. Efficacité / Compétences

Il s'agit de la troisième approche FED. C'est sans doute dans celle-ci que l'instrumentalisation des femmes est la plus criante (même si cette instrumentalisation était sous-jacente dans les approches précédentes). Il s'agit vraiment de s'assurer que le développement soit efficace gr%oce à la contribution économique de la femme. Cette approche est celle des institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, OCDE). Pour illustrer la vision de ces institutions, Moser cite la Banque Mondiale qui dans un de ses rapports dit ceci: "Si l'on laisse de côté les questions de justice et d'équité, le manque disproportionné d'éducation pour les femmes, avec ses conséquences sur la productivité, (ainsi que sur) la nutrition et santé de leurs familles, a des effets négatifs à long terme sur l'économie. "121

Cette approche co
·ncide avec la crise économique vécue par les pays du Sud et les solutions
proposées par les institutions, notamment les programmes d'ajustement structurels. Pour la
réussite de ces programmes, il était indispensable de pouvoir compter sur la main-d'Ïuvre

118 MOSER, opcit., p. 106.

119 AJAMIL Menchu, La vision de género en la cooperaci--n internacional. Trayectoria historica y perspectivas, s/l, s/d

120 MOSER, opit, p. 110.

121 MOSER, p. 111, note de bas de page.

feminine souvent gratuite. Si dans les approches precedentes les femmes etaient déjà considerees implicitement comme pouvant remplir toute une série de t%oches benevolement au sein de leur communauté, cette participation est explicite dans l'approche de l'efficacité. Ne s'agit-il pas d'une extension naturelle de leur rTMle reproductif?122 Elle a egalement eu pour conséquence que les femmes sont devenues LE groupe cible qui allait resoudre tous les problèmes si on axait les politiques sur lui, et gr%oce auquel les objectifs de developpement pourraient etre atteints. Peu importe finalement si les interets des femmes sont rencontres à long terme. Les femmes devenant ainsi une panacee qui devait pallier les insuffisances structurelles tout en faisant face à une charge de travail parfois doublee, voire triplee. Les programmes d'ajustement structurel faisant evidemment abstraction du rTMle reproductif des femmes puisque seuls les biens et services du marche economique ainsi que la production de liquidites pour la subsistance sont pris en compte dans l'economie.

Cette approche est donc tres populaire tant aupres des institutions internationales d'aide qu'aupres des gouvernements nationaux. Elle signifie pour eux un déplacement des coûts de l'economie remuneree vers l'economie benevole gr%oce à l'utilisation du temps "libre" des femmes.123 Cette approche signifie egalement une diminution drastique des depenses sociales de l'Etat, ce qui a des repercussions negatives sur la satisfaction des besoins pratiques des femmes et un durcissement de leurs conditions de vie. L'objectif serait donc non seulement de "formaliser" le travail des femmes, mais egalement de le privatiser et de l'individualiser.

Cette approche etant aujourd'hui l'une des plus populaire au niveau institutionnel, nous pouvons mettre en doute l'amelioration du sort des femmes d'une part, l'efficacite des programmes de developpement d'autre part. En effet, s'il est admis que la femme a un rTMle essentiel à jouer dans le mieux-etre de sa societe, il ne peut etre mis en doute que si elle continue à etre instrumentalisee comme elle l'est aujourd'hui, le sort des pays du Sud reste incertain.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery