DU FED AU GED: L'EVOLUTION
DU DISPOSITIF DE
DEVELOPPEMENT
Chapitre I: Des Femmes dans le
développement (FED) au Genre et
développement (GED)
1. DEVELOPPEMENT ET COOPERATION AU DEVELOPPEMENT: UNE
INTRODUCTION
On l'a vu au chapitre précédent, le langage est
important et les mots utilisés pour désigner telle ou telle
réalité diffèrent d'une langue à l'autre. Ainsi,
dans certaines langues africaines, 'développement' se
traduit-il par 'le rêve du blanc'. Cette petite anecdote
illustre à la fois l'importance du langage (comme nous l'avions
déjà souligné au chapitre précédent), mais
également le caractère occidental du développement et par
extension de la coopération au développement.
La coopération au développement est en quelque
sorte un monde à part dans les relations internationales81
même si l'on se rend compte (et on le montrera) que le
développement participe évidemment de la même logique que
l'ensemble des relations internationales, économiques, politiques ou
sociales.
L'appellation "coopération au développement"
prête le flanc à de nombreuses questions et critiques: Quel
développement est poursuivi? Quelle coopération est
envisagée et qu'est-ce que coopérer? Quels sont les acteurs qui
sont impliqués dans cette "coopération"? Comment
interagissent-ils entre eux? Et quels sont les résultats pour les
populations qui sont censées bénéficier de ces programmes
de développement.
En nous basant sur les conclusions que nous avons pu tirer de
l'analyse de la constitution des savoirs féministes et des savoirs de
développement, et les liens qu'il y a entre ceux-ci et les structures de
pouvoir dans ce qu'on a désigné sous le terme de "dispositif de
développement", nous pouvons tirer quelques conclusions sur la
'philosophie' sous-jacente au développement et aux activités de
coopération, car c'est cette action de coopérer, de
collaboration, de partenariat qui nous intéresse.
Pour commencer, nous pouvons dire, comme le souligne Escobar,
que les discours du développement ont 'fonctionné comme de
puissants instruments pour faconner et gérer le Tiers - Monde'.
82Selon lui,
'la description du Tiers-Monde comme étant
sous-développé a constitué un élément
essentiel de la globalisation du capital dans l'après deuxième
guerre mondiale. (É) un discours culturel a été
élaboré qui a non seulement placé le Tiers-Monde dans une
position d'infériorité mais l'a aussi, plus efficacement et plus
clairement que jamais, assujetti à l'action scientifique, normalisatrice
des technologies occidentales politico-culturelles, d'une facon plus
dévastatrice que son précédent colonial.
Les individus et les situations sont donc décrits comme
étant en besoin absolu d'une aide et de solutions extérieures,
aide que le développement se propose d'apporter. Cette remarque rejoint
pleinement le constat que la coopération au développement
participe d'un processus plus large, basé sur le capitalisme et le
libéralisme, qui a pour objectif que le monde
81 Cette observation vaut surtout pour le versant ONG de la
coopération au développement et donc sa partie
indépendante, autonome des états et des institutions
supranationales (ONU, BM, FMI, OMC, etc.).
82 ESCOBAR Arturo, Culture, economics and
politics in Latin American social movements theory and research, in
ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The
making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and
democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 65.
devienne un vaste marché, dans lequel le
libre-échange et la liberté d'entreprendre prévaudraient.
En parallèle, il y a certes un désir que ce libéralisme se
fasse au profit de tous, mais dans les faits il semble que ce soit loin
d'être le cas. Dans cette situation, le choix de l'autonomie,
définie au niveau individuel, mais également au niveau collectif,
comme mode d'action, qu'il soit opposé ou complémentaire à
une participation institutionnelle au développement, nous parait
indispensable. Nous nous intéresserons d'autant plus à ce clivage
autonomie-institutionalisation qu'il est omniprésent dans les mouvements
féministes en Amérique latine, comme nous le verrons plus
loin.
A. Coopération et Développement: un bref
historique
C'est au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale que la
coopération au développement est née, jetant les bases de
ce que nous connaissons actuellement. A l'époque, il s'agissait d'une
part d'aider l'Europe à se reconstruire et d'autre part d'enrayer la
progression du communisme. Pour ce faire, il fallait aider les pays
susceptibles de basculer "à l'Est" en leur fournissant des moyens
financiers, techniques et militaires. Très vite la coopération
s'est scindée en deux parties: l'aide à la croissance
économique, dite "coopération au développement" et l'aide
d'urgence.83
Durant les années soixante et septante, alors que
l'accent avait été mis sur le "développement", et pendant
que la croissance des pays occidentaux ne cessait d'augmenter, les pays du Sud
voyaient leur situation se dégrader. Si la stratégie de
développement mise en place visait l'accroissement de la production en
général, de la production de nourriture en particulier, les
nations défavorisées étaient en réalité
dépossédées de leurs ressources par le tout à
l'exportation et le délaissement de l'agriculture de subsistance
pour l'industrialisation massive (accompagné dans certains cas par un
démantèlement de l'Etat). Alors que si les intentions semblaient
aller dans la direction d'un regain d'autonomie pour les pays du Sud, c'est au
contraire une relation de domination du Nord sur le Sud qui s'est
installée.
Suite à cet échec, l'accent a été mis
sur
la satisfaction des besoins essentiels, sur le retour à
un "développement à visage humain". Les pays en
développement exigeaient de pouvoir prendre part à leur
développement, de participer à l'élaboration des
décisions les concernant et surtout revendiquaient une
répartition des ressources mondiales et des échanges commerciaux
plus égalitaire, qui ne corresponde plus tant à un réel
développement qu'à une réelle coopération. Guy
Hermet dit à cet égard que
le développement ne devient effectif et digne de ce nom
que s'il modifie les hiérarchies et les rTMles, et cela
en reposant dans une mesure suffisante sur une dynamique interne
capable d'engendrer une mobilisation à la fois
productive et morale de la population en cause.84
Or cette modification hiérarchique des rTMles, tant au
niveau international qu'au niveau interpersonnel, est restée lettre
morte. La dynamique interne, permettant aux citoyens de prendre en mains leur
propre destin a été longtemps mise de cTMté
également.
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