7.4 Habitats informels, cités sensibles et
ghettos : éléments de comparaison
Il serait difficile de faire une comparaison entre l'habitat
informel de Niamey, les cités sensibles françaises et
les ghettos américains compte tenu de l'évolution sociopolitique
et économique des pays. Cependant, des éléments communs
d'appréciation existent. La politique de zonage qui de fait
entraîne une séparation entre les catégories
socioprofessionnelles ou du moins entre les riches et la classe moyenne et
pauvre est un phénomène qui existe même dans les grandes
démocraties. Ce processus aboutit à une séparation entre
les différentes catégories et conduit à la
relégation. Il en est ainsi des EtatsUnis d'Amérique par exemple
où selon STEBE J.M (2002), il a été
développé une politique de zonage dans le but de séparer
les populations aisées des pauvres, et qui a fini par aboutir à
l'exclusion raciale. Toutefois, en citant SCHELLING, STEBE note que les
populations peuvent constituer involontairement des ghettos dans le seul souci
de rapprochement entre individus partageant certaines affinités. Aussi,
l'agrégation spatiale d'individus partageant certaines valeurs (ethnie,
région, etc.) conduit-elle ipso facto à la naissance
d'un ghetto sans jamais qu'il n'aie existé dans l'esprit des habitants
d'en créer. Cette conception du ghetto est remarquable à Niamey
au niveau du secteur informel du Golf où la séparation entre les
communautés est très marquée. En dehors des
éleveurs et des non éleveurs dont la répartition
géographique est nette à travers le secteur, les trois
communautés dominantes ont chacune un chef de communauté. Il
existe ainsi, un chef Zarma, un chef Haoussa et un chef Peul. Ces
trois chefs sont en fait des sous-chefs car le chef de
quartier est celui du quartier Banifandou qui est celui reconnu par la
Communauté Urbaine de Niamey. Les autres servent d'intermédiaires
entre leurs communautés et ce chef de quartier qui est censé les
défendre au niveau de l'administration. De ce point de vue, le secteur
de Golf peut être considéré comme un ghetto car il remplit
les critères énumérés par STEBE pour en être
qualifié. Il est en effet, sous la tutelle d'une autorité
extérieure, il est géographiquement délimité et
regroupe des communautés partageant une même identité
culturelle. C'est également une microsociété
constituée d'un ensemble diversifié économiquement,
socialement et professionnellement. En outre, c'est un espace
déconsidéré par l'image humiliante que la
puissance dominatrice et même certains habitants de la ville
répandent à son sujet.
Selon le même auteur, on ne peut pas comparer les
ghettos américains aux quartiers défavorisés des
périphéries des villes françaises dont la
précarité est le seul critère commun pour les occupants.
Cette situation est la même que celle qui prévaut à Niamey
où les squatters appartiennent à des communautés et
à des cultures différentes. Ils se sont retrouvés dans des
espaces où la faiblesse du niveau de vie semble être le seul
élément commun. Cependant, contrairement aux ghettos
américains, l'habitat informel de Niamey constitue non pas
l'étape nécessaire dans le processus d'insertion mais
plutôt une phase ultime d'insertion dans la vie citadine. Les chefs de
ménage ne sont pas des néo-citadins contrairement à une
assertion largement répandue. En effet, la durée moyenne de
séjour des chefs de ménage dépasse la décennie. Ils
sont en effet, 68,3% à vivre à Niamey depuis au moins 15 ans et
77,2% des squatters résident à Niamey depuis au moins 10 ans
(ISSAKA H. 2004).
Le resserrement communautaire dont parle STEBE
s'organise au niveau des villages urbains comme Goudel, Gamkallé, Saga,
etc. Après avoir passé des années dans ces villages
où la vie ressemble à celle de la campagne, les ruraux nouent des
alliances avec les habitants de ces villages et finiront par faire des
économies avec lesquelles ils finiront par acheter un lopin de terre
auprès des propriétaires coutumiers. Derechef, les ghettos
américains sont situés au coeur des villes et
peuplés d'ouvriers alors qu'à Niamey, dans les quartiers centraux
comme Maourey, Banizoumbou, Kalley etc., on ne trouve principalement que les
Niameyzés (originaires de Niamey) qui considèrent les
habitants des périphéries (qu'ils soient en zone lotie ou
informelle) comme des Kawi-izés (campagnards) ou
Tché-kanda (étrangers). Mais depuis le début de
l'année 2000, le centre est en train d'être acheté par ceux
qui sont appelés les nouveaux riches qui sont en train de
construire des buildings à la place des maisons en banco transformant le
centre ville en un véritable centre d'affaires et culturel avec les
banques, les instituts privés, etc.
Pour faire simple, nous allons nous baser sur les cinq
critères établis par WACQUANT L. cité par STEBE (2002)
afin de comparer les trois types d'habitat qui évoluent dans des
conditions sociopolitiques et économiques pour le moins inégales
:
- la taille, c'est un élément de comparaison qui
fait des ghettos américains une spécificité : le ghetto du
West Side à Chicago comptait 300 000 habitants alors que la Cité
de 4000 à La Courneuve, l'une des plus importantes cités
sensibles françaises n'accueillait que 14 500 personnes réparties
dans 3 600 logements. A Niamey, la ceinture verte est la plus grande
concentration de paillotes dans la ville sur une bande de près de 250
à 700 m de large sur 8 km de long et abrite près de 30 000
habitants soit environ 4% de la population totale de Niamey en 2005.
- L'homogénéité ethnique ou raciale des
mal logés constitue le deuxième critère de comparaison.
Sur ce plan, une certaine exclusivité de la population noire s'observe
dans les ghettos américains. Par contre en France les banlieues
défavorisées se caractérisent par leur
hétérogénéité avec par exemple plus de 80
nationalités à Sarcelles dans la banlieue parisienne (STEBE
2002). C'est presque le même phénomène à Niamey
où les squatters sont de plusieurs ethnies et nationalités.
Quasiment toutes les ethnies du Niger sont représentées avec bien
entendu des proportions liées à la proximité de Niamey.
- La crise économique a frappé distinctement la
population américaine et les Noirs ont été le plus
victimes en se retrouvant majoritairement au chômage et sans protection
sociale. Comme aux Etats-Unis, aucune forme de protection sociale officielle
n'existe au Niger contrairement à la France où le système
de couverture sociale et les minima sociaux constituent pour les ménages
des garanties de ressource.
- L'abandon des territoires urbains
ghettoïsés a été planifié aux Etats-Unis
précipitant ces espaces dans la décadence. A Niamey, il n'existe
aucun bâtiment collectif pour les démunis et seul le quartier
informel de Talladjé a bénéficié d'une
restructuration avec le concours des partenaires extérieurs.
- Enfin, la violence semble être la première
image qu'on retient des ghettos américains avec parfois des
scènes de fusillades entre gangs rivaux. Dans les banlieues
françaises, ce sont plutôt des vols ou des rixes entre voisins qui
s'observent. A Niamey, l'habitat informel constitue un espace où
règne un calme troublé des fois par des bandits de la ville qui
s'y réfugient après des forfaits.
Les mal logés du Nord comme ceux du Sud semblent partager
des signes communs. Ils sont tous des exclus, des marginaux, victimes d'une
relégation dont le facteur économique
constitue de nos jours l'élément
déterminant. Par ailleurs, des efforts sont faits pour certains plus que
pour d'autres. En France par exemple, le système social semble plus
favorable qu'au Niger où les squatters ne bénéficient au
mieux que d'un système social coutumier qui est loin d'être une
réponse à la détresse que vivent les plus démunis
dans un pays où le SMIC est à 18 500 F CFA30 soit
moins de 30 €. Le problème de Niamey est d'autant plus
préoccupant que la paupérisation des couches populaires ne fait
que s'accentuer, la vie devient de plus en plus chère, les
sécheresses répétitives avec les flux des ruraux qu'elles
drainent vers Niamey. Or, l'un des problèmes majeurs auquel les
autorités communales doivent faire face est bien celui de l'espace car
l'extension de la ville n'est plus possible dans certaines directions (le nord
et le sud-est par exemple), cette raréfaction d'espace entraînera
le renchérissement du prix des parcelles et inévitablement la
constitution de nouveaux habitats informels.
30 Gillard P. (2003)
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