II- Les représentations genrées des
professionnel.le.s
Cette partie cherche à donner à voir les
rapports que peuvent entretenir les professionnel.le.s interrogé.e.s
avec la thématique du genre dans leur métier, mais aussi d'une
manière plus générale. Ainsi, ils.elles ont
été interrogé.e.s sur les diverses formations et
sensibilisations qu'ils.elles ont pu recevoir au cours de leur vie
professionnelle sur ce sujet. Ils.elles ont ensuite pu donner leur point de vue
sur leur expérience quotidienne des rapports entre les filles et les
garçons qu'ils.elles accueillent dans leur structure, puis, entre les
hommes et les femmes dans la société.
Les pages qui suivent rendent donc compte des regards de ces
professionnel.le.s de l'école et des lieux de loisirs, et non
forcément de pratiques effectives des jeunes qu'ils.elles
accueillent.
1- Une non-sensibilisation au genre
Le genre absent des formations initiales
La grande majorité des professionnel.le.s
rencontré.e.s ne sont pas ou très peu formé.e.s ou
sensibilisé.e.s à la thématique du genre, dans son
acceptation théorique ou pratique. En effet, les formations initiales
qu'ils.elles ont suivi ne leur ont pas permis d'avoir une réflexion sur
ce sujet ou d'acquérir des connaissances pratiques à mettre en
place sur le terrain.
Certains des professionnel.le.s rencontré.e.s ont tout
simplement suivi une formation initiale qui ne correspond pas au poste
qu'ils.elles occupent actuellement et qui ne touchait donc pas à la
gestion d'adolescents, d'élèves, ou de jeunes en groupes. Cette
situation concerne 3 des 20 professionnel.le.s rencontré.e.s. Ainsi, ces
deux enseignant.e.s qui ont eu une carrière en entreprise avant de
rejoindre l'Education Nationale.
« Je suis contractuel pour l'éducation
nationale, c'est-à-dire que je ne suis pas un véritable
professeur. Je suis commerçant à l'origine, j'ai
été commerçant pendant plus de 20 ans, chef d'entreprise
pendant 11 ans. Et j'ai décidé, pour faire un changement
professionnel, d'enseigner mon métier, donc la vente, le commerce en
général, le droit et l'économie, qui font partie du
même registre. » (B10, professeur principal 3e
insertion)
« Moi, je n'ai pas été professeure
toute ma vie puisque j'ai 10 ans de carrière en entreprise avant, en
tant que responsable marketing sur des filières internationales.
Aujourd'hui, on vous recrute si vous avez un master. Moi, je l'avais
déjà. » (J2, professeure d'anglais)
La majorité des professionnel.le.s rencontré.e.s
(13 sur 20) ont bien suivi une formation en adéquation avec leur actuel
métier, mais qui ne comportait aucune sensibilisation à la
thématique du genre. C'est le cas de l'infirmière scolaire, de
l'assistante sociale, de l'ensemble des animateur.e.s socioculturel.le.s et des
éducateur.e.s spécialisé.e.s, et d'une très large
majorité des enseignant.e.s rencontré.e.s.
« Quand on veut passer infirmière scolaire, on
passe un concours. Une fois que l'on a passé ce concours assez
sélectif, on a quinze jours de formation, c'est tout. On y aborde un peu
la psychologie de l'adolescent. » (B1, infirmière scolaire)
« Sur le genre ? Non. Alors moi, ça fait un
petit moment que je l'ai fait ma formation, mais très peu. A
l'époque, ce n'était pas la priorité. » (B3,
assistante sociale)
« Non, je ne crois pas avoir eu une formation sur les
rapports de genre. Mais moi, mon école, je l'ai passée en 2000.
Je n'y ai pas trop trouvé ma place d'ailleurs, j'avais l'impression de
ne rien apprendre. » (B4, éducatrice
spécialisée)
« Moi, j'ai fait un IUT carrières sociales, je
suis partie dans le Nord pour le faire. J'ai eu un prof de philo qui, je pense,
était exceptionnel. Il nous a parlé de l'excision une fois. Mais
sur le genre, sinon... » (B7, animatrice)
« Je suis passée par le parcours normal,
c'est-à-dire BAC, après j'ai fait une année de maths sup.
A la suite de ça, j'ai vu que maths spé, c'était trop
difficile, donc j'ai passé le concours des IPES à
l'époque. Mais je trouve que ça manque quand même dans la
formation. » (J3, professeure de mathématiques)
« J'ai fait un master 2 recherche, en histoire.
Ensuite, j'ai commencé à préparer les concours du CAPES,
et en même temps j'ai décidé d'être contractuelle de
l'Education Nationale pour pouvoir commencer à
enseigner. Les IUFM ont été
supprimés, donc il n'y a plus aucune formation pédagogique. Il
n'y a rien sur les questions de genre, il n'y a rien sur... C'est dommage que
les sciences de l'éducation ne soient pas incorporées au
concourt, c'est dommage que le concours soit totalement
déconnecté de la réalité sur le terrain. »
(J8, professeure d'histoiregéographie)
« J'ai fait une formation professionnelle au CIAM. Non,
aucune formation sur le genre. » (J10, professeur de guitare)
Quelques enquêté.e.s (4 sur 20) ont
bénéficié d'une sensibilisation au genre, mais souvent
très théorique, et donc particulièrement difficile
à lier, dans la pratique, avec leurs actions quotidiennes auprès
des jeunes.
« En fac de sport, il n'y a pas plus
éclectique comme formation. Tu fais de la psycho, de la socio, de la
psycho-péda, des statistiques, de l'anatomie, de la physiologie...
Enfin, tu fais plein de choses. Pendant mes deux premières
années, j'ai appris pleins de choses. Donc oui, t'en entends... Dans la
psycho, tu fais les stades de développement de l'enfant, les
caractéristiques de chaque... Piaget et compagnie. Tu fais de la
sociologie, donc les rapports hommes / femmes, et tu étudies tout ce
qu'il s'est passé en allant du droit de vote de la femme à...
Voilà, ça te place dans un contexte socio-historique, mais tout
en parlant de l'homme et de la femme. J'ai eu une disert' à faire en
socio où l'on me parlait du statut des femmes de 1940 à nos jours
dans le sport. » (B5, professeur en Segpa)
« J'ai fait des études tout ce qu'il y a de
plus classique, de sciences. Après, j'en ai eu marre des sciences donc
j'ai fait une licence en sciences de l'éducation pour être instit.
Et puis, j'ai découvert ce métier d'éducateur, animateur
sportif, et ça m'a plus intéressé, du coup j'ai
lâché le côté professoral et je me suis lancé
dans l'animation, l'éducation sportive. [...] Quand j'étais en
sciences de l'éducation, j'avais fait mon rapport sur la mixité,
j'avais un peu travaillé sur ça. Mais c'était sur le
milieu scolaire, pas socio-éducatif. C'était plus sur les
enseignements, pourquoi les filles sont souvent plus sur les matières
littéraires et les garçons sur les matières scientifiques.
C'était intéressant. Mais ce n'était pas un gros truc.
» (J4, entraîneur badminton)
« J'avais fait un parcours sociologie, travail
social, et finalement, je me suis réorientée vers la danse. [...]
J'ai été sensibilisée à ces questions-là,
puisque moi j'ai fait une très courte formation en sociologie en
relations interethniques et immigration. C'est très fort au
Québec, parce que nous on a des grandes vagues d'immigration, beaucoup
d'ethnies se sont installées, ça a formé des villages, des
ghettos. Nous, c'était ça que l'on étudiait surtout. Et
puis, tout ce qui est traditionnel, c'est hyper sexiste, très machiste,
donc... » (J5, entraîneuse cardio-boxe)
« Nous, en EPS, on a une formation très
pragmatique, très empirique. Donc effectivement, dès le
départ, on est sensibilisé au dé-mixage ou pas, à
la gestion des niveaux... Mais pas plus que ça, ce n'est pas un point
central, non. » (J6, professeur d'EPS)
On peut donc noter que la sensibilisation au genre, à
la mixité dans les espaces scolaires ou de loisirs est quasiment absente
des formations initiales des professionnel.le.s des deux quartiers
étudiés.
Une sensibilisation tardive mal répartie sur le
territoire
Cependant, certains professionnel.le.s ont pu
bénéficier de formations continues sur ces thématiques. On
remarque d'ailleurs que l'accès à ces formations continues
abordant le genre ou la mixité n'est pas équitable selon les
territoires. Ainsi, les professionnel.le.s de Bastide sont-ils.elles finalement
plus sensibilisé.e.s que les professionnel.le.s du Jardin Public.
Ils.elles se voient, en effet, proposer plus de formations courtes par la
mairie de Bordeaux ou des organismes de formations, et sont plus enclins
à se renseigner par eux.elles-mêmes.
« Après, à nous de... c'est des
colloques, des formations comme ça, des cours du soir. [...] C'est
à nous de lire aussi. [...] J'ai été au colloque sur la
mixité. J'ai acheté le bouquin mais je n'ais pas eu le temps de
le lire. J'ai trouvé ça très intéressant parce
qu'ils disaient que même dans l'image des professeurs, il y avait
toujours une différence entre les filles et les garçons. »
(B1, infirmière scolaire)
« J'ai participé à la formation "Cet
autre que moi", et j'en ai fait une autre. C'était un groupe de travail
sur les questions de genre, organisé par la mairie il y a 6 mois. »
(B2, éducateur spécialisé)
« Après, moi j'ai fait une formation sur
l'analyse systémique qui m'a permis aussi d'avoir un autre regard des
groupes. Ça, c'était vraiment intéressant. Mais autrement,
après, ça s'est fait naturellement, j'étais
intéressée, j'ai cherché, j'ai bouquiné. Si, j'ai
eu une formation sur la vie relationnelle et sexuelle par le centre de
formation, c'était il y a 5 ou 6 ans. Mais bon, c'était une
journée, c'était léger quand même. » (B3,
assistante sociale)
« Par principe, dès qu'il y a des formations,
j'y vais, dans la mesure où je peux. Moi, c'est donc déjà
une démarche intellectuelle en premier. [...] Je fais des formations,
comme "Cet autre que moi", où là aussi, on va être
amené à évoquer l'adolescence et les rapports filles /
garçons. » (B5, professeur en Segpa)
« Par contre, je suis le projet depuis le
début dans le quartier. C'est-àdire depuis les première
fois où l'on a eu Jean-Philippe Guillemet qui est venu pour dire que
dans le cadre du Projet Social, il y avait un travail sur le sexisme. Parce
qu'apparemment c'était le quartier qui avait été un peu
repéré pour avoir des soucis avec ça. » (B6,
animatrice)
« En tout premier, le DSU avait organisé une
formation sur le sexisme qui était vachement intéressante parce
qu'on avait eu des intervenants. On avait eu une association de
féministes, une ethnologue, un intervenant par le sport. Et du coup, on
nous avait présenté l'outil "Cet autre que moi". » (B7,
animatrice)
On peut d'ailleurs noter le cas particulier de cet animateur
du secteur jeunes du centre social Bastide-Benauge qui a
bénéficié d'une formation assez longue sur la mise en
place de la mixité et sa gestion.
« Moi, je suis entré en formation
l'année dernière, et avec ce que j'ai appris... Bon, j'avais
déjà du terrain parce que ça fait 8 ans que je fais de
l'animation, mais ce que j'ai appris en formation, en théorie,
c'était vraiment intéressant. Pour moi, ça a
été une superbe expérience. Cette formation a duré
un an et demi, 18 mois. Oui, on a été formé par rapport
à la mixité. On a eu de la théorie, de la pratique. On a
eu des cours avec des sociologues, on a eu aussi un psychologue qui est venu,
on a eu des personnes qui travaillaient depuis de longues années dans
des territoires où il n'y avait pas de mixité. On a fait des
groupes de travail, ça s'est super bien passé. » (B8,
animateur)
En revanche, sur le quartier du Jardin Public, aucun.e
professionnel.le n'a participé à une formation sur le genre, la
lutte contre le sexisme ou la mixité. Deux cas de figures sont possibles
: soit ils.elles ne se sont pas vus proposer ce type de formation, soit
ils.elles n'y assistent pas, ne se sentant pas concerné.e.s.
« Non, on n'a pas du tout eu de formation
là-dessus. Sur la mixité intergénérationnelle oui,
sur la mixité sociale oui, mais sexuelle non, parce qu'il n'y a pas de
problème ici. » (J1, responsable Espace Lagrange)
« J'avais vu passer des choses sur la mixité,
mais je ne sais pas par qui c'était. Mais je n'ai jamais
participé. » (J4, entraîneur badminton)
Finalement, on peut dire que, même si les
professionnel.le.s qui ont accepté l'entretien sont surement ceux.celles
qui se sentent le plus touché.e.s par ces thématiques, ils.elles
ont été très peu sensibilisés à la
problématique du genre dans ce qu'elle peut avoir de concret pour
eux.elles : la gestion de la mixité, la lutte contre le sexisme et
l'homophobie. En ce sens, on
peut se demander quelle vision ils.elles ont de ces
problématiques sur le terrain. La mixité fait-elle
problème pour eux.elles au quotidien ? Evaluent-ils.elles le rôle
que peut avoir leur structure dans la construction de l'identité
genrée des jeunes qu'elle accueille ?
|