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Enseignant. E. S. et animateur. E. S face à  la socialisation genrée des jeunes

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par Noémie Lequet
Université Bordeaux 2 Segalen - Master sociologie : ingénierie et intervention sociales 2012
  

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2- Leurs regards sur les jeunes

Lorsqu'on les interroge sur les relations entre les garçons et les filles dans leurs structures d'animation ou dans leurs collèges, les professionnel.le.s nous livrent à la fois leurs expériences de terrain et leurs représentations. Comprendre la manière dont ils.elles vivent ces relations au quotidien et le regard qu'ils.elles posent dessus est le but recherché ici.

Des différences garçons / filles observables

Au fil des entretiens, les interrogé.e.s nous donnent à voir des jeunes qui ont des comportements ou des sentiments différenciés selon qu'ils sont des garçons ou des filles. En effet, dix entretiens sur les vingt menés comportent une assez longue description des différences observées au quotidien. Il faut noter qu'une majorité de ces discours sont le fait de professionnel.le.s du quartier Jardin Public, les professionnel.le.s de Bastide cherchant probablement à ne pas conforter un stéréotype déjà présent concernant leur quartier. Ces différences notées peuvent être regroupées sous divers registres.

- Ils sont extravertis, elles sont plus effacées :

« J'ai remarqué, quand on a fait des tables rondes, les garçons sont très bavards. Les filles ne disent rien au collège, elles sont très effacées. Les garçons, justement, pour parler des rapports filles/garçons autour de la sexualité, alors là, c'est du non-stop, ils sont intarissables. Et les filles sont toujours très en retrait. Donc c'est bien qu'elles entendent. Ce qui serait bien c'est qu'elles puissent elle aussi un peu parler. » (B1, infirmière scolaire)

- Les garçons sont violents, les filles jouent plus sur la psychologie :

« Les filles, elles ne dépassent pas le cadre de l'insulte ou du tutoiement. C'est une façon de provoquer l'adulte, le tutoiement. La jeune fille va tutoyer. En même temps, c'est la défense facile chez les jeunes filles. Les garçons vont balancer une trousse, vont se renfermer, baisser la tête, maugréer un peu dans leur barbe. J'ai eu plus souvent à

faire sortir des filles que des garçons. [...] Les garçons, ils se calment, les filles, elles reviennent à la charge, toujours. Les garçons comprennent mieux. Il y a un clash une fois, et après, c'est terminé, on en parle plus. Les filles, non. » (B5, professeur en Segpa)

- Elles sont sérieuses, ils sont plus agités :

« Les filles sont plus sérieuses, plus travailleuses que les garçons. Le garçon, il veut aller droit au but lui. Et puis, pas trop détaillé. La fille est plus studieuse, elle y va pas à pas. Elle a moins confiance en elle que les garçons je trouve. Elles sont plus fragiles que les garçons. Et puis, les garçons, la maturité qui n'est pas du tout la même aussi. » (J3, professeure de mathématiques)

« Après, dans ce collège là, les élèves qui bougent beaucoup ce sont des garçons. Les filles, elles, sont assez sages on va dire. Mais sur le comportement oui, les garçons sont plus agités en classe, ils ont plus de mal à se concentrer que les filles qui, elles, vont plus papillonner ou être passives, même si elles sont présentes physiquement, mais elles ne sont pas là intellectuellement. Alors qu'un garçon, lui, il est présent, il se manifeste. Ils ont besoin de bouger, de monopoliser l'attention. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

« Les filles sont d'avantage dans une retenue, peut être dans la réflexion. Alors que les garçons, c'est l'impulsivité, et puis éventuellement, on réfléchit après. » (J9, professeur de lettres-musique)

- Elles sont fragiles, ils sont plus forts :

« Un garçon va prendre un coup. C'est un sport de contact, c'est normal qu'on prenne des coups. Un garçon, un coup de bombe magique, et ça passe. La fille, il faut la porter, la rassurer... Ce n'est pas moi. Il faut passer beaucoup plus de temps sur les filles que sur les garçons. Nous, on n'a pas ce temps à perdre. C'est pour ça que ça m'embête d'entraîner des filles. » (J7, entraineur football)

- Elles sont dynamiques, ils sont plus difficiles à convaincre :

« Moi, j'aime bien quand il y a des filles quand même, parce que je trouve qu'elles sont plus dynamiques que les garçons. Souvent. Et puis, ce n'est pas la même ambiance. Comment je pourrais expliquer ça ? Il faut plus négocier avec les filles pour leur faire faire des choses, quand même. Mais on sent qu'il suffit de pas grand-chose pour qu'elles le fassent. Et les garçons, pour les faire chanter par exemple, ou pour les faire jouer, c'est plus difficile. On y arrive même assez rarement. » (J10, professeure de guitare)

Finalement, même s'ils.elles précisent souvent que ces descriptions sont des généralités et qu'il existe évidemment des exceptions, ces « profiles types » nous donnent une idée de leur compréhension quotidienne du monde qui les entoure. La distinction entre garçons et filles en fonction du caractère participe donc d'une catégorisation leur permettant d'interagir avec eux. Or, on sait que les différences entre les individus à l'intérieur des catégories de sexe sont souvent plus importantes qu'entre ces catégories.

Des relations plus ou moins tendues

Les professionnel.le.s interrogé.e.s décrivent des relations entre les jeunes des deux sexes qu'ils ne qualifient pas de tendues. En effet, s'ils.elles sont parfois mal-à-l'aise par rapport à certaines situations, le sexisme est décrit comme n'appartenant pas à leur monde, mais à celui des adultes.

« Forcément, ils se jettent des regards quand on parle de l'obésité, des règles des filles. Mais en même temps, il faut bien en parler. Et puis à côté de ça, il faut arrondir les angles. Voilà, des petites insultes... Sexisme, non. C'est plutôt sur l'aspect physique. » (B5, professeur en Segpa)

« Ils sont quand même plus dans l'envie de plaire, dans ce petit jeu, que dans le truc de dire "va faire la cuisine" ou des choses comme ça. Mais il y a des petits relents parfois... » (J4, entraineur badminton)

« On sent chez certains garçons... on ne va pas parler de virilité encore à cet âge là, mais le côté masculin qui commence à l'emporter. [...] Mais, sexiste... Je ne sais pas. Non, pour moi, sexiste, ce sont d'avantage des comportements d'adultes, pour lesquels il y a eu un passé ou une sociabilisation particulière. Bon, il peut y avoir, comme ça, des petites réflexions, mais ça reste très limité. » (J9, professeur de lettre-musique)

Le cas particulier de l'assistante sociale scolaire du quartier Bastide montre des relations plus difficiles, sûrement du fait de ce statut particulier qui lui fait connaitre les histoires les plus délicates qu'ont pu vivre les élèves de l'établissement.

« Ils ne se connaissent pas, c'est assez tabou. Alors, ils se bousculent, ils passent une petite main de temps en temps comme-ci comme-ça. Bon, il y en a quand même qui sont dans la tendresse mais c'est assez brut de décoffrage leurs relations. Après, j'ai eu une autre situation où des gamines s'étaient retrouvées à la médiathèque et des garçons leur avaient demandé de venir dans les toilettes. Il y en a une qui ne voulait pas, mais l'autre l'a motivée. Elles y sont allées, elles ont été obligées de

leur faire des fellations. Et après, comme si de rien n'était. C'est ça qui est assez étrange, c'est vraiment de la consommation. Là, j'ai senti dans cette situation que c'était de la consommation, et ils ne voyaient pas la gravité, sauf la petite qui avait subi. » (B3, assistante sociale)

De ce premier point de vue, la mixité n'apparait donc pas particulièrement difficile à gérer, sauf dans certaines situations exceptionnelles, même si, bien sûr, cette constatation n'empêche pas que l'école et les lieux de loisirs soient le théâtre d'une reproduction de la socialisation genrée.

Par contre, ce que les professionnel.le.s remarquent souvent, ce sont les insultes à caractère sexiste ou homophobe que peuvent s'échanger assez régulièrement et assez violemment les jeunes. Dans la plupart des cas, ces insultes ne sont vues que comme des problèmes de discipline à gérer comme tels. Or, « pourquoi croire que ce langage n'est que de la vulgarité, alors que les garçons interrogés savent tous expliquer ce dont il s'agit ? Ce vocabulaire participe à la connaissance et à la définition des rapports de sexe » (Ayral et Raibaud, 2010).

« Des petites choses très basiques, ce sont déjà les insultes entre garçons et filles. [...] Après, il y a souvent des insultes qui deviennent... qui paraissent normales : "Sale pute !", "Espèce de gros pédé !", ces choses là. » (B3, assistante sociale)

« Les mots, l'autre ne l'entend pas toujours comme ils veulent être dits par le garçon, ou la fille d'ailleurs. Moi, je crois qu'il faut intervenir. On est professionnels quand même, on sait. On ne va pas laisser un garçon traiter une fille de salope. On ne peut pas. Même si pour lui... Même le mot "biatch"... Alors, tout ça parce que c'est dans la bouche de Djamel, alors d'accord, on peut le dire en... mais c'est toujours pareil, comment c'est dit, à quel moment c'est dit ? Si c'est effectivement dans le cadre d'une blague à la Djamel, ok. Mais quand c'est dit : "Ouais, celle-là...", on peut reprendre. » (B1, infirmière scolaire)

« Après, c'est toujours pareil, quid de la réflexion qui est vraiment censée faire mal, ou la réflexion qui est rentrée dans le langage commun. » (J6, professeur d'EPS)

Un discours sur les représentations des jeunes

Cependant, les jeunes sont décrits comme ayant des représentations assez stéréotypées de ce que peuvent être une fille ou un garçon. Sur le quartier de la Bastide, lorsque ces différences de représentation sont évoquées, elles sont souvent liées par les professionnel.le.s

à la culture, ou à la précarité du public.

« On travaille avec une population en grande précarité avec des représentations sur les places que peuvent occuper dans la société l'homme et la femme. Et dans le discours quotidien des jeunes, on peut relever des traces de ce que peuvent être les discriminations liées au sexisme. Ça va de la petite chose bête de la réflexion d'un gamin : "Non, je ne fais pas la cuisine, c'est un truc de fille" au regard que posent les jeunes sur leurs soeurs, sur leurs mères, et sur les autres filles. » (B2, éducateur spécialisé)

« Le manque de respect par rapport aux filles, c'est aussi lié, je pense, à une certaine culture. Enfin, ça accentue. [...] Il y a un truc qui n'est pas du tout accessible, ils ne peuvent pas y accéder ces garçons là, et donc ils ont la haine, quitte à être vachement violents verbalement et physiquement parfois. » (B3, assistante sociale)

Sur le même quartier, l'assistante sociale scolaire évoque le fait que ces stéréotypes du masculin et du féminin sont aussi bien présents chez les garçons que chez les filles. Ainsi, se construire en tant que femme apparait comme une épreuve.

« J'ai l'impression que certaines gamines intègrent complètement leur position de femme soumise à accepter la règle du garçon. Ces gamineslà ont complètement intégré le fait qu'il ne faut pas être en jupe parce que sinon on va attirer les garçons, et ce sera bien fait pour nous si on est violée. [...] Une fois, j'ai du virer une gamine d'un groupe de parole parce qu'elle interdisait aux autres de parler parce qu'on ne parle pas de sexe. Elle avait complètement verrouillé toute discussion avec son regard, elle enfermait tout le monde. » (B3, assistante sociale)

A ces stéréotypes et représentations, les jeunes adaptent leurs comportements en groupe. Ainsi, les garçons, en cours de guitare, évitent de choisir des chansons qu'ils jugent féminines pour affirmer leur virilité.

« Les choix des morceaux ne sont pas du tout les mêmes. C'est vrai que les garçons vont quand même sur des morceaux un peu plus rock, plus masculins, entre guillemets, que les filles. C'est vrai que dans leur choix, ça va quand même sur des morceaux un peu plus rock, de garçons, plus rentre dedans, avec de la guitare très saturée, un gros son. C'est vrai qu'il y a un petit peu ce côté garçon, où ils font jouer la virilité. Et d'ailleurs, je m'amuse parfois à essayer de leur faire jouer des morceaux avec les filles, et c'est vrai qu'ils ont du mal à faire ça, surtout quand ils sont en groupe, effectivement. » (J10, professeur de guitare)

Les jeunes sont également décrits comme ayant des stéréotypes sur la sexualité.

Certain.e.s interviewé.e.s parlent de la pornographie et de l'image de la femme que peuvent en tirer les jeunes garçons. Une animatrice du centre Bastide-Queyries décrit également des jeunes ancré.e.s dans le modèle du couple hétérosexuel.

« Ou alors des gamins qui sont complètement collés à l'image de la

sexualité pornographique, et la femme c'est ça. » (B3, assistante sociale)

« J'ai l'impression que pour eux, la fille, elle est considérée comme un objet. Alors que ce sont des garçons qui ont 12-14 ans. Moi, ça m'a halluciné. » (B4, éducatrice spécialisée)

« C'est hyper compliqué les rapports garçons / filles sur les quartiers. Cette espèce de sexualité débridée. Ils ont une vision des filles et ils sont capables de tout pour pouvoir coucher avec, c'est un challenge. Les filles sont des proies. » (B2, éducateur spécialisé)

« Mais de toute façon, ça les questionne l'homosexualité. Pour eux, ce n'est même pas que ce soit interdit, mais c'est sale. Voilà, ça ne se fait pas, parce que c'est à l'encontre, quelque part, quand tu es pré-ado, d'une normalité. Je crois que les pré-ados, ils cherchent aussi ça, à être comme tout le monde, à se fondre dans la masse, à travailler, à être mariés, avec des enfants. Ce n'est pas l'idée du prince charmant, c'est juste l'idée du couple qui est fait comme ça. » (B6, animatrice)

Ainsi, les jeunes sont décrits comme ayant des stéréotypes de genre, qu'ils.elles projettent nécessairement sur les adultes qui les entourent, notamment les enseignant.e.s et animateur.e.s. Or, « le fait de se représenter les attentes des enfants comme stéréotypées peut venir renforcer la mise en oeuvre de compétences relationnelles différenciées chez les animateurs et les animatrices » (Herman, in Raibaud et al., 2006).

Le sexisme, l'homophobie : ailleurs, mais pas ici

Quel que soit le quartier d'intervention des enseignant.e.s et animateur.e.s entretenu.e.s, une grande majorité d'entre-eux.elles a tendance à décrire ce quartier (ou cette zone) comme non touchée par ce phénomène. C'est ce que l'on appelle le « gender blindness », le fait d'être aveugle à l'effectivité des rapports sociaux en termes de genre. Ainsi, les professionnel.le.s du Jardin Public indiquent que leur quartier est très peu touché par les tensions de genre, en comparaison aux quartiers d'habitat social ou aux établissements classés en ZEP, par exemple.

« On a moins de choses comme ça dans ce secteur là qu'au Grand Parc, où quand même il y a beaucoup de familles maghrébines, et c'est quand même l'image de la femme ce n'est pas toujours très valorisé, donc il y a parfois des reproductions. » (J4, entraineur badminton)

« Ils se connaissent depuis petits généralement, depuis la maternelle ou la primaire, les familles se connaissent aussi entre elles. Une forme, voilà, de presque de consanguinité comme ça, sans être péjoratif. Du coup, j'ai presque envie de dire que certains ont des rapports fille/garçon qui sont quasiment parfois frère/soeur ou cousin/cousine. C'est vrai qu'ils se connaissent très très bien. C'est un peu comme une grande famille, avec les avantages et les inconvénients que ça peut avoir. Non, ils ne sont pas dans ce conflit sexué je trouve. » (J6, professeur d'EPS)

« A première vue, du point de vue d'un enseignant, il n'y a pas vraiment de problèmes entre garçons et filles dans cet établissement. [...] A la différence, mettons, quand vous travaillez en ZEP. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

De la même manière, les professionnel.le.s du quartier Bastide-Queyries ont tendance à comparer leur quartier à celui de la Benauge, jugé moins mixte, et plus tendu concernant les relations entre filles et garçons.

« Pas du tout. Est-ce que c'est parce que c'est Queyries ? Après, je sais un peu d'où ça émanait au départ ce souci, de quel partenaire... Alors, je peux l'entendre, et je trouve ça bien que l'on en parle. Je trouve ça intéressant que l'on se pose la question de la relation filles / garçons, mais de manière générale... Le sexisme, heu... [...] C'est ce quartier peut-être, je pense qu'il y a des quartiers plus difficiles. » (B6, animatrice)

« Moi, je suis une fille bien dans ma peau, du coup, il y a des choses que peut être d'autres filles verraient, des problèmes de genre, moi, ici, pas du tout. Je ne me sens pas confrontée vraiment sur le quotidien à des problèmes de genre. [...] Non, sur Queyries, je ne peux pas dire que je me sois confrontée à... Mais en essayant de travailler avec la Benauge, où là on s'est trouvé confrontées à certaines représentations. » (B7, animatrice)

Enfin, les animateur.e.s et enseignant.e.s de Bastide-Benauge, quant à eux.elles, dénoncent l'image sexiste qui colle au quartier et mettent en avant les efforts qui ont été faits.

« Parce que quand notre directeur général, en réunion devant les 200 salariés, a demandé qui voulait aller à la Benauge en urgence... Moi, je ne voulais pas y aller, parce que je suis né ici, je suis comme leur grand-

frère avant tout. Mais quand j'ai vu que sur 200 personnes, il n'y en a pas un qui a levé la main. Ils avaient une image de la Benauge comme quoi c'était la racaille, plein de mecs, m'as-tu-vu, plein de sexisme. Personnellement, ça m'a touché. C'est quoi cette image qu'ils ont ? » (B8, animateur)

Mise à part les quelques cas évoqués plus haut de professionnel.le.s qui mettaient en avant la culture ou la précarité associées à leur quartier pour expliquer les tensions entre filles et garçons, un seul des entretiens décrit un sexisme et des stéréotypes plus fort dans son quartier. Ce qui est à relever, c'est qu'il s'agit d'un professeur de guitare du quartier Jardin Public. Il évoque notamment la place de la religion catholique et le manque d'ouverture du quartier.

« Ça faisait vraiment une réflexion très archaïque en fait. Il y a quand même ce côté-là qui reste, malgré que ça avance. Et ça, ça arrive souvent quand on propose des morceaux un peu plus... un peu de fille, oui, je suis obligé de dire ça, mais un peu plus pop, un peu plus sucrés, un peu plus soft. [...] Bon, c'est ici que ça s'est passé. Le quartier, on a quand même une population de profs, d'instits... ce n'est pas le milieu le plus rock'n'roll qui soit. C'est ces enfants-là qui viennent quand même. Ici, c'est quand même un quartier où il y a beaucoup de cathos, il y a des écoles cathos... Je pense que ça vient de là. Parce que ce n'est pas des trucs que je retrouve ailleurs ça. » (J10, professeur de guitare)

Ainsi, les problématiques liées au genre semblent plutôt invisibilisées par les professionnel.le.s. Lorsqu'il.elles sont interrogé.e.s sur la place du genre dans leurs structures, ils.elles se défendent de tout sexisme en soulignant qu'il n'y a que peu de tensions. L'idée que l'école et les lieux de loisirs puissent être des institutions reproductrices d'une socialisation genrée n'est pas problématisée.

De l'importance de la variable adolescence

Les professionnel.le.s rencontré.e.s expliquent de deux manières différentes, qui se combinent parfois, pourquoi les jeunes garçons et les jeunes filles peuvent avoir des comportements différenciés, s'éviter, ne pas se comprendre ou s'insulter. Une de ces deux raisons est le fait que ces jeunes entrent dans une période vue comme difficile, celle de l'adolescence. En effet, ce moment de leur vie, perçu comme celui des changements, de l'évolution du corps, de la féminisation ou de la masculinisation explique pour beaucoup de profesionnel.le.s la particularité des rapports entre adolescents et adolescentes. Pour Y.

Raibaud et S. Ayral (2009), cette « croyance que l'adolescence est un âge indécis sur le plan de la sexualité renforce la crainte que plus tard, l'enfant ne "bascule" dans l'homosexualité, risque pour sa santé psychique et physique [...] ». Les enseignant.e.s et animateur.e.s apparaissent alors comme les garants de la différenciation genrée.

« On est dans l'âge de la préadolescence. C'est une période fragile, il se passe de plus en plus de choses chez ce genre de public, donc c'est moins facile à gérer. C'est un moment charnière de la scolarité et de l'âge. » (B5, professeur en Segpa)

Certains mettent en avant l'idée que filles et garçons, à cet âge, ne se connaissent pas, et donc commencent à se découvrir. Les tensions et comportements différenciés seraient alors liés à cette étape de transition.

« Moi, ce que j'ai pu voir, c'est vraiment cette incompréhension. "Les garçons, ils sont bêtes. Ils ne pensent qu'à ça". Bon, c'est un peu une réalité aussi, les hormones les travaillent peut être plus que les filles, à cette période là en tous cas. » (B3, assistante sociale)

« Avec les plus petits c'est différent aussi, avant 10 ou 12 ans, on n'est pas dans le besoin de se confronter avec l'autre sexe. » (B6, animatrice)

« L'incompréhension aussi, ils sont dans des fonctionnements complètement différents souvent, parce qu'ils ne se connaissent pas en réalité. Ils fantasment l'autre, je crois. » (B3, assistante sociale)

D'autres relèvent que cette période transitoire n'a pas les mêmes conséquences chez les jeunes des deux sexes. La différence de maturité, stéréotype très répandu, est notamment évoquée.

« L'adolescence ne se caractérise pas de la même manière chez les filles et chez les garçons. » (J8, professeure d'histoire-géographie)

« Est-ce qu'on est, au niveau du collège, sur une différence de maturité ? Les filles, dès le départ, ont compris qu'il y avait des attentes ici, un règlement qu'il faut respecter. Je pense qu'il y a une part de ça, à un moment donné. Il y a ce petit décalage. Les garçons ont cette maturité souvent un peu plus tard. » (J6, professeur d'EPS)

Enfin, pour d'autres, c'est l'entrée en jeu de la variable « sexualité » qui fait de l'adolescence ce moment si particulier. Lié à l'idée que filles et garçons ne grandissent pas de la même manière et à la même vitesse, l'innocence des filles et l'apparition des premiers

désirs sexuels chez les garçons entraîneraient un décalage.

« Je pense que c'est lié au développement psychologique des garçons et des filles. On a l'habitude de dire que les garçons murissent un peu moins vite que les filles. [...] On va parler d'innocence, mais en même temps il y a ce comportement sexué qui arrive progressivement. Donc il y a décalage. Une fille peut avoir envie de s'habiller avec une jupe très courte tout simplement parce qu'elle se sent bien dedans, et les garçons, à cause de ce comportement sexué, vont avoir un autre regard, moins innocent. » (J9, professeur de lettres-musique)

La pression du groupe à la conformité

La deuxième raison invoquée pour expliquer les difficultés entre garçons et filles, directement liée à la première, est l'importance du groupe chez les adolescents et prend une place non négligeable dans le discours des profesionnel.le.s. En effet, les comportements sexistes que l'on remarque chez les adolescent.e.s (insultes, stéréotypes...) ne seraient en fait que le résultat de la volonté de se fondre dans le groupe, de ne pas se démarquer, pour se sentir intégré.

« Et puis, ils disent ça, mais en même temps le collège c'est les premiers amours, les premiers émois de leur vie d'adolescents. [...] Mais je crois que c'est le propre de l'adolescent, de ne pas se démarquer dans le groupe, d'être dans les idées reçues un peu. » (B1, infirmière scolaire)

« On a quand même toujours des images en groupe : "Les filles c'est comme ça", "Les garçons c'est comme ça". "Les filles, elles vont être avec les profs, elles sont lèche-culs, elles veulent se faire bien voir, elles racontent des histoires", et puis "Les garçons, ça bouscule, c'est violent, ça se moque". Oui, ces images. [...] Donc, on se moque, mais finalement, derrière, quand on les voit seul, il y a d'autres rapports filles/garçons. » (B1, infirmière scolaire)

« Au-delà du rapport garçon / fille, c'est plus la dynamique de groupe qui intervient. Même si, de tout temps et à jamais, les relations filles / garçons... [...] La problématique, c'est plus le phénomène de groupe, que le jeune individuellement. » (B5, professeur en Segpa)

« Après, c'est le problème de l'adolescence, où tu as le poids du groupe. Mais il ne faut pas raisonner sur le groupe... Je ne sais pas comment dire, un groupe, il est en représentation, du coup, quelque part, des fois ils nous donnent ce que l'on attend d'eux. Il ne faut pas hésiter à provoquer ces situations individuelles, où justement, là tu parles vrai. [...] Moi j'arrive à comprendre qu'un ado devant ses potes il veut montrer une image, et nous, on n'a pas à tout démolir, ça peut être très

dangereux. Ça ne sert à rien de mettre les gens en difficulté pour qu'ils évoluent, je pense. » (B7, animatrice)

Les garçons et les filles sont donc vus comme différents, comme ayant des représentations et des stéréotypes de ce qu'est l'autre sexe, mais leurs relations ne sont pas décrites comme tendues ou relevant du sexisme ou de l'homophobie (ils.elles ne comprennent pas le sens de leurs insultes...). En même temps, si tensions il y a, elles ont lieu ailleurs, ou sont dues à la difficulté de la période adolescente ou à l'effet de groupe. Sexisme et homophobie semblent être vus comme des comportements pathologisés de l'adulte, mais jamais transposés en latence aux jeunes, comme si le sexisme des adultes n'était pas lié au sexisme des adolescents qu'ils ont été, et inversement.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera