2- Leurs regards sur les jeunes
Lorsqu'on les interroge sur les relations entre les
garçons et les filles dans leurs structures d'animation ou dans leurs
collèges, les professionnel.le.s nous livrent à la fois leurs
expériences de terrain et leurs représentations. Comprendre la
manière dont ils.elles vivent ces relations au quotidien et le regard
qu'ils.elles posent dessus est le but recherché ici.
Des différences garçons / filles
observables
Au fil des entretiens, les interrogé.e.s nous donnent
à voir des jeunes qui ont des comportements ou des sentiments
différenciés selon qu'ils sont des garçons ou des filles.
En effet, dix entretiens sur les vingt menés comportent une assez longue
description des différences observées au quotidien. Il faut noter
qu'une majorité de ces discours sont le fait de professionnel.le.s du
quartier Jardin Public, les professionnel.le.s de Bastide cherchant
probablement à ne pas conforter un stéréotype
déjà présent concernant leur quartier. Ces
différences notées peuvent être regroupées sous
divers registres.
- Ils sont extravertis, elles sont plus effacées :
« J'ai remarqué, quand on a fait des tables
rondes, les garçons sont très bavards. Les filles ne disent rien
au collège, elles sont très effacées. Les garçons,
justement, pour parler des rapports filles/garçons autour de la
sexualité, alors là, c'est du non-stop, ils sont intarissables.
Et les filles sont toujours très en retrait. Donc c'est bien qu'elles
entendent. Ce qui serait bien c'est qu'elles puissent elle aussi un peu parler.
» (B1, infirmière scolaire)
- Les garçons sont violents, les filles jouent plus sur la
psychologie :
« Les filles, elles ne dépassent pas le cadre
de l'insulte ou du tutoiement. C'est une façon de provoquer l'adulte, le
tutoiement. La jeune fille va tutoyer. En même temps, c'est la
défense facile chez les jeunes filles. Les garçons vont balancer
une trousse, vont se renfermer, baisser la tête, maugréer un peu
dans leur barbe. J'ai eu plus souvent à
faire sortir des filles que des garçons. [...] Les
garçons, ils se calment, les filles, elles reviennent à la
charge, toujours. Les garçons comprennent mieux. Il y a un clash une
fois, et après, c'est terminé, on en parle plus. Les filles, non.
» (B5, professeur en Segpa)
- Elles sont sérieuses, ils sont plus agités :
« Les filles sont plus sérieuses, plus
travailleuses que les garçons. Le garçon, il veut aller droit au
but lui. Et puis, pas trop détaillé. La fille est plus studieuse,
elle y va pas à pas. Elle a moins confiance en elle que les
garçons je trouve. Elles sont plus fragiles que les garçons. Et
puis, les garçons, la maturité qui n'est pas du tout la
même aussi. » (J3, professeure de mathématiques)
« Après, dans ce collège là, les
élèves qui bougent beaucoup ce sont des garçons. Les
filles, elles, sont assez sages on va dire. Mais sur le comportement oui, les
garçons sont plus agités en classe, ils ont plus de mal à
se concentrer que les filles qui, elles, vont plus papillonner ou être
passives, même si elles sont présentes physiquement, mais elles ne
sont pas là intellectuellement. Alors qu'un garçon, lui, il est
présent, il se manifeste. Ils ont besoin de bouger, de monopoliser
l'attention. » (J8, professeure d'histoire-géographie)
« Les filles sont d'avantage dans une retenue, peut
être dans la réflexion. Alors que les garçons, c'est
l'impulsivité, et puis éventuellement, on réfléchit
après. » (J9, professeur de lettres-musique)
- Elles sont fragiles, ils sont plus forts :
« Un garçon va prendre un coup. C'est un sport
de contact, c'est normal qu'on prenne des coups. Un garçon, un coup de
bombe magique, et ça passe. La fille, il faut la porter, la rassurer...
Ce n'est pas moi. Il faut passer beaucoup plus de temps sur les filles que sur
les garçons. Nous, on n'a pas ce temps à perdre. C'est pour
ça que ça m'embête d'entraîner des filles. »
(J7, entraineur football)
- Elles sont dynamiques, ils sont plus difficiles à
convaincre :
« Moi, j'aime bien quand il y a des filles quand
même, parce que je trouve qu'elles sont plus dynamiques que les
garçons. Souvent. Et puis, ce n'est pas la même ambiance. Comment
je pourrais expliquer ça ? Il faut plus négocier avec les filles
pour leur faire faire des choses, quand même. Mais on sent qu'il suffit
de pas grand-chose pour qu'elles le fassent. Et les garçons, pour les
faire chanter par exemple, ou pour les faire jouer, c'est plus difficile. On y
arrive même assez rarement. » (J10, professeure de guitare)
Finalement, même s'ils.elles précisent souvent
que ces descriptions sont des généralités et qu'il existe
évidemment des exceptions, ces « profiles types » nous donnent
une idée de leur compréhension quotidienne du monde qui les
entoure. La distinction entre garçons et filles en fonction du
caractère participe donc d'une catégorisation leur permettant
d'interagir avec eux. Or, on sait que les différences entre les
individus à l'intérieur des catégories de sexe sont
souvent plus importantes qu'entre ces catégories.
Des relations plus ou moins tendues
Les professionnel.le.s interrogé.e.s décrivent
des relations entre les jeunes des deux sexes qu'ils ne qualifient pas de
tendues. En effet, s'ils.elles sont parfois mal-à-l'aise par rapport
à certaines situations, le sexisme est décrit comme n'appartenant
pas à leur monde, mais à celui des adultes.
« Forcément, ils se jettent des regards quand
on parle de l'obésité, des règles des filles. Mais en
même temps, il faut bien en parler. Et puis à côté de
ça, il faut arrondir les angles. Voilà, des petites insultes...
Sexisme, non. C'est plutôt sur l'aspect physique. » (B5,
professeur en Segpa)
« Ils sont quand même plus dans l'envie de
plaire, dans ce petit jeu, que dans le truc de dire "va faire la cuisine" ou
des choses comme ça. Mais il y a des petits relents parfois... »
(J4, entraineur badminton)
« On sent chez certains garçons... on ne va
pas parler de virilité encore à cet âge là, mais le
côté masculin qui commence à l'emporter. [...] Mais,
sexiste... Je ne sais pas. Non, pour moi, sexiste, ce sont d'avantage des
comportements d'adultes, pour lesquels il y a eu un passé ou une
sociabilisation particulière. Bon, il peut y avoir, comme ça, des
petites réflexions, mais ça reste très limité.
» (J9, professeur de lettre-musique)
Le cas particulier de l'assistante sociale scolaire du
quartier Bastide montre des relations plus difficiles, sûrement du fait
de ce statut particulier qui lui fait connaitre les histoires les plus
délicates qu'ont pu vivre les élèves de
l'établissement.
« Ils ne se connaissent pas, c'est assez tabou.
Alors, ils se bousculent, ils passent une petite main de temps en temps
comme-ci comme-ça. Bon, il y en a quand même qui sont dans la
tendresse mais c'est assez brut de décoffrage leurs relations.
Après, j'ai eu une autre situation où des gamines
s'étaient retrouvées à la médiathèque et des
garçons leur avaient demandé de venir dans les toilettes. Il y en
a une qui ne voulait pas, mais l'autre l'a motivée. Elles y sont
allées, elles ont été obligées de
leur faire des fellations. Et après, comme si de
rien n'était. C'est ça qui est assez étrange, c'est
vraiment de la consommation. Là, j'ai senti dans cette situation que
c'était de la consommation, et ils ne voyaient pas la gravité,
sauf la petite qui avait subi. » (B3, assistante sociale)
De ce premier point de vue, la mixité n'apparait donc
pas particulièrement difficile à gérer, sauf dans
certaines situations exceptionnelles, même si, bien sûr, cette
constatation n'empêche pas que l'école et les lieux de loisirs
soient le théâtre d'une reproduction de la socialisation
genrée.
Par contre, ce que les professionnel.le.s remarquent souvent,
ce sont les insultes à caractère sexiste ou homophobe que peuvent
s'échanger assez régulièrement et assez violemment les
jeunes. Dans la plupart des cas, ces insultes ne sont vues que comme des
problèmes de discipline à gérer comme tels. Or, «
pourquoi croire que ce langage n'est que de la vulgarité, alors que
les garçons interrogés savent tous expliquer ce dont il s'agit ?
Ce vocabulaire participe à la connaissance et à la
définition des rapports de sexe » (Ayral et Raibaud, 2010).
« Des petites choses très basiques, ce sont
déjà les insultes entre garçons et filles. [...]
Après, il y a souvent des insultes qui deviennent... qui paraissent
normales : "Sale pute !", "Espèce de gros pédé !", ces
choses là. » (B3, assistante sociale)
« Les mots, l'autre ne l'entend pas toujours comme
ils veulent être dits par le garçon, ou la fille d'ailleurs. Moi,
je crois qu'il faut intervenir. On est professionnels quand même, on
sait. On ne va pas laisser un garçon traiter une fille de salope. On ne
peut pas. Même si pour lui... Même le mot "biatch"... Alors, tout
ça parce que c'est dans la bouche de Djamel, alors d'accord, on peut le
dire en... mais c'est toujours pareil, comment c'est dit, à quel moment
c'est dit ? Si c'est effectivement dans le cadre d'une blague à la
Djamel, ok. Mais quand c'est dit : "Ouais, celle-là...", on peut
reprendre. » (B1, infirmière scolaire)
« Après, c'est toujours pareil, quid de la
réflexion qui est vraiment censée faire mal, ou la
réflexion qui est rentrée dans le langage commun. »
(J6, professeur d'EPS)
Un discours sur les représentations des jeunes
Cependant, les jeunes sont décrits comme ayant des
représentations assez stéréotypées de ce que
peuvent être une fille ou un garçon. Sur le quartier de la
Bastide, lorsque ces différences de représentation sont
évoquées, elles sont souvent liées par les
professionnel.le.s
à la culture, ou à la précarité du
public.
« On travaille avec une population en grande
précarité avec des représentations sur les places que
peuvent occuper dans la société l'homme et la femme. Et dans le
discours quotidien des jeunes, on peut relever des traces de ce que peuvent
être les discriminations liées au sexisme. Ça va de la
petite chose bête de la réflexion d'un gamin : "Non, je ne fais
pas la cuisine, c'est un truc de fille" au regard que posent les jeunes sur
leurs soeurs, sur leurs mères, et sur les autres filles. »
(B2, éducateur spécialisé)
« Le manque de respect par rapport aux filles, c'est
aussi lié, je pense, à une certaine culture. Enfin, ça
accentue. [...] Il y a un truc qui n'est pas du tout accessible, ils ne peuvent
pas y accéder ces garçons là, et donc ils ont la haine,
quitte à être vachement violents verbalement et physiquement
parfois. » (B3, assistante sociale)
Sur le même quartier, l'assistante sociale scolaire
évoque le fait que ces stéréotypes du masculin et du
féminin sont aussi bien présents chez les garçons que chez
les filles. Ainsi, se construire en tant que femme apparait comme une
épreuve.
« J'ai l'impression que certaines gamines
intègrent complètement leur position de femme soumise à
accepter la règle du garçon. Ces gamineslà ont
complètement intégré le fait qu'il ne faut pas être
en jupe parce que sinon on va attirer les garçons, et ce sera bien fait
pour nous si on est violée. [...] Une fois, j'ai du virer une gamine
d'un groupe de parole parce qu'elle interdisait aux autres de parler parce
qu'on ne parle pas de sexe. Elle avait complètement verrouillé
toute discussion avec son regard, elle enfermait tout le monde. »
(B3, assistante sociale)
A ces stéréotypes et représentations, les
jeunes adaptent leurs comportements en groupe. Ainsi, les garçons, en
cours de guitare, évitent de choisir des chansons qu'ils jugent
féminines pour affirmer leur virilité.
« Les choix des morceaux ne sont pas du tout les
mêmes. C'est vrai que les garçons vont quand même sur des
morceaux un peu plus rock, plus masculins, entre guillemets, que les filles.
C'est vrai que dans leur choix, ça va quand même sur des morceaux
un peu plus rock, de garçons, plus rentre dedans, avec de la guitare
très saturée, un gros son. C'est vrai qu'il y a un petit peu ce
côté garçon, où ils font jouer la virilité.
Et d'ailleurs, je m'amuse parfois à essayer de leur faire jouer des
morceaux avec les filles, et c'est vrai qu'ils ont du mal à faire
ça, surtout quand ils sont en groupe, effectivement. » (J10,
professeur de guitare)
Les jeunes sont également décrits comme ayant des
stéréotypes sur la sexualité.
Certain.e.s interviewé.e.s parlent de la pornographie
et de l'image de la femme que peuvent en tirer les jeunes garçons. Une
animatrice du centre Bastide-Queyries décrit également des jeunes
ancré.e.s dans le modèle du couple hétérosexuel.
« Ou alors des gamins qui sont complètement
collés à l'image de la
sexualité pornographique, et la femme c'est ça.
» (B3, assistante sociale)
« J'ai l'impression que pour eux, la fille, elle est
considérée comme un objet. Alors que ce sont des garçons
qui ont 12-14 ans. Moi, ça m'a halluciné. » (B4,
éducatrice spécialisée)
« C'est hyper compliqué les rapports
garçons / filles sur les quartiers. Cette espèce de
sexualité débridée. Ils ont une vision des filles et ils
sont capables de tout pour pouvoir coucher avec, c'est un challenge. Les filles
sont des proies. » (B2, éducateur spécialisé)
« Mais de toute façon, ça les
questionne l'homosexualité. Pour eux, ce n'est même pas que ce
soit interdit, mais c'est sale. Voilà, ça ne se fait pas, parce
que c'est à l'encontre, quelque part, quand tu es pré-ado, d'une
normalité. Je crois que les pré-ados, ils cherchent aussi
ça, à être comme tout le monde, à se fondre dans la
masse, à travailler, à être mariés, avec des
enfants. Ce n'est pas l'idée du prince charmant, c'est juste
l'idée du couple qui est fait comme ça. » (B6,
animatrice)
Ainsi, les jeunes sont décrits comme ayant des
stéréotypes de genre, qu'ils.elles projettent
nécessairement sur les adultes qui les entourent, notamment les
enseignant.e.s et animateur.e.s. Or, « le fait de se
représenter les attentes des enfants comme
stéréotypées peut venir renforcer la mise en oeuvre de
compétences relationnelles différenciées chez les
animateurs et les animatrices » (Herman, in Raibaud et al., 2006).
Le sexisme, l'homophobie : ailleurs, mais pas ici
Quel que soit le quartier d'intervention des enseignant.e.s et
animateur.e.s entretenu.e.s, une grande majorité d'entre-eux.elles a
tendance à décrire ce quartier (ou cette zone) comme non
touchée par ce phénomène. C'est ce que l'on appelle le
« gender blindness », le fait d'être aveugle à
l'effectivité des rapports sociaux en termes de genre. Ainsi, les
professionnel.le.s du Jardin Public indiquent que leur quartier est très
peu touché par les tensions de genre, en comparaison aux quartiers
d'habitat social ou aux établissements classés en ZEP, par
exemple.
« On a moins de choses comme ça dans ce
secteur là qu'au Grand Parc, où quand même il y a beaucoup
de familles maghrébines, et c'est quand même l'image de la femme
ce n'est pas toujours très valorisé, donc il y a parfois des
reproductions. » (J4, entraineur badminton)
« Ils se connaissent depuis petits
généralement, depuis la maternelle ou la primaire, les familles
se connaissent aussi entre elles. Une forme, voilà, de presque de
consanguinité comme ça, sans être péjoratif. Du
coup, j'ai presque envie de dire que certains ont des rapports
fille/garçon qui sont quasiment parfois frère/soeur ou
cousin/cousine. C'est vrai qu'ils se connaissent très très bien.
C'est un peu comme une grande famille, avec les avantages et les
inconvénients que ça peut avoir. Non, ils ne sont pas dans ce
conflit sexué je trouve. » (J6, professeur d'EPS)
« A première vue, du point de vue d'un
enseignant, il n'y a pas vraiment de problèmes entre garçons et
filles dans cet établissement. [...] A la différence, mettons,
quand vous travaillez en ZEP. » (J8, professeure
d'histoire-géographie)
De la même manière, les professionnel.le.s du
quartier Bastide-Queyries ont tendance à comparer leur quartier à
celui de la Benauge, jugé moins mixte, et plus tendu concernant les
relations entre filles et garçons.
« Pas du tout. Est-ce que c'est parce que c'est
Queyries ? Après, je sais un peu d'où ça émanait au
départ ce souci, de quel partenaire... Alors, je peux l'entendre, et je
trouve ça bien que l'on en parle. Je trouve ça intéressant
que l'on se pose la question de la relation filles / garçons, mais de
manière générale... Le sexisme, heu... [...] C'est ce
quartier peut-être, je pense qu'il y a des quartiers plus difficiles.
» (B6, animatrice)
« Moi, je suis une fille bien dans ma peau, du coup,
il y a des choses que peut être d'autres filles verraient, des
problèmes de genre, moi, ici, pas du tout. Je ne me sens pas
confrontée vraiment sur le quotidien à des problèmes de
genre. [...] Non, sur Queyries, je ne peux pas dire que je me sois
confrontée à... Mais en essayant de travailler avec la Benauge,
où là on s'est trouvé confrontées à
certaines représentations. » (B7, animatrice)
Enfin, les animateur.e.s et enseignant.e.s de Bastide-Benauge,
quant à eux.elles, dénoncent l'image sexiste qui colle au
quartier et mettent en avant les efforts qui ont été faits.
« Parce que quand notre directeur
général, en réunion devant les 200 salariés, a
demandé qui voulait aller à la Benauge en urgence... Moi, je ne
voulais pas y aller, parce que je suis né ici, je suis comme leur
grand-
frère avant tout. Mais quand j'ai vu que sur 200
personnes, il n'y en a pas un qui a levé la main. Ils avaient une image
de la Benauge comme quoi c'était la racaille, plein de mecs, m'as-tu-vu,
plein de sexisme. Personnellement, ça m'a touché. C'est quoi
cette image qu'ils ont ? » (B8, animateur)
Mise à part les quelques cas évoqués plus
haut de professionnel.le.s qui mettaient en avant la culture ou la
précarité associées à leur quartier pour expliquer
les tensions entre filles et garçons, un seul des entretiens
décrit un sexisme et des stéréotypes plus fort dans son
quartier. Ce qui est à relever, c'est qu'il s'agit d'un professeur de
guitare du quartier Jardin Public. Il évoque notamment la place de la
religion catholique et le manque d'ouverture du quartier.
« Ça faisait vraiment une réflexion
très archaïque en fait. Il y a quand même ce
côté-là qui reste, malgré que ça avance. Et
ça, ça arrive souvent quand on propose des morceaux un peu
plus... un peu de fille, oui, je suis obligé de dire ça, mais un
peu plus pop, un peu plus sucrés, un peu plus soft. [...] Bon, c'est ici
que ça s'est passé. Le quartier, on a quand même une
population de profs, d'instits... ce n'est pas le milieu le plus rock'n'roll
qui soit. C'est ces enfants-là qui viennent quand même. Ici, c'est
quand même un quartier où il y a beaucoup de cathos, il y a des
écoles cathos... Je pense que ça vient de là. Parce que ce
n'est pas des trucs que je retrouve ailleurs ça. » (J10,
professeur de guitare)
Ainsi, les problématiques liées au genre
semblent plutôt invisibilisées par les professionnel.le.s.
Lorsqu'il.elles sont interrogé.e.s sur la place du genre dans leurs
structures, ils.elles se défendent de tout sexisme en soulignant qu'il
n'y a que peu de tensions. L'idée que l'école et les lieux de
loisirs puissent être des institutions reproductrices d'une socialisation
genrée n'est pas problématisée.
De l'importance de la variable adolescence
Les professionnel.le.s rencontré.e.s expliquent de deux
manières différentes, qui se combinent parfois, pourquoi les
jeunes garçons et les jeunes filles peuvent avoir des comportements
différenciés, s'éviter, ne pas se comprendre ou
s'insulter. Une de ces deux raisons est le fait que ces jeunes entrent dans une
période vue comme difficile, celle de l'adolescence. En effet, ce moment
de leur vie, perçu comme celui des changements, de l'évolution du
corps, de la féminisation ou de la masculinisation explique pour
beaucoup de profesionnel.le.s la particularité des rapports entre
adolescents et adolescentes. Pour Y.
Raibaud et S. Ayral (2009), cette « croyance que
l'adolescence est un âge indécis sur le plan de la
sexualité renforce la crainte que plus tard, l'enfant ne "bascule" dans
l'homosexualité, risque pour sa santé psychique et physique
[...] ». Les enseignant.e.s et animateur.e.s apparaissent alors comme les
garants de la différenciation genrée.
« On est dans l'âge de la
préadolescence. C'est une période fragile, il se passe de plus en
plus de choses chez ce genre de public, donc c'est moins facile à
gérer. C'est un moment charnière de la scolarité et de
l'âge. » (B5, professeur en Segpa)
Certains mettent en avant l'idée que filles et
garçons, à cet âge, ne se connaissent pas, et donc
commencent à se découvrir. Les tensions et comportements
différenciés seraient alors liés à cette
étape de transition.
« Moi, ce que j'ai pu voir, c'est vraiment cette
incompréhension. "Les garçons, ils sont bêtes. Ils ne
pensent qu'à ça". Bon, c'est un peu une réalité
aussi, les hormones les travaillent peut être plus que les filles,
à cette période là en tous cas. » (B3,
assistante sociale)
« Avec les plus petits c'est différent aussi,
avant 10 ou 12 ans, on n'est pas dans le besoin de se confronter avec l'autre
sexe. » (B6, animatrice)
« L'incompréhension aussi, ils sont dans des
fonctionnements complètement différents souvent, parce qu'ils ne
se connaissent pas en réalité. Ils fantasment l'autre, je crois.
» (B3, assistante sociale)
D'autres relèvent que cette période transitoire
n'a pas les mêmes conséquences chez les jeunes des deux sexes. La
différence de maturité, stéréotype très
répandu, est notamment évoquée.
« L'adolescence ne se caractérise pas de la
même manière chez les filles et chez les garçons. »
(J8, professeure d'histoire-géographie)
« Est-ce qu'on est, au niveau du collège, sur
une différence de maturité ? Les filles, dès le
départ, ont compris qu'il y avait des attentes ici, un règlement
qu'il faut respecter. Je pense qu'il y a une part de ça, à un
moment donné. Il y a ce petit décalage. Les garçons ont
cette maturité souvent un peu plus tard. » (J6, professeur
d'EPS)
Enfin, pour d'autres, c'est l'entrée en jeu de la
variable « sexualité » qui fait de l'adolescence ce moment si
particulier. Lié à l'idée que filles et garçons ne
grandissent pas de la même manière et à la même
vitesse, l'innocence des filles et l'apparition des premiers
désirs sexuels chez les garçons
entraîneraient un décalage.
« Je pense que c'est lié au
développement psychologique des garçons et des filles. On a
l'habitude de dire que les garçons murissent un peu moins vite que les
filles. [...] On va parler d'innocence, mais en même temps il y a ce
comportement sexué qui arrive progressivement. Donc il y a
décalage. Une fille peut avoir envie de s'habiller avec une jupe
très courte tout simplement parce qu'elle se sent bien dedans, et les
garçons, à cause de ce comportement sexué, vont avoir un
autre regard, moins innocent. » (J9, professeur de
lettres-musique)
La pression du groupe à la conformité
La deuxième raison invoquée pour expliquer les
difficultés entre garçons et filles, directement liée
à la première, est l'importance du groupe chez les adolescents et
prend une place non négligeable dans le discours des profesionnel.le.s.
En effet, les comportements sexistes que l'on remarque chez les adolescent.e.s
(insultes, stéréotypes...) ne seraient en fait que le
résultat de la volonté de se fondre dans le groupe, de ne pas se
démarquer, pour se sentir intégré.
« Et puis, ils disent ça, mais en même
temps le collège c'est les premiers amours, les premiers émois de
leur vie d'adolescents. [...] Mais je crois que c'est le propre de
l'adolescent, de ne pas se démarquer dans le groupe, d'être dans
les idées reçues un peu. » (B1, infirmière
scolaire)
« On a quand même toujours des images en groupe
: "Les filles c'est comme ça", "Les garçons c'est comme
ça". "Les filles, elles vont être avec les profs, elles sont
lèche-culs, elles veulent se faire bien voir, elles racontent des
histoires", et puis "Les garçons, ça bouscule, c'est violent,
ça se moque". Oui, ces images. [...] Donc, on se moque, mais finalement,
derrière, quand on les voit seul, il y a d'autres rapports
filles/garçons. » (B1, infirmière scolaire)
« Au-delà du rapport garçon / fille,
c'est plus la dynamique de groupe qui intervient. Même si, de tout temps
et à jamais, les relations filles / garçons... [...] La
problématique, c'est plus le phénomène de groupe, que le
jeune individuellement. » (B5, professeur en Segpa)
« Après, c'est le problème de
l'adolescence, où tu as le poids du groupe. Mais il ne faut pas
raisonner sur le groupe... Je ne sais pas comment dire, un groupe, il est en
représentation, du coup, quelque part, des fois ils nous donnent ce que
l'on attend d'eux. Il ne faut pas hésiter à provoquer ces
situations individuelles, où justement, là tu parles vrai. [...]
Moi j'arrive à comprendre qu'un ado devant ses potes il veut montrer une
image, et nous, on n'a pas à tout démolir, ça peut
être très
dangereux. Ça ne sert à rien de mettre les gens
en difficulté pour qu'ils évoluent, je pense. » (B7,
animatrice)
Les garçons et les filles sont donc vus comme
différents, comme ayant des représentations et des
stéréotypes de ce qu'est l'autre sexe, mais leurs relations ne
sont pas décrites comme tendues ou relevant du sexisme ou de
l'homophobie (ils.elles ne comprennent pas le sens de leurs insultes...). En
même temps, si tensions il y a, elles ont lieu ailleurs, ou sont dues
à la difficulté de la période adolescente ou à
l'effet de groupe. Sexisme et homophobie semblent être vus comme des
comportements pathologisés de l'adulte, mais jamais transposés en
latence aux jeunes, comme si le sexisme des adultes n'était pas
lié au sexisme des adolescents qu'ils ont été, et
inversement.
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