2- La socialisation de genre
La sociologie du genre, de son côté, s'est
intéressée aux processus d'intériorisation du genre par
les individus. La socialisation de genre est une contrainte sur l'individu,
mais aussi « le cadre dans lequel les individus sont "produits" et
deviennent des "sujets" » (Bereni et al., 2008). De cette
manière, le genre traverse l'ensemble de la société. Il
est l'apprentissage de gestes, de réflexes, de sentiments, de
manières de se tenir, d'éprouver le monde. Il est un construit
social, mais pas une réalité fixe et éternelle : le genre
appris aujourd'hui n'est pas le même que celui des
générations précédentes. Le genre appris ici n'est
pas le même qu'ailleurs.
Le processus de socialisation de genre commence pour un
individu avant même sa naissance par le biais d'actions
performatives4, lorsque ses parents préparent la chambre qui
va l'accueillir ou lui choisissent un nom. Il a également lieu lorsque
l'enfant n'est encore qu'un bébé. Par exemple, Elena Gianini
Belotti décrit les manières différentes qu'ont les
mères d'allaiter leur enfant qu'il soit un garçon ou une fille ;
on attendra d'un petit garçon qu'il se nourrisse goulument alors qu'on
attendra d'une petite fille beaucoup plus de retenue. Ainsi, « tous
les comportements de l'enfant sont, dès son plus jeune âge, "lus"
et interprétés différemment selon son sexe, par les
adultes » (Elena Gianini Belotti, 1974).
Le sociologue Pierre Bourdieu étend ses concepts
d'habitus, de violence symbolique et de domination au champ du genre dans
La domination masculine (Bourdieu, 1998). Ainsi, il met en exergue non
seulement la socialisation des femmes en tant que dominées, mais
également celle des hommes en tant que dominants : « Si les
femmes, soumises à un travail de socialisation qui tend à les
diminuer, à les nier, font l'apprentissage des vertus négatives
d'abnégation, de résignation et de silence, les hommes sont aussi
prisonniers, et sournoisement victimes, de la représentation dominante.
Comme les dispositions à la soumission, celles qui portent à
revendiquer et à exercer la domination ne sont pas inscrites dans une
nature et elles doivent être construites par un long travail de
socialisation, c'est-àdire, comme on l'a vu de différenciation
active par rapport au sexe opposé » (Bourdieu, 1998).
Cependant, et c'est ce qui fait la force de reproduction de ce système
de domination, « le propre des dominants est d'être en mesure de
faire reconnaître leur manière d'être
4 Performance de genre : L'établissement
d'une exécution de performance « obligatoire » de la
féminité et la masculinité produiraient la fiction
imaginaire d'un genre « naturel » aussi bien que la distinction entre
le sexe extérieur et biologique et le « genre intérieur
».
particulière comme universelle » (Bourdieu,
1998).
Dans L'arrangement des sexes, Erving Goffman prend un
positionnement de situationnisme méthodologique afin de rendre compte de
diverses situations dans lesquelles les performances de genre sont à
l'oeuvre. Il s'agit des « matériaux utilisés dans les
situations sociales de la vie quotidienne pour signifier le genre, pour mettre
en scène le féminin et le masculin ainsi que leurs relations
structurelles » (Goffman, 1977). Ainsi, une police de genre se met en
place, pour stigmatiser comme déviants ceux qui ne performent pas leur
genre conformément à leur sexe.
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