PARTIE 1 - CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
« La méthode, c'est le chemin, une fois qu'on l'a
parcouru. »
Marcel Granet
I- Cadre théorique : les « gender studies
»
Cette étude s'appuie et s'inspire fortement des
théories et des réflexions nées des études sur le
genre. Il est donc apparu nécessaire d'en donner ici les contours.
Thomas Laqueur, dans La fabrique du sexe (Bereni et
al., 2008), distingue deux formes de patriarcat1. Le patriarcat
pré-moderne, ou cosmologique, pour lequel il n'y a qu'un seul sexe, les
différences génitales observées seraient alors dues au
fait que ce que certains ont dehors, d'autres l'ont dedans. Il s'agit donc
plutôt d'un continuum. Le genre définissant alors le sexe, il
s'agit de maintenir l'économie de distinction entre les genres.
La modernité occidentale apporte une rupture avec ce
patriarcat cosmologique prémoderne. En effet, les scientifiques
inventent la rupture entre nature et culture. La différence entre les
sexes s'explique désormais par la science et devient incontestable. Avec
cette naturalisation, le sexe devient central puisqu'il fait le genre. Comme le
souligne Françoise Héritier, cette binarité
essentialisée est hiérarchisée. « Dans le monde
entier, les systèmes conceptuels et les systèmes langagiers sont
fondés sur ces oppositions binaires, qui opposent des caractères
concrets ou abstraits et qui sont marquées toujours du sceau du masculin
ou du féminin [...] : chaud/froid, lourd/léger, dur/mou,
actif/passif, rapide/lent, fort/faible, [...] rationnel/irrationnel,
transcendant/immanent ou même culture/nature... »
(Héritier, 2002). C'est avec la volonté de lutter contre cette
hiérarchisation que les féministes vont développer le
concept de genre.
1- Le genre : concept issu des luttes
féministes
Le terme de genre est né de la volonté de
distinguer le social du biologique, de rendre compte de l'idée de
construit social. En effet, les premières études sur le genre
entre les années 1930 et 1970 ont développé cette
théorie afin que « le "genre" [soit] distingué de la
notion commune de "sexe" pour désigner les différences sociales
entre hommes et femmes qui n'étaient pas directement liées
à la biologie » (Bereni et al., 2008). Il s'agissait donc d'un
processus de dénaturalisation des différences. Ainsi, les
comportements typiques de l'homme et de la femme deviennent le résultat
d'un construit social. L'anthropologue Margaret Mead
1 « Système de subordination des femmes qui
consacre la domination du père sur les membres de la famille »
(Bereni et al., 2008)
montre que dans certaines sociétés
océaniennes, les qualités considérées comme
naturelles chez l'homme et chez la femme peuvent être très
différentes de celles que nous y associons en occident (Mead, 1963).
Simone de Beauvoir clame que l' « on ne nait pas femme, on le
devient ».
Cette articulation entre sexe et genre sera ensuite
critiquée. Ainsi, dans les années 1990, Judith Butler soulignera
que cette conception du rapport entre sexe et genre contribue à
renforcer l'apparente naturalité de la division mâle/femelle, en
confirmant la binarité naturelle du sexe. Dans la même
idée, pour l'historien américain Thomas Laqueur, « non
seulement le genre - sexe social - n'est pas déterminé par le
sexe, mais le sexe lui-même n'est plus appréhendé comme une
réalité naturelle » (Bereni et al., 2008). Il y a donc
remise en question d'une base naturelle et biologique du sexe, et de la
séparation en deux genres hiérarchisés l'accompagnant.
Pour les féministes matérialistes2,
le genre n'est pas un simple fait social, il est un rapport social
dichotomisant. Ainsi, il s'agit d'analyser comment « le genre, non
seulement divise l'humanité en deux groupes distincts, mais le fait en
outre de manière hiérarchique » (Bereni et al., 2008).
Alors, le genre n'est plus une conséquence du sexe mais le
précède et le détermine. Le concept de patriarcat est
central dans cette analyse, puisqu'il est la réalisation d'une
domination non pas naturelle, mais matérielle d'un groupe sur un
autre.
Le post-féminisme queer3,
développé par Judith Butler, cherche à déconstruire
les catégories de genre, de sexe. Cependant, l'horizon n'est pas
l'abolition du genre mais la multiplication des formes de genre. Cette
multiplication aurait un effet subversif sortant l'individu de l'obligation
d'être conforme à une norme binaire.
2 Le féminisme matérialiste est un
courant du féminisme qui s'est développé dans les
années 1970. Pour les féministes matérialistes, «
il n'existe pas de dominations naturelles, il n'existe que des dominations
matérielles motivées qui expliquent la constitution de groupes
dominants et dominés » (Bereni et al., 2008).
3 « Terme anglais signifiant "étrange",
fréquemment utilisé comme une insulte visant à stigmatiser
les homosexuels ou toute autre catégorie de personne n'entrant pas dans
la norme du genre. C'est par une opération de "retournement du stigmate"
qu'avec ironie s'est créé un mouvement politique queer, à
la fin des années 1980 et au début des années 1990,
revendiquant un positionnement politique contestataire. Tout en
considérant les identités comme non-essentielles, ce mouvement
s'affirme par une revendication identitaire stratégique visant à
faire des minorités et des identités sexuelles le lieu de la
contestation des normes dominantes » (Bereni et al., 2008).
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