9.5.4 Leader une place à haut risque
La personnalisation via un leader est toujours dangereuse mais
fait parti de toute histoire d'un mouvement. Si l'on s'en réfère
a B.LECOMTE (DEVEZE, 2008) :
« Le leader est celui qui, par sa vision et sa
capacité d'explication, obtient que les autres membres disent «
marchons ensemble '>, sous-entendu « avec toi '>. Ces individus
rares ne sont pas choisis au début par un vote de leurs bases. Ce sont
des créateurs de sens, des gens qui pressentent ce que sera demain, des
prophètes courageux; ce n'est pas évident d'être fondateur
d'une association autonome ...au Mali '>
En effet il faut gérer à la fois la lutte
collective et cette ascension personnelle. Il est parfois difficile de
dissocier l'un de l'autre en tant qu'être humain d'abord et aux yeux des
militants et des autres acteurs ensuite. Il est toujours plus facile pour tout
le monde de se ranger derrière un leader. C'est ainsi que le
représentant de la FAO fait remarquer à ce sujet «
Ibrahima a fait l'opportuniste car il a accepté la médaille du
Président, il aurait du la refuser, il aurait du faire décorer
les OP. Tu étais dans la conviction, tu as pris sur toi toutes les
responsabilités c'est donc sur toi que retombe tout le mérite de
la LOA. Ibrahima a passé après son temps à toujours mettre
sa poitrine an avant, face au Président de l'APCAM, à la
télé, Continue ton chemin, ne t'arrOte pas là !
»
Cette situation toujours ambiguë et complexe d'un leader
fortifie à un moment puis fragilise les structures et la personne,
attisant les jalousies. Elle est aussi confortable pour les autres faisant
reposer sur une seule épaule les idées, les présences aux
réunions dans les hautes sphères. Ces lourdes
responsabilités accaparantes, la connaissance des dossiers
accumulées au fur et a mesure, font qu'à un moment il y a un
risque : le leader évolue pratiquement de plus en plus seul et de plus
en plus loin de la base. Du coup s'ouvre une voie pour d'autres
personnalités, motivées par d'autres enjeux, comme le nouveau
président de l'APCAM « il lui [Ibrahima] barre la route ».
70 En mai 2010, il vient d'être élu
vice-président du ROPPA au nom de la CNOP
« Depuis c'est la crise a l'AOPP, l'AOPP n'est plus
unie... la tension animale a baissé la raison prend le pas dans le sens
de la réflexion, ils acceptent de se dire bonjour maintenant et de
participer aux réunions mais personne ne veut faire le premier pas.
»
9.5.5 Des ressources financières et humaines
« limitantes»
C'est dans les points focaux qui ont très peu
fonctionné comme on l'a déjà vu que les salariés
étaient impliqués. Une personne avait été
recrutée en tant que chargé des programmes et de suivi de la mise
en oeuvre de la LOA, mais « on n'a pas eu les moyens financiers pour la
retenir, alors qu'elle était très compétente, elle est
partie à la GTZ » En effet financé sur un programme d'une
ONG sur 4 ans, le contrat prenait fin l'an dernier. N'ayant ni assez de
trésorerie ni de ressources prévues dans un nouveau programme a
temps pour faire la jointure, la personne est partie. La CNOP n'a plus de
salarié-e-s pour assumer cette fonction, et ceux en place ne peuvent pas
tout gérer. Vu les différentes discussions off on peut supposer
que ceci engendra aussi une coupure, avec les élu-e-s qui
s'étaient déchargés de ce volet sur lui. Lorsque le
salarié est parti, un vide s'est installé, voire un
découragement. A ce jour il n'est toujours pas remplacé.
Aujourd'hui a la CNOP il y a un animateur/directeur, une secrétaire, un
comptable en permanence et un planton/gardien « homme à tout faire
»-. Une autre ONG finance un poste d'informaticien pour 2 ans
actuellement.
Le manque de moyens en général et pour
être efficace au moment de la mise en oeuvre de la LOA en particulier est
une plainte récurrente. En effet ayant moins de financement, et surtout
un budget autonome, pour mener des activités liées a la mise en
oeuvre de la LOA, la CNOP se retrouve démunie pour perpétuer la
dynamique. Pire, elle est subordonnée a demander pour budgétiser
chaque action soit au SP soit a l'APCAM qui l'accordent ou pas. Des ateliers
sont organisés par les uns sans les autres. Le juriste du SP a mis les
pieds dans le plat lors de l'atelier de concertation « L'APCAM a fait un
atelier a Sélingué sur la mise en oeuvre de la LOA et la CNOP
demande un renforcement, un financement sur le même sujet ? »
Même si les OP bénéficient de soutien d'ONG comme la SNV,
HELVETAS, SOS-faim... c'est sur des programmes toujours assez longs a mettre en
route, pas toujours faciles à adapter au cours des
évènements qui demandent souvent à être très
réactifs. La restriction budgétaire est mal vécue par les
paysans qui se sentent déconsidérés par rapport à
tout leur investissement antérieur :
(( D nous a trahis mais maintenant il comprend que sans
nous il n'est rien ! On n'est pas considéré, on n'a pas de
financement donc pas de moyens alors qu'on a fait rentrer de l'argent via les
formations, les partenariats »
Cette pénurie financière pénalise aussi la
CNOP dans d'autres lieux :
((la CNOP dans le cadre du CSCRP où elle
était considérée comme (( indispensable ~ n'a pu s'y
impliquer que tardivement par manque de ressources financières, humaines
et techniques pour organiser la réflexion interne puis porter des
propositions. Flle demande de prendre en compte cette donne dans le CSCRP (( en
tant qu'OP entière et ne pas être assimilée dans plus
globalement la société civile. »71
La CNOP est entrain de perdre pied. Des dysfonctionnements
existent : le salarié en charge du dossier est parti et le syndicat est
en proie a des dissensions internes. Elle n'arrive pas ou plus a s'entourer de
personnes qualifiées pour avancer a ce stade là. Même les
ONG avec lesquelles elle travaille régulièrement n'arrivent pas
ou ne leur apportent pas les réflexions, les expériences qu'elle
a besoin. En même temps ce n'est pas vraiment
71 Plan d'Orientation Stratégique 2008-2012 de la CNOP
leur rôle « La SNV nous aide sur la logistique, le
renforcement organisationnel, la formation des cadres paysans. Elle crée
la condition de la réflexion.»
Les questions financières et de ressources humaines
sont importantes pour la CNOP. Elle n'a plus les moyens de se ressourcer en
organisant des débats avec la base et de porter leur parole. A quand une
ligne budgétaire permanente pour les syndicats paysans, elle existe pour
les syndicats de salariés ?
Ainsi la dynamique qui avait présidé lors de
l'élaboration se voit arrêter net dans son élan, ne
permettant ni de dialogue entre institutions et paysans d'une part, et ni de
débats entre paysans sur tout le territoire d'autre part tandis que le
fossé ne se comble pas entre l'APCAM et la CNOP. Entre la reprise en
main par l'administration de la LOA et les dissensions au sein des
organisations paysannes, le flou le plus complet règne pour essayer de
suivre la mise en oeuvre de la LOA. « De toute façon 2009 fut une
année des plus difficiles » dira lui-même le président
de la CNOP.
Même s'il est difficile d'aller plus loin dans l'analyse
car encore trop dans le présent, il était important de prendre en
compte ces éléments. Pour pousser la réflexion plus loin,
la construction d'un seul mouvement paysan derrière une seule structure
est-elle le reflet de la diversité des acteurs de l'agriculture
malienne. Si l'AOPP a été construite sur ce schéma, nous
en avons vu les limites. Est-ce que la volonté forte de la
société malienne d'être toujours dans le consensuel
n'entraine pas à cet état de fait ? Si cela a réussi au
moment de l'élaboration avec une volonté forte commune des
acteurs principaux, au moment de la mise en oeuvre des fissures apparaissent.
Cela augurerait-il d'une scission et de la structuration de plusieurs syndicats
avec des visions, des valeurs différentes comme dans de nombreux pays ?
A suivre !
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