3) Le lien entre l'art et la médecine n'a rien d'un
phénomène nouveau pour de nombreuses cultures, et la France, par
le biais de l'école d'art-thérapie de Tours, adopte une
perspective empirique de ce lien.
Le lien entre l'art et la médecine est très
présent dans plusieurs cultures traditionnelles et ancestrales, et
s'incarne souvent à travers un être humain au rôle bien
particulier : le chamane, ou guérisseur ou sorcier. On trouve ce
personnage dans les quatre coins du monde, dont l'apparence et les fonctions
peuvent varier (certains sont chefs de tribus, voyants, guérisseurs,
psychopompes, télépathes...). Le chamane est un personnage
très respecté au sein de sa communauté ; il est celui qui
soigne avec les plantes (connaissances médicinales) mais aussi avec son
esprit (dimension spirituelle et mystique), il est l'accroche entre
l'au-delà (le monde des esprits, le monde divin) et le monde terrestre,
ce qui lui permet (tout ceci, soyons d'accord, est la description type de ce
qui caractérise le personnage du chamane, ses pouvoirs ne sont que
supposés) de communiquer et transmettre à ses compères les
messages de l'autre monde. Il est le porteur des connaissances et des croyances
de sa tribu, et oeuvre souvent dans le secret.
Comment pratique-t-il ? Quand un membre de la tribu ou de la
communauté vient demander de l'aide au chamane, celui-ci
s'exécute selon des règles très précises, dont on
retrouve des similarités entre les différents peuples. Le chamane
opère une mise en scène de son acte de façon
particulière : il se peint le visage et le corps avec différentes
matières et couleurs (le symbolisme des matières et des couleurs
est propre à chaque culture), s'orne et use d'accessoires variés
(os taillés, bijoux, vêtements, aliments) et procède
à des chants ou des danses qui l'amènent à un état
de conscience altéré : la transe. Cette modification de
l'état de veille de la personne se manifeste souvent de façon
spectaculaire (mouvements convulsifs, modification de la voix...) et est
sensée traduire l'établissement de la connexion du monde divin
à l'esprit du sorcier. Ces rituels peuvent parfois durer plusieurs
jours, selon l'aide demandée. Là où l'art entre en jeu
s'explique dans les faits de mise en scène, des techniques
utilisées, de représentation des idées, mais aussi dans la
dimension spirituelle de l'usage des techniques, et dans la stimulation de la
sensibilité archaïque, dite brute, à travers l'état
de transe.
Dans notre société, le personnage du chamane est
loin de posséder cette popularité, même si, dans notre
passé, au temps des Gaulois, les druides tenaient plus ou moins ce
rôle. Au fil de l'évolution de notre culture, la dimension
mystique et spirituelle a peu à peu laissé sa place à la
science, et notamment la médecine (pharmacologie, chirurgie...). La
science a su expliquer bon nombre de phénomènes qui autrefois
trouvaient leur origine et leur signification dans le surnaturel*. L'art a
également pris au cours de l'Histoire des positions scientifiques
(représentations anatomiques), politiques (dénonciation ou
éloge des valeurs sociales ou d'événements historiques),
même commerciales (publicités) ; et bien qu'il se soit en quelque
sorte « vulgarisé », l'art continue de fasciner et
d'émouvoir. Il n'a rien perdu de sa spiritualité, au sens
où éveille notre esprit d'une façon qui ne nous est pas
habituelle au
quotidien. Et c'est, entre autres, à partir de cette
idée que nous pouvons oser penser à impliquer l'art dans le soin,
et d'aborder la notion d'art-thérapie telle qu'elle est proposée
au sein de l'école d'art-thérapie de Tours.
L'art-thérapie se traduit par l'exploitation du
potentiel artistique dans une visée humanitaire et thérapeutique
; c'est-à-dire que l'on utilise les possibilités qu'implique
l'art au regard de l'être humain dans une perspective de soin et de
mieux-être*. L'art-thérapie est une discipline paramédicale
qui s'adresse à toute personne souffrant de troubles de l'expression, de
la communication et de la relation, et ce quelle qu'en soit la cause
(pathologique, sociale, professionnelle...).
Pour une discipline qui n'existe officiellement, par
l'A.F.R.A.T.A.P.E.M. (Association Française de Recherche et Applications
des Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine ) que depuis
une trentaine d'années, cette large perspective d'intervention peut
sembler présomptueuse ; toutefois de plus en plus de travaux de
recherche universitaires et professionnels voient le jour chaque année,
concernant des structures médicales, sanitaires et/ou sociales diverses
(hôpitaux, centres de réinsertion, milieu carcéral, maisons
de retraite, etc.), et où l'impact de l'art-thérapie est
empiriquement testé et évalué. De nombreuses techniques
artistiques sont mises à l'épreuve dans ces travaux (le chant, la
danse, le théâtre, la musique, l'écriture, le dessin,
etc.), testant la pertinence de leur potentiel à l'égard de la
pénalité concernée.
L'art-thérapeute est soumis à l'autorité
médicale, c'est-à-dire qu'il répond à une
indication du médecin ou de l'équipe soignante qui permet alors
la prise en charge du patient indiqué. Il est d'ailleurs amené
à travailler en équipe ; il ne faut pas voir
l'art-thérapie comme un processus thérapeutique qui se suffit
à lui-même, mais comme une approche complémentaire et
originale du programme de soins établi par la structure. Elle est
originale de par le fait qu'elle va se centrer sur les parties saines de la
personne souffrante, à la différence du travail de
l'ergothérapeute, par exemple. L'art-thérapeute dispose d'outils
d'observation et d'évaluation propres (cf.annexe 3), dont leur
souplesse peut permettre de s'adapter aux différentes
pénalités (on n'utilisera pas les outils de la même
façon avec un patient adulte dépressif qu'avec un enfant
autiste). L'objectif est d'amener la personne à un mieux-être ; en
se concentrant sur ses capacités résiduelles, et sur les
productions qu'elle réalise, elle peut se voir autrement qu'une malade,
ou qu'un objet de souffrance. Elle peut à nouveau et progressivement
penser à s'investir dans un projet, s'en sentir digne, capable, et
mettre le projet en oeuvre (ce qui fait appel respectivement à l'estime
de soi, la confiance en soi, et l'affirmation de soi, qui sont les trois axes
psychologiques de travail de l'art-thérapeute sur le patient). Bien
sûr, il arrive que la prise en charge art-thérapeutique ne soit,
après en avoir fait l'expérience, pas (ou plus) le processus de
soin le mieux adapté au patient ; il relèvera alors de la
compétence de l'art-thérapeute, en coopération avec
l'équipe, de réorienter le patient vers une prise en charge plus
efficace.
Maintenant que nous avons défini les modalités
et les objectifs de l'art-thérapie, ainsi que son champ potentiel
d'intervention, nous allons à présent nous pencher sur la
structure qui a accueilli l'art-thérapeute stagiaire, et sur les
modalités du projet que celle-ci a mis en place en accord avec le projet
de soin de l'établissement.
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