2) Les différents intergénérationnels
au regard de l'art peut amener la personne à refuser la prise en charge
art-thérapeutique.
Cela a d'ailleurs été un problème de
taille pendant le stage, car l'étudiante artthérapeute avait
essuyé un nombre de refus considérable de la part des patients
qui pouvaient être potentiellement pris en charge. Pourquoi
refusaient-ils ? La raison principale était qu'ils se savaient
incapables de faire de l'art. << Je ne sais pas faire ça >>
ou << J'en ai jamais fait >> ou encore << À quoi bon
faire de l'art ? J'y connais rien >>. L'art-thérapeute stagiaire a
d'abord cru qu'elle commettait une maladresse dans son discours, et que cette
maladresse avait pour effet de décourager les résidents à
entamer un projet artistique. Mais c'est Mme D, au cours de l'atelier de
modelage, qui lui a apporté la réponse : << C'est sûr
qu'une fois qu'on s'est lancé, c'est pas sorcier au final. Mais c'est
vrai que quand on vient nous parler d'art, ça fait toujours un peu peur.
Ça intéresse, ça oui, mais ça fait peur car on
craint de ne pas être à la hauteur, et d'être jugé
par les autres. Jugé en mal, hein. Alors qu'en fait, on apprend tous
ensemble, et on s'amuse. >>
Évidemment, tous les résidents n'ont pas la
même ouverture d'esprit que Mme D. Mais cela a permis à
l'art-thérapeute de réfléchir sur la manière de
présenter l'art auprès des patients qui n'ont pas de
familiarité artistique. Cela nous renvoie une nouvelle fois sur la
manière dont l'art est perçu aujourd'hui ; et il semblerait que
pour certaines personnes âgées, l'art n'appartient qu'aux
artistes, qu'aux experts en la matière. Une vision plutôt
élitiste. Il pourrait être intéressant de façonner
un document informatif très accessible pour ce genre de personnes, cela
pourrait permettre de lever le voile de certaines idées reçues
injustement ancrées dans nos esprits.
En tous cas, cela ne veut pas dire que toutes les personnes
âgées seraient enclines à faire de l'art. L'art est un
sujet qui n'intéresse pas tout le monde, et nous devons prendre le soin
de respecter ce choix.
3) L'écriture et les arts-plastiques ne sont
peut-être pas les techniques artistiques les plus adaptées aux
pathologies de la personne âgée dépendante vivant en
institution.
Avant d'aborder en détail ce que sont
précisément l'écriture et les arts plastiques, nous tenons
à souligner quelque chose sur le plan de l'intervention de
l'art-thérapie auprès du patient. Si, dans ce mémoire,
nous nous sommes orientés vers la pénalité de la personne
(l'exclusion), nous aurions tout aussi bien pu nous orienter exclusivement sur
la pathologie (maladie d'Alzheimer pour Mme A et troubles neurologiques
modérés pour Mme B). Les objectifs auraient été
adaptés en conséquence, ce qui aurait pu donner pour Mme A, par
exemple, le fait de préserver ses capacités résiduelles
dans une optique de << frein >> de la maladie, et tout autre chose
pour Mme B. Leur insertion sociale aurait pu être perçue comme un
objectif intermédiaire. Le rôle fondamental de
l'art-thérapeute n'est pas de travailler les parties du corps qui vont
mal, mais de stimuler les parties saines, de sorte à <<
dépasser le
mal ». L'impact du travail d'art-thérapie a certes
une incidence sur le plan physique du patient (les sensations), mais elle fait
notamment appel à une réflexion psychologique (idées,
imagination, émotions). Selon la technique artistique utilisée,
le ciblage de l'impact sera évidemment différent. Nous allons
étudier cela avec l'écriture et les arts plastiques.
L'écriture, du latin littera
(caractère), dans sa définition la plus basique, est l'acte
d'écrire. Écrire, c'est tracer un ensemble organisé de
signes, le plus souvent linguistiques. Cependant, on appelle aussi
«écrire » l'acte de composer une partition musicale. Nous la
considérons donc comme la mise en mots des idées.
Par l'usage courant, nous nous servons de notre main pour
écrire (préhension et manipulation de l'objet traceur), sur
différents supports. Toutefois, pour ceux qui ne peuvent opérer
de cette façon, il est possible d'apprendre à écrire en
faisant l'usage d'autres parties du corps, comme la bouche ou les pieds.
À travers l'avancée technologique que nous connaissons
actuellement, nous sommes aussi amenés à écrire en
appuyant sur les touches du clavier d'un ordinateur (même si cette
technique a trouvé sa source dans des inventions plus anciennes telles
que la machine à écrire ou encore l'imprimerie). L'expansion
croissante de la technologique dite « tactile » ne requiert plus
qu'une pression des doigts ou d'un objet sur une surface interactive pour
rédiger un message.
Quelles sont les raisons qui nous poussent à
écrire, et qu'écrit-on d'ailleurs ? Dans l'Antiquité, la
littérature (et l'écriture par association) appartenait au monde
des intellectuels, et oeuvrait dans la transmission des sagesses philosophiques
et des textes de loi. La bibliothèque d'Alexandrie était l'un des
monuments phares de cette époque, où l'on archivait les ouvrages
(traduits en grec) des auteurs de toutes les contrées
méditerranéennes. La civilisation gréco-romaine a
attaché un intérêt majeur à la création et la
sauvegarde des livres, véritables empreintes des savoirs et des
cultures. Au Moyen-Âge, l'écriture était très
liée à l'Église. Les lettrés étaient les
moines et les prêtres, et était notamment chargés de
recopier les anciens textes des Saintes-Écritures, et plus tard au XIIIe
siècle, lorsque les premières universités sont apparues,
les textes des savants. Les textes étaient écrits en latin. Ce
n'est que lors de la Révolution Culturelle si caractéristique de
l'époque de la Renaissance que l'on a commencé à apprendre
obligatoirement à lire et écrire la langue française dans
les grandes écoles. Ont émergé en France à cette
époque de grands poètes et écrivains français comme
Ronsard, Rabelais, le célèbre dramaturge Molière, mais
aussi des philosophes comme Descartes. Le siècle des Lumières a
connu le génie des intellectuels comme Rousseau, Voltaire,
Chateaubriand, ou encore Lamartine, pour ne citer qu'eux. À notre
époque actuelle, la politique d'éducation française agit
en sorte à ce que chaque enfant scolarisé soit en mesure de lire
et d'écrire sa langue maternelle.
À travers l'Histoire, l'écriture s'est enrichie,
diversifiée, même si elle conserve son but premier de transmission
d'un message, d'une trace. L'écriture possède une branche dont le
but recherché est l'esthétique : il s'agit du Bel Écrit.
On la retrouve principalement sous la technique de la calligraphie (latine,
arabe, chinoise...). Le Bel Écrit se retrouve dans plusieurs
civilisations et a émergé presque en même temps que
l'apparition de l'écriture « classique ».
Les arts plastiques, quant à eux, constituent
l'ensemble des techniques qui élaborent des formes (peinture, sculpture,
architecture, dessin, modelage...). Elles ont pour but de tendre vers une
harmonie personnalisée de la forme de la production (les matières
utilisées et leur organisation, ce que l'on perçoit), avec le
fond de cette production (le sens de l'oeuvre, ce que l'on ressent et
reconnaît). Ces techniques existent aussi depuis bien longtemps, mais
comme nous avions pris ces arts comme référence principale
à l'explication de l'art dans la première partie, nous ne
reviendrons pas en détail sur son cheminement historique. Nous pouvons
tout de même préciser que les arts plastiques ont connu
différents grands courants d'application (la
discipline de l'histoire de l'art a d'ailleurs pour but de
retracer et d'expliquer ces courants), et que les artistes contemporains de ce
courant devaient produire selon les règles et contraintes
établies.
Les oeuvres plastiques (entendons ce terme comme correspondant
aux arts plastiques) comptent parmi les plus répandues dans notre
culture : toiles, statues et monuments, illustrations, graffitis... Elles font
l'objet d'un nombre d'expositions considérables, et la plupart des
musées d'Art accueillent ce genre d'oeuvres On trouve une
diversité et une richesse des productions assez impressionnante
aujourd'hui.
L'écriture consiste donc à laisser une trace
signifiante de nos pensées, sous différentes formes : l'essai, le
poème, le récit, etc. Et les arts plastiques sont un moyen de
mettre ces pensées en forme ancrée dans le temps et l'espace.
S'il y a bien quelque chose qui lie ces deux grandes catégories
artistiques, c'est la trace potentiellement permanente de l'oeuvre En quoi
l'usage de ces techniques et ce potentiel peuvent être pertinents chez la
personne âgée dépendante souffrant d'exclusion ?
S'il y a bien un terrain d'entente entre la condition de la
personne âgée et l'écriture, il s'agit de celui de
l'intervention du processus de transmission. La personne âgée,
c'est celle qui a l'expérience, un vécu riche, et un savoir que
les populations plus jeunes n'ont pas. C'est pour cela qu'il incombe aux
parents d'éduquer leurs enfants selon le savoir qu'ils ont acquis au
cours de leur vie ; d'ailleurs, les grands-parents ont parfois un rôle
éducatif à jouer envers leurs petits-enfants. C'est souvent eux
qui connaissent le plus d'histoires, de jeux, de chansons, de connaissances, et
leur transmission met en valeur leur importance au sein de la famille.
L'apprentissage, l'échange et la transmission de connaissances sont des
processus qui nous sont familiers et que nous appliquons au quotidien dans la
société. Ils sont comme des moteurs qui nous entraînent
dans une dynamique sociable.
Le travail d'écriture trouverait donc une
cohérence avec ces processus. Comme son objectif premier est de
transmettre une idée par des mots, le texte, une fois couché sur
un support (papier par exemple), est amené, de par la nature
conservatrice du support, à être relu, partagé,
corrigé, voire même détruit. Le texte est ainsi inscrit
dans un temps et un espace spécifiques ; il en va de même pour
l'oeuvre plastique, mais aussi pour l'être humain pendant sa vie.
La personne âgée dépendante est, par
l'atteinte de son autonomie, dans une relation ou c'est l'autre qui lui
apporte, et non l'inverse. Cela est très pénalisant, car il
serait plus logique que ce soit elle qui ait a apporté aux autres,
grâce à son expérience et ses connaissances. Mais la
fragilité et la maladie sont des critères qui freinent ou
empêchent le développement de cette relation valorisante. Le
goût de vivre, vu de cette façon, peut être mis en
péril : quel intérêt de vivre si nous ne pouvons plus rien
pour nous ni pour les autres ? C'est pour cela que les arts plastiques et
l'écriture ont un intérêt avec cette population : la
production inscrit la personne âgée dans une dynamique qui tend,
en premier lieu, à améliorer l'image d'elle à travers
l'exploitation de son potentiel artistique, et dans un second lieu, à
présenter sa production au monde et établir ainsi une relation
avec les autres. Nous avions pu voir cela avec les retours que Mme A avait eu
sur son texte décoré sur les fleurs ; ces retours peuvent sembler
si modestes au premier abord, mais ils ont un pouvoir grandement gratifiant
pour une personne qui n'attendait plus rien du monde, ni d'elle-même. Mme
B, à travers les activités d'arts plastiques, a pu établir
une relation privilégiée avec sa voisine, puis avec d'autres
résidents, qui aujourd'hui perdure encore, alors qu'au départ,
cette dame qui s'ennuyait, en proie au chagrin, qui ne comprenait pas ce
qu'elle faisait encore là dans l'établissement, ne s'investissait
que dans l'idée fausse et obsédante d'être bientôt de
retour à son domicile.
Toutefois, ces techniques artistiques auraient-elles eu le
même impact positif si l'on s'était intéressé aux
pathologies des patients, et non à << l'isolement social >>
? Les modalités pratiques auraient certainement dû être
adaptées. Par exemple, pour un patient atteint de la maladie
d'Alzheimer, on se serait davantage concentré sur le maintien du geste
d'écriture, ou la thématique aurait pu concerner des souvenirs de
vie que le patient aurait parfaitement conservé en sa mémoire
(stimulation des parties saines). On aurait pu, concernant les arts plastiques,
confectionner une valise décorée et/ou peinte, comprenant
à l'intérieur des photos anciennes de la vie du patient. Mais on
ne peut trop s'avancer sur ces idées tant que l'on ne connaît pas
les caractéristiques du patient (état de santé,
anamnèse...) ; l'idée est que le thérapeute doit savoir et
pouvoir proposer un travail qui soit cohérent avec la
personnalité du patient, ses capacités, et qui ne favorisent pas
ses troubles et ses pénalités.
Tout ne peut cependant pas se résumer à l'usage
exclusif de l'écriture et des arts plastiques pour cette population. Les
excellents travaux de recherche de Jospitre et de Petitpré nous montrent
qu'il est possible d'améliorer la qualité de vie des personnes
âgées dépendantes atteintes de démence en leur
proposant des activités de danse, et de musique. Cela illustre
d'ailleurs que l'art-thérapeute ne doit pas, même s'il
possède souvent une ou deux spécialités artistiques, se
cantonner à ses atouts, et s'ouvrir aux potentiels qu'offrent les autres
arts, afin d'être au mieux pour proposer un travail
art-thérapeutique adapté aux conditions du patient pris en
charge.
Nous allons maintenant nous concentrer sur les remarques et les
questionnements qui concernent l'art-thérapie dans ses fondements et son
enseignement.
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