B) Certaines remarques au regard de la population
choisie sont amenées à être posées vis-à-vis
de ce travail.
1) Évoquer l'exclusion de la personne
âgée dépendante alors qu'elle vit en institution peut
sembler ambigu à comprendre et pose un certain degré
d'impertinence sur la réalité des faits.
Dans la première partie de ce mémoire nous
parlions de l'exclusion de la personne âgée principalement dans le
cadre socio-spatial. L'exclusion se traduisait dans la difficulté
d'accès aux soins et aux services dont dispose le milieu fortement
urbanisé, mais aussi de l'isolement qui en découle (exode rural).
Toutefois, les différentes mesures employées pour lutter contre
l'exclusion des personnes âgées prend de l'ampleur, et touche de
plus en plus de régions rurales et défavorisées.
Même dans le milieu urbain, des réaménagements ont lieu,
notamment en terme d'accessibilité (lignes de bus spéciales,
escaliers remplacés par des rampes, logements adaptés en
centre-ville...). La précarité des personnes âgées
gagne de plus en plus d'importance au sein des priorités du
gouvernement, mais ce problème est hélas encore bien loin
d'être résolu. Si les mesures visent à maintenir le mieux
possible une qualité de vie autonome de la personne âgée,
qu'en est-il de la qualité de vie offerte aux personnes
âgées dépendantes institutionnalisées ? Peut-on
vraiment parler d'exclusion ?
En théorie, les personnes âgées
dépendantes vivant dans des institutions spécialisées
comme les EHPAD ne doivent pas souffrir d'exclusion. Elles vivent avec d'autres
résidents, ont un accès permanent aux soins médicaux, et
un accès à certains soins de confort, bénéficient
d'activités d'animation, etc. Que le placement soit volontaire ou subi,
la personne institutionnalisée fait administrativement et humainement
partie du groupe institutionnel, on ne peut donc pas justifier l'usage du terme
d'exclusion. Il serait dans ce cas plus pertinent d'avancer la notion
d'isolement, qui se traduit non pas par l'impossibilité d'être
intégré au groupe, mais par un éloignement
vis-à-vis du groupe. Cette nuance est importante à comprendre
dans le fait que la personne est quotidiennement en contact avec plusieurs
personnes (personnel, résidents...), mais ce contact ne s'entretient pas
; alors que dans l'exclusion, on fait clairement référence
à une absence de contact avec le groupe, ou la société.
Pour résumer simplement, la personne isolée (volontairement ou
non) appartient au groupe mais ne le vit pas comme tel, alors que la personne
exclue voudrait appartenir au groupe, mais ne le peut pas.
Toutefois l'isolement est aussi envisageable en tant que
processus intermédiaire intervenant dans le processus d'exclusion, ce
qui peut amener à confondre ces deux termes. Une personne exclue a
d'abord et forcément été au préalable une personne
isolée, marginalisée, avant d'être coupée de la
collectivité. Illustrons cela avec l'exemple du départ
à
la retraite : La personne active appartient au groupe de
l'entreprise, puis, le départ à la retraite se prépare ;
la personne et ses collègues sont conscients qu'elle va bientôt
quitter l'entreprise, perdant concrètement et progressivement la
qualité relationnelle qu'elle entretenait avec eux, mais aussi le
travail en lui-même. Selon l'activité, la personne peut voir sa
charge de travail diminuer peu à peu, pour enfin cesser le jour du
départ.
L'isolement n'implique pas spécialement une souffrance
(l'exemple cité précédemment peut également le
montrer ; la personne peut très bien vivre sa préparation
à la retraite), mais l'exclusion (et encore, le mot est fort dans cet
exemple) de la personne par rapport à l'entreprise entraîne la
perte de son identité de << travailleur >> et instaure donc
un manque, un manque qu'il faut combler pour pouvoir à nouveau
s'épanouir. Le travail à effectuer n'est donc pas le même
pour l'isolement et l'exclusion. Il faut donc faire très attention aux
subtilités des termes que l'on choisit quand on établit un plan
de soins, en institution comme ailleurs.
Comment un individu peut se retrouver isolé dans
l'institution ? Lorsque la famille décide de confier leur membre
âgé et dépendant à un établissement
spécialisé, ils savent que leur proche sera << bien
entouré >>. Malheureusement, la réalité se vit bien
souvent différemment sur le terrain. Le résident qui arrive dans
l'institution sait qu'il est très probable que sa vie va se terminer
ici. La personne éprouve déjà le traumatisme de sa
séparation avec son domicile (et de tout ce qui touche de près ou
de loin au domicile, comme la famille, les biens mobiliers, le patrimoine
familial, les voisins...), et elle sait que son nouveau lieu de
résidence correspond à celui où d'autres personnes
âgées comme elle << attendent la mort >>.
L'institution, c'est le contact permanent avec la maladie, les
médicaments, les examens, et d'une façon plus implicite, la mort.
Certaines personnes récemment installées dans l'institution
peuvent décliner à une vitesse fulgurante, ne voyant plus
l'intérêt de vivre, coupées de tous les repères qui
faisaient d'elles des personnes << dignes >> ; elles perdent toute
forme d'appétence* : on appelle cela le syndrome de glissement.
L'appétence sociale est également mise en
péril. Le résident peut très bien ne pas vouloir chercher
à établir de relation avec les autres, qu'il vit comme une source
d'angoisse morbide ; il va s'isoler du reste du groupe institutionnel. Pour
citer un exemple concret, une dame récemment arrivée dans
l'U.S.L.D. de l'Ermitage avait été amenée par une
aidesoignante pour participer à une activité culinaire, et pour
l'occasion, de se faire des relations auprès des autres
résidents. Mais lorsqu'elle a regardé ses confrères et
consoeurs autour des tables de travail, elle s'est tournée vers
l'animatrice en grimaçant : << Mais il est hors de question que je
me mêle à ces vieilles toupies ! Non mais vous les avez vues ?!
>> Cette attitude intolérante est dure, mais elle traduit aussi
une souffrance que la personne endure, et n'arrive pas à dépasser
vis-à-vis du cadre et du milieu qu'elle doit désormais
côtoyer au quotidien.
C'est pour cela que les animations, les soins
paramédicaux et socio-esthétiques sont si importants dans ce
milieu. Leur rôle est de donner un quotidien de vie agréable et
digne à tous, même si le handicap et la maladie les amènent
dans une situation de dépendance extrême. Les personnes
âgées sont avant tout des êtres humains qui ont des besoins
et des envies comme chacun d'entre nous ; il ne faut pas les considérer
autrement. Et ces personnes ont au moins autant que nous autres besoin de
reconnaissance, une reconnaissance bien plus noble que celle du <<
patient >>. L'isolement peut aussi subtilement s'installer
vis-à-vis de ce mode relationnel, qui n'est que trop courant dans les
institutions médicalisées. Mais de récentes formations
proposées au personnel soignant mettent l'accent sur le
côté humanitaire du milieu de soins et de la prise en charge, et
de son importance au sein de la qualité de vie des résidents.
C'est, d'une certaine façon, un moyen de lutter contre la
marginalisation des personnes âgées dépendantes.
Nous pouvons maintenant comprendre plus aisément,
à travers ces quelques exemples, que le terme d'isolement est
préférable à celui d'exclusion quand on parle de ce public
précis, ainsi que les dégâts tant physiques que psychiques
que l'isolement peut causer à la personne qui en est victime ou auteur.
Mais, en ce qui concerne la prise en charge art-thérapeutique, si elle a
déjà démontré son efficacité à
travers de nombreux travaux de recherche, quelles en sont ses limites et
pourquoi ?
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