2) Le choix volontaire de ne pas consulter le dossier
médical personnel des patients met en évidence une plus grande
sincérité dans la relation, mais aussi des limites qualitatives
sur la prise en charge.
Bien que le médecin-chef de service lui en ai
donné l'autorisation, l'art-thérapeute stagiaire a choisi de ne
pas consulter le D.P.P. (Dossier Patient Partagé) des patients qu'elle
prenait en charge. L'argument mis en avant pour justifier cette décision
était une préservation de la sincérité de la
relation entre la patiente et la thérapeute, qui se serait perdue si
elle avait consulté le dossier. Quels avantages peut-on tirer d'une
relation << sincère >> avec le patient?
Premièrement, la thérapeute ne peut pas poser de
<< fausse question >> ; nous entendons par là que
lorsqu'elle fait connaissance avec la patiente, elle part de zéro, ou
presque ; elle n'a pas d'informations particulières à son sujet,
sur sa vie, etc. La patiente a donc le libre pouvoir de dire ce qu'elle
souhaite sur elle, tout en sachant que son intimité sera
respectée, ce qui est une qualité essentielle de la relation de
confiance.
Et deuxièmement, l'absence d' a priori que pourrait
établir la thérapeute envers la patiente si elle avait
consulté son dossier. Certaines informations, notamment les plus graves
sur le passé judiciaire et affectif du patient, peuvent nous
émouvoir et nous amener à nous comporter différemment avec
la personne, et cela peut mettre en péril le lien relationnel qui tente
de s'établir ; le patient peut ne pas le comprendre, et en souffrir.
Même si le professionnel fait preuve de compétences remarquables
dans l'exercice de son métier, et qu'il entretient une distance
suffisamment bonne avec ses patients, il y a tout de même certaines
choses qui, selon l'individu, vont lui paraître insupportables,
invraisemblables, tristes ou révoltantes, et cela pourra se <<
lire >> dans ses gestes, ses paroles, ses attitudes ; nous sommes tous
des êtres humains et possédons tous certaines zone de
fragilité. C'est pourquoi il a semblé important d'aller à
la rencontre des patients avec la plus grande neutralité possible, c'est
aussi quelque chose qui peut changer de la routine des patients, qui lorsqu'ils
consultent le médecin ou l'infirmière, sont au courant que ces
derniers savent beaucoup de choses sur leur vie. Pour l'art-thérapeute
stagiaire, la préservation de la sincérité de la relation
permettait au patient de nouer des liens originaux avec un
thérapeute.
Toutefois, on ne peut nier que la non-consultation du D.P.P.
est une grave erreur, surtout dans une structure médicale, et pour
plusieurs raisons : D'abord, ne pas connaître l'anamnèse du
patient peut amener le thérapeute à lui poser des questions ou
lui proposer des choses qu'il ne souhaiterait entendre pour rien au monde, car
source de souffrance ou d'angoisse. Nous avions eu un bref exemple avec Mme B,
lorsque l'art-thérapeute stagiaire lui avait demandé si elle
avait des enfants, ce qui l'a enfermé dans un mutisme et une tristesse
considérables jusqu'à ce qu'elle soit retournée dans sa
chambre. Cette absence de connaissances peut très vite se retourner
contre soi, et commettre des maladresses que l'on aurait facilement pu
éviter en consultant le dossier.
Ensuite, il y a le fait de ne pas connaître la
médication prescrite au patient. Pourquoi cela est-il important ? Les
effets secondaires des médicaments peuvent entraîner toutes sortes
de troubles chez le patient (somnolence, raideur, ralentissement moteur et
psychique...), et peuvent constituer des difficultés dans le bon
déroulement de la prise en charge. Et inversement, quand certains
médicaments ne sont pas pris (essai, oubli), d'autres effets peuvent
apparaître, notamment des douleurs musculaires, nerveuses, osseuses, et
troubles migraineux, qui influencent l'humeur et l'état d'esprit du
patient. Le thérapeute pourra toujours essayer d'adapter sa
stratégie pour mener à bien la séance, mais ces efforts
auraient pu être économisés et une alternative aurait pu
trouver sa place bien avant si le thérapeute avait pris connaissance de
la médication. Nous pouvons également noter les risques
d'allergie qui peuvent mettre le patient en danger (exemple. allergie à
certains composants chimiques de la peinture), et qui auraient du coup pu
facilement être évités.
La connaissance du D.P.P. semblerait donc être vivement
recommandée pour ce type de population et ce genre de structure.
Même si l'équipe soignante fournit de précieuses
données sur les patients, il n'est pas possible de se rappeler de
l'intégralité du dossier, surtout certains détails qui
n'auraient pas d'importance pour l'infirmière par exemple, mais qui en
aurait pour l'art-thérapeute. La médication et l'état de
santé du patient sont des données qu'il faut connaître avec
précision avant de lui proposer le moindre projet. Toutefois cela
impliquerait un mode relationnel conforme à celui que les autres
soignants entretiennent avec le patient, enlevant par conséquence
l'originalité du lien ; un compromis sans doute nécessaire
à la sécurité du malade.
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