2) Mme B est convaincue, lors des présentations,
qu'elle va rentrer chez elle, soulignant l'inutilité d'une prise en
charge.
Le lundi 25 janvier 2010, l'art-thérapeute stagiaire
est allée a la rencontre de Mme B dans sa chambre, qui regardait, a
travers la fenêtre, la pluie tomber sur Tours (l'établissement est
situé dans les hauteurs de la ville, offrant une vue
particulièrement superbe sur la ville). La patiente était
visiblement distraite, puisqu'elle s'est mise a sursauter au moment où
l'étudiante lui faisait face a moins d'un demi-mètre pour lui
serrer la main. Un petit rire a échappé de Mme B.
L'art-thérapeute stagiaire s'est présentée et a fait part
a la patiente de sa connaissance sur l'ennui qui la minait depuis plusieurs
semaines. Mais Mme B a eu une réaction qui a surpris cette fois
l'étudiante : << Oui ça m'arrive de temps en temps, mais ne
vous inquiétez pas pour moi, je rentre chez moi demain. Ce ne sera plus
un souci. >> L'artthérapeute a joué le jeu et a
manifesté son ravissement pour son prochain retour au domicile. Elle a
brièvement enchaîné quelques banalités avec Mme B,
puis l'a poliment quittée. Cette attitude ne traduisait pas un
désemparement de l'art-thérapeute stagiaire face a cette
situation inattendue, mais il n'était pas utile de proposer a une
patiente, qui était convaincue de quitter l'établissement dans
les prochaines 24 heures, un projet qui s'étalerait probablement sur
plusieurs semaines et qui se réaliserait ici-même a
l'hôpital. L'étudiante s'est donc engagée a revenir la voir
le surlendemain matin pour en discuter, et bien évidemment, Mme B ne le
savait pas.
Deux jours plus tard donc, l'étudiante est revenue vers
Mme B, qui ne se souvenait plus de l'avoir rencontrée. Elle s'est a
nouveau présentée, mais n'a guère touché un mot sur
son supposé << départ >> qui aurait dû avoir
lieu la veille. Mme B n'en a pas parlé non plus, mais elle était
aujourd'hui d'une humeur beaucoup plus nerveuse et triste que la
première fois. L'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si
elle s'ennuyait la journée, a rester dans sa chambre et regarder dehors
par la fenêtre. Mme B secouait très légèrement la
tête, et fixait son interlocutrice sans répondre le moindre mot.
L'art-thérapeute stagiaire lui a ensuite demandé si elle savait
où elle se trouvait, si elle arrivait a se repérer. Mme B a
levé les sourcils, souri et mordu sa lèvre inférieure tout
en baissant les yeux vers le bas de la vitre, toujours en silence. <<
Cela vous inquiète peut-être un peu, >>, a continué
l'art-thérapeute stagiaire, << comme vous avez fait une chute il
n'y a pas longtemps, vous n'osez peut-être pas vous promener un peu dans
l'établissement ...? >>. Mme B a répondu que <<
c'était tout un travail >> en affichant un petit sourire.
L'art-thérapeute a alors proposé de faire toutes les deux un
petit tour de l'étage, pour voir comment ça se passe en dehors de
la chambre. Mme B a acquiescé d'un mouvement de tête, et toutes
deux sont sorties dans le couloir. L'art-thérapeute stagiaire a
demandé a la patiente de se tourner face a sa chambre, et de regarder la
plaque sur le mur qui indiquait son numéro. << Vous voyez, vous
êtes au 309 (pour des raisons de confidentialité, le numéro
de chambre a aussi été modifié) . Au 309,
côté fenêtre. Mme B acquiesçait de nouveau en levant
les sourcils. Quand elles se sont mises a marcher dans le couloir, la patiente
a tendu son bras pour que l'étudiante lui serve d'appui.
Désormais bras-dessus bras-dessous, les deux dames se baladent
doucement, saluant le personnel et les résidents qu'elles croisaient au
passage. Au bout de quelques minutes, Mme B s'étonnait du monde qui
circulait dans le couloir. << Ça bouge, ça travaille
beaucoup par ici ! C'est important de travailler, je sais ce que c'est.
>> L'artthérapeute stagiaire expliquait brièvement a Mme B
chaque lieu et son rôle, et cette dernière enchaînait
toujours par une phrase ou quelques mots qui faisaient référence
au travail hospitalier ou ménager. L'étudiante en a
profité pour l'accrocher sur la prise en charge : << Si vous aimez
tant travailler, Mme B, alors j'aurais quelque chose a vous proposer, mais
attention, ça n'a rien a voir avec le ménage ! >> Au vu du
timbre de voix chargée d'humour de l'art-thérapeute stagiaire,
Mme B s'est mise a rire et manifestait sa curiosité. Comme elle avait
beaucoup de mal a reconstituer sa vie passée, un
travail autobiographique similaire a celui proposé a Mme A
n'était pas ce qu'il y avait de plus adapté. Ayant fait beaucoup
de travaux manuels, l'étudiante a donc proposé a la patiente de
faire une activité artistique de confection d'animaux avec divers
matériaux. Mme B a répondu que c'était un travail qui lui
était inconnu, mais l'étudiante a rétorqué le fait
qu'il s'agissait justement de l'occasion de se lancer dans quelque chose qui
puisse sortir de son ordinaire, et que cela pouvait être très
ludique. Mme B était d'accord pour un essai. < Mais on va faire
ça où ? » L'art-thérapeute a proposé la
cafétéria du premier étage, qui était
également un lieu inconnu de Mme B, qui a alors répondu que
c'était l'occasion < de sortir un peu de tout ça ». Le
rendez-vous s'est fixé au lendemain matin, soit jeudi, a 10h.
L'art-thérapeute stagiaire et Mme B sont allées a la rencontre du
personnel soignant de l'étage et cette première les a
informées de la mise en place de la prise en charge
art-thérapeutique. Ensuite, elle a raccompagnée Mme B dans sa
chambre ; elle a eu du mal a reconnaître l'endroit, ce n'est qu'une fois
arrivée en face de son fauteuil qu'elle s'est souvenue qu'il s'agissait
bien du sien, et de sa fenêtre. Mme B a remercié
l'art-thérapeute stagiaire, et lui a serré la main.
L'étudiante est ensuite allée retrouver l'assistante sociale et
les animatrices pour également les informer de ce qui s'était
passé, et du projet qui allait commencer.
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