3) La prise en charge art-thérapeutique s'est
déroulée sur 5 séances.
Comme convenu, l'art-thérapeute stagiaire est venue
chercher Mme B pour se rendre a la cafétéria et commencer la
séance. Mme B s'est souvenue l'avoir effectivement vue la veille, mais
ne se souvenait ni de son nom, ni de ce dont elles avaient discuté.
L'étudiante le lui a brièvement rappelé, et la patiente
semblait bien décidée a la suivre. < Alors, on va
travailler... », disait Mme B sur le chemin.
Arrivées sur place, la patiente a trouvé
l'endroit très joli et agréable. Les deux personnes se sont
installées, et ont laissé la porte d'entrée du local
entrouverte, a cause d'un problème technique du chauffage des
radiateurs, qui rendait la chaleur de la pièce insoutenable. Mme B et la
stagiaire s'étaient assises a une grande table ronde, presque côte
a côte. Devant elles était posé le matériel
nécessaire a cette séance, a savoir des planches de carton, de la
peinture, des pinceaux, des crayons, des ciseaux, de la colle, des papiers
colorés. Mme B regardait silencieusement tous les matériaux.
< Alors, on commence la confection du chat en carton ?
» a demandé l'art-thérapeute stagiaire, < À moins
que vous ayez envie de faire autre chose ? ». Mais Mme B ne voulait pas
changer d'idée, le chat lui convenait très bien. Elle a en
revanche demandé a ce qu'on lui explique comment faire, car elle n'avait
jamais fait ce genre d'activité auparavant. L'étudiante lui a
donc expliqué en créant devant elle un modèle ; on
traçait une silhouette simple du corps du chat sur une des planches de
carton, qu'on découpait ensuite, puis, au choix, que l'on coloriait ou
peignait, en mettant certains détails comme les yeux et la bouche. Mme B
a froncé les sourcils, puis a souri a l'art-thérapeute stagiaire.
< Pendant que vous faites le vôtre, Mme B, je vais en faire un aussi.
Et si vous coincez sur quelque chose, n'hésitez pas a me demander.
» Ce qui n'a pas du tout tardé, car Mme B regardait la planche de
carton, et le modèle, d'un air fort évocateur de
perplexité. L'étudiante lui a demandé ce qui n'allait pas,
et Mme B lui a répondu qu'elle était tout a fait incapable de
dessiner la forme d'un chat, aussi simple soit-elle supposée.
L'art-thérapeute stagiaire a alors proposé de ne dessiner que la
forme de la tête d'un chat sur le carton. Elle a demandé a Mme B
les éléments principaux qui permettaient de reconnaître un
chat parmi les autres animaux. Elle a évoqué les oreilles, les
longues moustaches, les yeux, puis les poils. Mais le fait de devoir dessiner
quelque chose rebutait Mme B, l'art-thérapeute stagiaire n'a donc pas
insisté, et a tracé, puis découpé la
figure à sa place. En revanche, elle souhaitait
réellement << donner de la couleur à ce petit chat ».
Après les encouragements de l'étudiante envers Mme B pour ne pas
hésiter à toucher et manipuler le matériel dont elle
disposait, cette dernière a versé un peu de peinture acrylique
noire sur les restes de la planche en carton, transformé ainsi en
palette, a saisi un pinceau à la brosse assez épaisse, puis
à commencer à peindre la figure. Pour ne pas mettre Mme B dans
une situation inconfortable, l'art-thérapeute stagiaire a aussi
tracé puis découpé une tête, puis la peignait au
même rythme que sa voisine. Mme B était très
concentrée sur sa tâche, et ne disait mot. Elle faisait
régulièrement des pauses de quelques secondes, où elle
regardait sa figure, et cherchait les zones restantes à peindre. Quand
elle a fini de peindre la figure en noir, elle a choisi (toujours après
des encouragements) de prendre de la peinture blanche pour faire les yeux, les
moustaches et la bouche. Tout de suite, la difficulté s'est
corsée ; Mme B n'arrivait pas à savoir où les peindre sur
la figure. L'art-thérapeute stagiaire lui a lancé quelques
indices pour stimuler au maximum son autonomie, mais sans succès.
L'étudiante a donc peint la moitié droite de la figure (un oeil,
les moustaches et une partie de la bouche), et a demandé à Mme B
de faire l'autre moitié. Après quelques hésitations, Mme B
y est parvenue. La figure faisait une douzaine de centimètres de
longueur pour près de dix en largeur, et il a fallu près de 45
minutes pour terminer la peinture. Mme B a bien apprécié
l'activité mais est déçue de son travail, et ne souhaite
pas conserver la production.
<< Voulez-vous poursuivre avec autre chose, ou bien
préférez-vous vous arrêter là pour aujourd'hui ?
», a demandé l'art-thérapeute stagiaire. Mme B a
préféré en rester là. Elles ont rangé le
matériel ensemble dans les sacs et les placards de la
cafétéria, puis sont tranquillement reparties vers la chambre de
la patiente. Arrivée devant l'entrée, Mme B s'est
arrêtée brutalement, les sourcils nettement froncés, et la
tête qui se secouait. << C'est ma chambre, là ? »
L'étudiante a acquiescé et lui a tenu le bras jusqu'à ce
qu'elle soit devant son fauteuil, qu'elle a aussitôt reconnu, apaisant sa
nervosité. L'art-thérapeute stagiaire a ensuite proposé
à Mme B de se revoir la semaine suivante, le même jour, au
même horaire et lieu, ce qu'elle a accepté.
À la deuxième séance, Mme B était
très accueillante, et assez énergique. Bien qu'elle soit autonome
dans ses déplacements, ses troubles spatiotemporels sont tels qu'elle ne
pourrait pas retrouver son chemin, et même oublier où elle doit se
rendre ; l'art-thérapeute stagiaire l'accompagne donc pour chaque aller
et chaque retour de l'atelier d'art-thérapie.
Mme B était d'accord pour essayer à nouveau de
réaliser un chat en carton. Mais il était toujours impossible de
la convaincre d'essayer de dessiner la silhouette, même si elle pouvait
recommencer autant de fois qu'elle le souhaitait. L'art-thérapeute
stagiaire a donc tracé la forme d'un corps de chat complet, ayant la
tête de face et le corps dressé de profil. En revanche, Mme B
était d'accord pour découper elle-même la figure. Elle
s'est bien débrouillée, elle a juste demandé un peu d'aide
pour terminer le découpage de la queue.
Avec les encouragements de l'étudiante, Mme B a saisi
le matériel qu'elle désirait, et l'a utilisé avec
application. Elle était de temps en temps aiguillée par
l'art-thérapeute stagiaire sur les zones à peindre, le choix des
couleurs et comment s'y prendre << sans faire de bêtises » ;
en tous cas, pour ce qui concernait la gestuelle, Mme B était
parfaitement autonome. La séance s'est déroulée dans le
calme, la patiente restait toujours aussi concentrée dans ses
actions.
Au bout d'une 1h10 de séance, Mme B a terminé
son chat en carton, qu'elle a qualifié << de très mignon
». L'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si elle
souhaitait le conserver, et l'emmener dans sa chambre. << Oui », a
répondu Mme B avec un léger sourire, << je pourrais le
montrer à ma voisine comme ça ». Ces paroles ont
rappelé à l'étudiante que Mme B avait eu depuis peu une
nouvelle voisine de chambre, cela était l'occasion de la rencontrer et
d'en savoir un peu plus sur les liens qu'elles entretiennent toutes les
deux.
Mme B restait pensive en regardant sa production. Après
un petit silence, elle a émis le regret de ne pas avoir pu faire ce
genre de choses avec ses enfants, qu'elle n'en avait pas le temps. Suite
à cela son visage s'est fermé, ses yeux devenus tristes.
L'art-thérapeute lui a demandé combien d'enfants elle avait, mais
Mme B restait mutique. Ce n'est qu'une fois rentrée dans sa chambre que
son visage s'est détendu, et qu'elle a salué l'étudiante,
en lui donnant son accord pour continuer le travail la semaine prochaine. Mais
avant de quitter la chambre, l'art-thérapeute stagiaire a profité
de la présence de sa voisine pour engager la conversation.
C'était une dame tout à fait charmante, qui était dans le
service à cause d'une fracture du bras et de l'épaule. <<
Oui, je suis arrivée avant-hier, ou bien c'était il y a trois
jours, je ne sais plus. J'ai pu faire la connaissance de ma voisine, et on
s'entend bien, on parle un peu de tout et de rien. >> La voisine
était très curieuse de savoir ce qu'avait fait Mme B, et cette
dernière lui a timidement montré le chat noir à queue
blanche qu'elle avait faite. << Oh ! Mais qu'il est mignon, avec sa
petite queue blanche et ses yeux verts ! Ah les chats, qu'est-ce que c'est beau
! >> Mme B a acquiescé en riant doucement, puis une joyeuse
discussion autour de l'univers des félins a germé pendant un
petit quart d'heure. L'art-thérapeute stagiaire a demandé aux
deux résidentes si elle pouvait utiliser une des chaises
présentes pour s'asseoir auprès d'elles, ce qui a
été bien sûr autorisé. Se sont
enchaînés de petites anecdotes de vie de chacune, les
problèmes de la société, quelques recettes de cuisine, le
quotidien à l'hôpital... Mme B, qui jusque là ne parlait
que peu et sur des thématiques récurrentes, s'est mise à
participer activement à la discussion. Toutefois, l'arrivée de la
kinésithérapeute, qui avait rendez-vous avec Mme B, a mis fin au
débat. Chacune s'est quittée avec le sourire. Il était bon
de savoir que Mme B nouait doucement une relation avec sa voisine, ce qui
n'avait jamais été le cas auparavant.
Lors de la troisième séance, Mme B a
demandé à l'art-thérapeute stagiaire ce qu'elles allaient
faire. L'étudiante lui a répondu qu'elle était ouverte
à toute suggestion, mais Mme B n'avait pas d'idée
particulière. << Aimez-vous les poupées ? >> Mme B a
acquiescé ; l'artthérapeute stagiaire lui a alors proposé
une activité de confection de poupées avec divers
matériaux de récupération. << Ah oui tiens, pourquoi
pas ? C'est du travail, ça. >>.
Une fois installées dans la cafétéria,
l'atelier a débuté. Mme B a toujours besoin d'un coup de pouce
pour démarrer sa production, notamment dans le choix des matières
et des couleurs. Les silhouettes de poupées, toujours en carton, ont
été préalablement définies et
découpées par l'art-thérapeute stagiaire. Quand une
étape de la confection était terminée, Mme B ne
lançait pas d'elle-même la suite du travail, c'était
toujours l'étudiante qui la guidait dans la marche à suivre. Mais
au fil de la séance, Mme B demandait de moins en moins l'avis de
l'étudiante, et travaillait de plus en plus sereinement ; elle
choisissait elle-même les matières pour représenter les
cheveux de la poupée, ses vêtements, ses parures, son maquillage.
L'atelier a duré près d'une heure, et Mme B a eu le temps de
créer deux poupées, rebaptisées << princesses
>> d'un commun accord ; les figures étaient très adultes,
très féminines.
Lorsque la séance s'est terminée,
Marie-Agnès, l'une des deux animatrices de la structure, est
entrée dans la cafétéria pour voir comment ça se
passait. À la vue des productions, l'animatrice a présenté
ses compliments à Mme B, qui l'a remerciée. MarieAgnès a
profité de la situation pour demander à Mme B de <<
partager ses talents >> avec d'autres résidents lors des
activités d'animation, et a souligné l'intérêt que
cela pourrait avoir pour elle comme pour les autres. << Ça vous
permettrait aussi de vous familiariser avec la structure, et de prendre de
nouveaux repères. >> Mme B ne répondait pas, elle souriait,
mais les secousses nerveuses reprenaient. L'animatrice lui a alors
proposé un << essai >> : elle lui a demandé de venir
participer à l'activité de revue de presse qui allait avoir lieu
l'après-midi même. C'est une activité où
l'animatrice passe en revue le journal local auprès d'un petit
groupe de résidents, et que les informations sont
ensuite discutées et débattues dans la bonne humeur et autour
d'un bon café. Mme B a laissé échapper un petit rire
discret, puis lui a donné son accord. L'art-thérapeute stagiaire
a ensuite raccompagné Mme B dans sa chambre. Elle a voulu laisser une
des << princesses >> dans la cafétéria, et a pris
l'autre pour l'offrir à sa voisine ; ce qui a beaucoup touché
cette dernière. << Oh, ça me fera un petit souvenir de vous
et de l'Ermitage, car je pars lundi prochain >>, a chaleureusement
lancé la voisine. Mme B lui a rétorqué que la
coïncidence était de taille, car elle rentrait aussi à son
domicile lundi (ce qui était, dans la réalité,
malheureusement incorrect). L'art-thérapeute ne lui a donc pas
donné de rendez-vous pour la semaine suivante, mais reviendra cependant
la voir le jeudi suivant.
Après avoir salué les deux résidentes,
l'art-thérapeute stagiaire est allée à la rencontre de
l'une des infirmières de l'étage, et lui a demandé s'il y
avait une raison au fait que Mme B évoquait souvent son retour prochain
au domicile. << Oui, mais tu sais, c'est délicat avec Mme B. Elle
demande parfois aux filles combien de temps son séjour ici va durer, et
comme personne ne le sait, ça l'angoisse, alors certaines filles lui
disent simplement qu'elle va << rentrer bientôt >>, pour la
détendre. Parfois, elle s'en souvient, et parfois elle oublie. >>
L'artthérapeute stagiaire a alors demandé, le jour où elle
est sensée quitter l'établissement, comment elle vivait cette
incompréhension. << Souvent oui elle est triste, on vient la
réconforter, on lui dit qu'on va prendre soin d'elle encore un petit
peu, qu'il n'y a pas à s'inquiéter, mais c'est délicat
comme situation. >> En effet, pour quelqu'un qui a du mal à se
repérer dans le temps et dans l'espace, sa situation sociale et
financière n'arrange guère son état. Cela redonne d'autant
plus d'intérêt au fait de l'insérer dans la
collectivité de l'établissement ; les liens qu'elle se forge avec
autrui et les projets que le groupe met en place l'inscrivent dans un
repère spatio-temporel solide.
Concernant Mme B, elle s'est effectivement rendue à la
revue de presse l'après-midi, et selon l'animatrice, elle s'est
progressivement ouverte à la discussion, et a apprécié
l'activité ; elle s'est dite prête à revenir pour la
prochaine fois.
La quatrième séance n'a eu lieu que deux
semaines plus tard. L'assistante sociale avait prévenu
l'art-thérapeute stagiaire qu'un événement très
contraignant était arrivé dans l'histoire de Mme B, et que cela
l'avait complètement démoralisée. L'étudiante
était donc allée la voir le jour prévu, mais Mme B restait
prisonnière de son chagrin. Elle avait des tics nerveux dans le cou et
sur les bras, et ne parlait pas. L'art-thérapeute stagiaire n'a donc pas
insisté, et a promis de revenir la voir bientôt pour prendre de
ses nouvelles. Son état s'est progressivement amélioré au
fil des jours, et le jeudi suivant, elle était d'accord pour faire des
activités manuelles à la cafétéria.
Cette fois, l'art-thérapeute stagiaire lui a
proposé de faire du scrapbooking. C'est une technique artistique
originaire des États-Unis d'Amérique, qui consiste à
mettre en page les photos et les images grâce à différentes
matières (papiers, tissus, boutons, paillettes...). Depuis quelques
années, cette technique est à la mode en France, et passionne
autant les enfants que les adultes. L'objectif de l'activité consistait
à mettre en valeur une photo d'un chien récupéré
sur un ancien calendrier. Mme B aimait beaucoup les animaux, et c'est elle qui
a choisi cette photo parmi les autres proposées. L'art-thérapeute
stagiaire et Mme B faisaient chacune leur décoration, mais
l'étudiante restait toujours disponible si Mme B avait besoin d'aide.
Toutefois, au bout d'un quart d'heure d'activité, une
résidente de l'établissement, que nous nommerons Mme C, qui
faisait également l'objet d'une prise en charge
art-thérapeutique, a observé le travail à travers l'une
des baies vitrées, et est entrée pour << voir de plus
près >>. L'art-thérapeute stagiaire allait cordialement lui
expliquer que le présent atelier se réalisait en binôme,
mais Mme B a prié Mme C de se joindre à elles. La situation
était très intéressante et montrait l'évolution
qu'il y avait entre les débuts timides et silencieux de la patiente, et
ce
qu'elle était aujourd'hui. Mme C est donc venue
s'asseoir près de Mme B, et très rapidement elles se sont mises
à travailler ensemble, sur la proposition de Mme B. Les deux
résidentes ne se connaissaient pas, et pourtant elles se sont
aisément liées pendant la séance.
Quelques aides-soignantes qui passaient par là sont
également entrées dans le local pour les féliciter de leur
travail et de les encourager à faire encore mieux. L'une d'entre elles
leur a fait remarquer « qu'elle ignorait qu'il y avait de si grandes
artistes au sein de l'hôpital », ce qui a beaucoup amusé les
deux dames. L'intérêt de cette séance s'en retrouvait
doublée car elle permettait de mettre deux patientes en situation de
groupe et d'observer le déroulement des événements. Au
bout d'1h20, la production a été déclarée
achevée d'un accord commun entre Mme B et Mme C. Elles étaient
fières du résultat, et l'art-thérapeute stagiaire les en a
félicitées. Mme B a voulu offrir la production à Mme C,
mais elle a refusé, en jugeant que ce travail méritait davantage
d'être conservé par la personne qui l'avait commencée. Mais
Mme B ne souhaitait pas garder sa production ; l'art-thérapeute
stagiaire a donc proposé de conserver la production à la
cafétéria, afin de pouvoir être vu par les visiteurs et les
clients. Mme B a timidement donné son accord, et Mme C trouvait
l'initiative très bonne. « C'est le début de la gloire
», a-t-elle dit en riant.
Les deux dames ont rangé le matériel avec
l'étudiante, puis se sont dit au revoir, tout en manifestant leur
ravissement quant à leur rencontre. L'art-thérapeute stagiaire a
raccompagné Mme B dans sa chambre, et lui a proposé de faire de
la création de bijoux pour la prochaine fois, mais dans un groupe d'au
moins quatre personnes. « Oui, ça peut être bien ! »
Cette prochaine séance a comme objectif thérapeutique de
s'assurer que Mme B peut être à l'aise dans un groupe et prendre
du plaisir au sein de l'activité.
Pour la cinquième séance, Mme B hésitait
à venir. Elle ne se souvenait plus de ce qui était prévu,
mais sa curiosité et son énergie habituelles étaient
à peine détectables. L'artthérapeute stagiaire l'a
encouragée à venir, au moins pour voir comment ça se
passerait, et si la patiente n'était pas emballée par
l'activité, elle prendrait fin aussitôt. Avec ce genre de
compromis, Mme B s'est finalement accordée un essai.
L'art-thérapeute avait remarqué qu'elle avait une nouvelle
voisine de chambre, mais qui ne parlait pas du tout le français,
peut-être que cela avait influencé son moral, car elle aimait
beaucoup l'ancienne voisine.
Mme B était la deuxième personne à
arriver dans la cafétéria pour l'activité. Une autre
résidente de son étage était là (on l'appellera Mme
D), mais elles ne s'étaient jamais vues. Les deux autres
résidents du premier étage invités à participer
sont arrivés peu après (et Mme C en faisait partie). Tout le
monde s'est poliment salué. L'art-thérapeute stagiaire a ensuite
expliqué le principe de l'activité : chacun a un long morceau de
fil élastique dans lequel ils vont enfiler des perles de leur choix
parmi les variétés qui leur sont proposées. La
réalisation sera soit un bracelet, soit un collier (voire les deux si
certains souhaitent en faire d'autres) ; chacun a le droit de conserver pour
soi une de leurs créations, les autres seront destinées à
être vendues, et dont les bénéfices seront reversés
à l'association interne de l'établissement (Les Amis de
l'Ermitage), qui permet de financer des spectacles et des sorties pour les
résidents. Tout le monde était d'accord avec la consigne, et
chacun s'est mis au travail. Mme B a pris un petit tas de perles, puis a
commencé à trier celles qu'elle souhaitait utiliser pour son
bracelet. Chacun travaillait d'abord en silence, puis, au fil du temps, des
discussions sur l'activité ont germé, on regardait le travail de
l'autre, on se donnait des conseils, on s'encourageait, on s'entraidait. Durant
cette séance, l'art-thérapeute stagiaire est allée aider
les autres plus souvent qu'elle ne l'a fait pour Mme B. Cependant,
c'était aussi la plus lente dans la cadence de travail, mais elle ne
s'est pas découragée, au contraire. Au bout de 45 minutes,
l'art-thérapeute stagiaire a proposé une pause « bien
méritée » à l'ensemble du groupe, qui s'est
lancé dans des discussions « arrosées », accusant
gaiement l'art-thérapeute stagiaire de ne pas offrir de verre de vin
pour les récompenser de leur dur labeur. Puis on a parlé de la
famille, de la vie quotidienne, de la ville de Tours, et d'un
tas d'autres choses, et qui ont continué d'être abordés
quand tout le monde s'est remis à la confection de bijoux. L'ambiance
était chaleureuse, et Mme B riait beaucoup. La séance a
duré un total de deux heures, et le groupe ne cachait pas sa fatigue sur
les dernières minutes de l'activité. Chacun a eu le temps de
réaliser deux bijoux (deux bracelets sauf pour l'un des résidents
qui avait fait un collier et un bracelet), Mme B a tenu à ce qu'ils
soient vendus tous les deux. << Je ne suis pas vraiment bijoux, moi, vous
savez », a-t-elle dit à l'étudiante. Chacun a donné
du sien pour ranger le matériel et les chaises, puis est reparti dans
leur chambre. L'art-thérapeute stagiaire a raccompagné Mme B et
Mme D en même temps, comme elles étaient au même
étage. Mme D a fait part à Mme B du bonheur qu'elle a
éprouvé suite à leur rencontre, ce qui a ému Mme B.
Arrivées dans la chambre de Mme D, sa voisine d'étage lui a
promis de lui rendre visite régulièrement, comme elle
n'était qu'à quelques mètres de chez elle, elle se sentait
capable de retrouver ses repères. Les deux dames se sont saluées,
puis, cette fois, Mme B a accompagné l'art-thérapeute stagiaire
jusqu'à l'ascenseur. << Ne vous inquiétez pas pour moi,
» a dit Mme B avec le sourire, << Je sais où est ma chambre
maintenant. » L'étudiante a acquiescé, et lui a
annonçait la fin de la prise en charge ; et que désormais, elle
compte sur Mme B pour participer aux activités d'animation. <<
Maintenant que vous avez votre fan-club, Mme B, il ne va pas falloir rater vos
rendez-vous ! ». La résidente s'est mise à rire, et a
souhaité une bonne continuation à l'étudiante.
Celle-ci s'est aussitôt rendue auprès du
personnel soignant pour leur signaler que la prise en charge était
terminée. L'infirmière a félicité
l'art-thérapeute stagiaire de son travail, mais cette dernière a
modestement souligné l'importance du travail d'équipe qui avait
permis ce résultat. << En tous cas, ça nous ravit tous de
la voir sortir de sa chambre et de se faire des amis. », a dit l'une des
aides-soignantes.
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