3) La prise en charge s'est déroulée sur 6
séances.
Durant le stage, plusieurs règles
méthodologiques ont été définies afin d'être
le plus rigoureux et objectif possible avec chaque patient dans la prise en
charge. Tout d'abord, concernant les séances, celles-ci débutent
au moment où l'art-thérapeute stagiaire et le patient
décident ensemble que le travail va commencer, appelé <<
temps de séance ». Toutefois, il sera également
relevé dans les outils d'observation le temps de la rencontre et de
l'accompagnement du patient jusqu'au lieu désigné pour le travail
de séance, qu'on appellera << pré-séance »,
ainsi que le temps où l'art-thérapeute stagiaire raccompagne le
patient dans sa chambre ou dans le lieu où elle doit se trouver selon
l'heure présente, qu'on nommera << post-séance ». Une
séance est également susceptible de ne pas impliquer une
production artistique (qu'elle soit achevée ou non) ; elle peut, par
exemple, être un temps où le patient a juste envie de discuter
avec le professionnel, dans ce cas, on qualifiera la séance d' <<
entretien privilégié ». Concernant les outils d'observation
employés, chaque prise en charge répond à l'utilisation de
la fiche d'observation (cf. annexe 3), ainsi que des observations, remarques et
discussions avec le personnel de l'établissement sur le patient. La
collaboration des autres intervenants est très importante dans la prise
en charge, car elle permet d'inscrire le patient dans une dynamique
relationnelle nouvelle ou retrouvée (<< Qu'avez-vous fait ce matin
avec l'art-thérapeute ? » ou << Vous pourriez me montrer ce
que vous avez fait pendant vos ateliers ? »), valorisant ainsi le patient
et stimulant ses aptitudes d'expression, de communication et de relation.
Revenons maintenant à Mme A. Le lendemain, à
l'heure convenue, l'art-thérapeute stagiaire est revenue la voir dans sa
chambre. Elle était assise sur son fauteuil roulant, et tenait dans les
mains le bout de papier que l'étudiante lui avait donné la
veille. << Ah bonjour ! C'est vous qui deviez me voir ce matin ? » a
demandé la patiente en souriant. Après acquiescement,
l'art-thérapeute stagiaire l'a interrogée sur ses souvenirs de
l'entretien passé hier matin ensemble, mais après quelques
secondes de silence, Mme A. lui a répondu négativement. Quand
l'étudiante lui a de nouveau expliqué le projet qu'elles allaient
mettre en place, Mme A. lui a à présent assuré s'en
rappeler. Elle semblait curieuse de voir comment le
travail allait être abordé.
L'art-thérapeute stagiaire avait apporté un pot
contenant plusieurs crayons, stylos et marqueurs, un bloc-notes de petite
taille, et deux autres de grande taille aux feuilles détachables. L'un
des grands bloc-notes comportait déjà des inscriptions, des
dessins, des peintures et des ornements décoratifs variés ; il
était là pour servir de modèle au travail en cours.
L'étudiante a demandé à Mme A de regarder et feuilleter
l'exemple pour qu'elle puisse avoir un aperçu de ce qui est possible de
faire dans ce travail, ce à quoi elle a acquiescé, mais elle n'a
pas cherché à le prendre et le consulter par elle-même.
L'étudiante lui a donc montré, page après page, les
thèmes qui pouvaient être abordés, les styles
d'écriture que l'on pouvait employer, et, éventuellement, des
illustrations en lien avec le thème choisi. Mme A. était
intéressée, mais répétait plusieurs fois à
l'art-thérapeute stagiaire que ce travail allait être trop
difficile pour elle. Il a donc été très important de la
rassurer au plus vite sur la façon de procéder :
Premièrement, l'objectif du travail n'est pas de produire une oeuvre
identique à l'exemple, deuxièmement, le travail se fait
étape par étape, et troisièmement on prend le temps
nécessaire.
Il est important pour les patients atteints de ce type de
pathologie de ne pas provoquer de propos ou situations frustrants et
angoissants ; les troubles cognitifs de la personne entraînent souvent
une incompréhension ressentie comme une angoisse ou une agression
(qu'elle soit physique ou verbale).
<< L'important est de faire quelque chose qui vous
plaise, je vous garantis que ce ne sera pas difficile. Mais il faudra mettre du
sien ! », a dit l'art-thérapeute stagiaire pour relaxer et amuser
Mme A, à qui le visage se fermait au fur et à mesure de la
découverte des pages du modèle d'exemple. Mme A a souri aux
propos de l'étudiante, puis a demandé des nouvelles d'une des
animatrices qui était actuellement absente. Mme A aimait beaucoup
l'animatrice, et demandait régulièrement au personnel soignant
des informations sur sa santé et son retour, même si elle ne
participait plus aux activités d'animation. Mme A se met à poser
plusieurs questions sur la vie de l'art-thérapeute stagiaire, son lieu
d'habitation, le moyen de transport qu'elle utilise pour venir ici... et
plusieurs fois pendant la séance car la maladie a fait que sa
mémoire à court terme n'opère efficacement que sur une
durée de 15 secondes environ. Les relances sont donc fréquentes,
car Mme A me demande de confirmer si je suis bien là pour discuter de
tout et de rien avec elle.
Mais l'art-thérapeute stagiaire est confrontée
à un problème d'espace libre pour poser et utiliser
aisément le matériel. Les chambres individuelles, comme celles de
Mme A, ne sont pas très grandes, et la seule table dont elle dispose
accueille le poste de télévision, des plantes et beaucoup de
magazines et autres papiers. Mme A est une personne très ordonnée
qui ne supporte pas qu'on saisisse et déplace ses affaires. Quand
l'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si elle pouvait, le
temps de la séance, transférer les papiers sur le lit, Mme A a
grimacé et s'est tournée vers le tiroir de son meuble de chevet,
qui était entrouvert, pour le fermer. Il fallait donc s'adapter, et
l'art-thérapeute stagiaire a proposé à la patiente, au vu
de l'impossibilité de faire un travail d'écriture dans ces
conditions, de faire un travail de dictée : Mme A parlerait des choses
qu'elle apprécie, et l'art-thérapeute stagiaire prendrait ses
paroles en note ; afin que, lors de la prochaine séance, elle puisse
trouver un arrangement matériel qui permettrait la mise en place du
travail d'écriture. << Si vous voulez », a été
la réponse de Mme A. L'art-thérapeute stagiaire a pris le petit
bloc-notes ainsi qu'un stylo, et notait, toujours sous de nombreuses relances,
les paroles de Mme A. Elle a principalement parlé du piano et de la
musique classique qu'elle appréciait beaucoup. Au bout de 30 minutes de
séance, Mme A ne parlait presque plus, et s'est même
couchée sur son lit en évitant le regard de l'étudiante,
sans rien dire. L'art-thérapeute stagiaire a donc demandé s'il
était bon de s'arrêter là pour aujourd'hui, et à
cela Mme A a acquiescé un peu sèchement, en précisant que
c'était fatiguant de lui << poser autant de questions ».
L'étudiante lui a alors demandé si elle souhaitait
continuer l'expérience, et de se donner rendez-vous
pour le mercredi suivant. << Si vous voulez. » était son
unique réponse. L'art-thérapeute stagiaire a alors
réécrit la date et l'horaire sur un bout de papier, et l'a
posé sur la table. Toutes deux se sont saluées en se serrant la
main, puis l'étudiante a quitté la chambre de Mme A avec son
matériel.
La semaine suivante, lors de la deuxième séance,
Mme A était assise dans son fauteuil roulant, face à la porte.
Quand l'art-thérapeute stagiaire est entrée dans la pièce
pour venir la saluer, Mme A lui a sorti un chaleureux << Ah ! Bonjour !
» tout en lui serrant la main. À la question << Comment
allez-vous ? » posée par l'étudiante, Mme A répondait
désormais << Oui, ça va, et vous-même ? », sur
un ton réservé mais détendu. La porte de la chambre
était aussitôt refermée par l'étudiante, afin de ne
pas stresser Mme A, ni de se laisser distraire par les aventures du couloir.
Mme A cependant ne se souvenait ni du nom de la stagiaire, ni de ce qu'elles
avaient fait lors de la première séance. Après un bref
rappel, un << ah oui c'est vrai » est sorti de la bouche de Mme A,
puis elle demandait ce qu'elles allaient faire aujourd'hui, en précisant
qu'elle était fatiguée. << Aujourd'hui, vous allez
réécrire les notes que j'ai prise hier au brouillon sur vos
préférences et vos passions dans la vie. ». Comme elle
semblait surprise de la consigne, l'art-thérapeute stagiaire lui a
montré lesdites notes. << Ah ? J'avais dit ça ? Je ne me
souviens plus. » L'étudiante lui a ensuite présenté
le papier sur lequel elle allait réécrire les notes, et quatre
stylos de forme et couleur différentes, priant Mme A de choisir l'un
d'entre eux. La stagiaire avait pu utiliser comme support la table adaptable de
Mme A, mais cela ne laissait pas beaucoup de place, et elles devaient se mettre
côte à côte. Mme A a regardé les stylos pendant une
bonne minute, puis a choisi celui à l'encre noire. Toutefois, elle ne
souhaitait pas écrire, elle voulait voir faire l'art-thérapeute
stagiaire. Celle-ci n'a pas insisté, et a recopié une partie des
notes sur le papier, en indiquant que la tâche était simple, qu'il
n'y avait pas de mauvais ou bon travail dans ce projet. Le but était que
cela plaise à Mme A, mais à condition de faire des efforts
pratiques. << C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de place ici »,
répétait la patiente. Alors, l'art-thérapeute stagiaire a
suggéré, pour la prochaine séance, de changer de lieu pour
travailler. La cafétéria de l'établissement, était
toujours inoccupée le matin, ce qui était une aubaine pour Mme A,
qui ne souhaitait pas voir les autres, mais aussi pour le gain
considérable d'espace de travail. À ces conditions, Mme A
était d'accord, et a enchaîné sur le fait qu'il
n'était pas utile de continuer le travail de cette façon
aujourd'hui. La séance a donc pris fin prématurément
(environ 20 min), mais Mme A semblait relativement intéressée de
changer de lieu. Comme d'habitude, l'art-thérapeute stagiaire a
noté sur un petit bout de papier la date et l'heure (toujours le
mercredi à 10h30), et Mme A le posait sur la table à
côté du poste de télévision.
Lors de la troisième séance, le mercredi
suivant, Mme A était très éveillée et a accueilli
l'art-thérapeute stagiaire avec chaleur. << Alors, où
va-t-on ? », lui a-t-elle demandé. Elle ne se souvenait toujours
pas du nom de l'étudiante, ni de ce qu'elles allaient faire, mais elle
savait qu'elle allait se rendre quelque part hors de sa chambre.
<< Nous allons nous rendre à la
cafétéria, nous aurons de la place pour travailler, et le matin,
la cafétéria n'accueille pas de clients, il n'y aura que nous, on
sera tranquille. »
<< D'accord. Très bien. », a répondu
Mme A. << Mais peut-on noter un mot dans ma chambre pour dire que je suis
absente ? »
L'art-thérapeute stagiaire a donc sorti un bout de
papier et un crayon, puis les a tendus vers la patiente, tout en l'encourageant
à écrire le mot d'absence. Après une hésitation de
quelques secondes, Mme A a saisi le crayon et écrit << Je suis
à la cafétéria. ». Elle l'a ensuite posé
sur la table, puis l'étudiante et elle-même ont quitté la
chambre. Mme A lui a prié de bien fermer la porte.
La chambre de Mme A est au troisième étage, et la
cafétéria deux étages en dessous ;
il a donc fallu emprunter l'ascenseur. Celui-ci dispose d'un
miroir sur un côté, et quand Mme A a pénétré
dans l'appareil, le miroir captait toute son attention. << Oh, regardez
la tête que j'ai... vous trouvez que je suis bien coiffée ?
». Mme A est toujours soucieuse de son apparence. Une fois descendues au
premier étage et après avoir quitté l'ascenseur, Mme A a
observé nerveusement le couloir dans lequel elle se trouvait. <<
Je ne passe pas souvent par ici. » L'art-thérapeute stagiaire lui a
expliqué que certaines activités ont lieu dans la grande salle de
séjour derrière la porte qui fait face à l'ascenseur.
À cela Mme A a haussé les épaules et est restée
silencieuse. Arrivées devant la porte de la cafétéria,
elle a émis la surprise de ne voir personne. L'art-thérapeute
stagiaire lui a expliqué à nouveau le fait que le local est
toujours libre le matin. << Ah oui, c'est vrai », s'est mise
à dire Mme A. La cafétéria est très ouverte sur
l'extérieur (4 baies vitrées), et colorée, contrastant
avec les teintes plus moroses des couloirs.
Mme A et l'art-thérapeute stagiaire se sont
installées sur une table ronde non loin de la porte d'entrée du
local, qui a pris soin d'être fermée. Le matériel
était déjà posé sur la table. << Mme A, je
vais vous rappeler ce qu'on a fait précédemment ensemble, et ce
que l'on doit faire aujourd'hui . » L'objectif de la séance
était de réaliser un texte sur le thème du piano, qui est
une des passions de Mme A, et éventuellement, à sa convenance, de
décorer le texte avec différentes matières (crayons et
feutres de couleur, tissus, plumes, papiers à motif, peinture...).
Toutefois, l'objectif intermédiaire était de faire parvenir Mme A
à réaliser l'intégralité, sinon une majeure partie
du travail. L'art-thérapeute stagiaire a prié Mme A de choisir un
crayon et un support en papier pour écrire le texte qui avait
été noté deux séances plus tôt. La patiente,
au début, a manifesté son désir de voir faire plutôt
l'art-thérapeute, mais après quelques encouragements, elle a fini
par choisir un stylo italique à encre noire, et un papier épais
blanc. Cette fois, les rôles se sont inversés :
L'art-thérapeute stagiaire a dicté le texte que Mme A inscrivait
sur la feuille. Quand cela s'est terminé, il restait une place
très importante sur la feuille (Mme A avait choisi d'écrire en
haut-milieu de la feuille). Sur la proposition de l'étudiante, Mme A
était d'accord pour illustrer son texte. Que choisir ? Mme A semblait
perdue devant la diversité du matériel qui lui faisait face.
L'art-thérapeute stagiaire a dû faire une sélection par
élimination : ce que Mme A ne voulait pas utiliser était
enlevé de la table, afin d'avoir une vision plus claire et
épurée du matériel. Elle a finalement opté pour des
plumes noires et blanches, pour représenter le clavier d'un piano
(touches noires et blanches). Tout au long de la séance, Mme A refusait
d'abord de faire les choses elle-même, mais au fur et à mesure que
la production prenait forme, ses demandes étaient de moins en moins
fréquentes. Néanmoins, elle a demandé de l'aide à
l'art-thérapeute stagiaire pour coller les plumes sur le papier.
Ensuite, Mme A a pris un morceau de broderie dorée et a demandé
à ce qu'on le colle au-dessus des plumes (évoquant la couverture
qui protège de la poussière que l'on pose habituellement sur un
piano, et que l'on aurait retroussée).
Mme A a regardé sa production silencieusement pendant
quelques secondes, puis a énoncé, en tapotant sur les plumes
blanches, les sept notes de la gamme classique (do - ré - mi - fa - sol
- la - si). Elle s'est mise à sourire puis a regardé
l'art-thérapeute stagiaire en lui disant que << c'était
joli ». L'étudiante lui a alors demandé si elle souhaitait
ajouter autre chose sur sa production, mais Mme A a évoqué sa
fatigue grandissante, et le fait que la production était très
bien comme ça. Par contre, elle n'a pas souhaité emmener la
production dans sa chambre, elle préférait le laisser <<
à l'abri » dans la cafétéria. L'art-thérapeute
stagiaire a donc rangé la production dans un placard du local, puis a
raccompagné Mme A jusqu'à sa chambre. En chemin, elles avaient
croisé deux aides-soignantes qui avaient interrogé Mme A sur
l'activité. Mme A leur a répondu que c'était bien, et les
aides-soignantes l'ont encouragé à continuer le travail qu'elle
faisait avec l'art-thérapeute stagiaire. Une fois arrivées dans
la chambre, Mme A a remercié l'art-thérapeute, et a
proposé d'elle-même le rendez-vous au mercredi suivant.
La quatrième séance s'est
révélée être un entretien privilégié.
Quand l'art-thérapeute stagiaire est venue chercher Mme A pour l'emmener
à la cafétéria, la patiente lui a avoué ne pas
aller bien, mais ne donnait pas de détails sur la raison de son
mal-être. Ce n'est qu'une fois installée à la
cafétéria qu'elle s'est confiée à
l'étudiante : << Vous savez, je suis embêtée. Je
crois que j'ai fait dans ma couche, et on a refusé de m'en donner une
autre. » À cela l'artthérapeute stagiaire lui a
demandé si cette gêne était trop importante pour elle pour
commencer l'atelier, mais Mme A a rétorqué qu'elle voulait rester
là, mais qu'elle ne se sentait pas le coeur à faire quoi que ce
soit aujourd'hui. L'étudiante a donc proposé de mettre une
ambiance musicale pour que Mme A puisse se changer les idées. Quand elle
a proposé d'écouter un CD de Chopin, Mme A a vivement
acquiescé, en précisant qu'il s'agissait de son compositeur
favori.
L'atmosphère s'est ensuite beaucoup plus
détendue, et Mme A, qui d'habitude parle peu, et reste beaucoup dans les
répétitions verbales, s'est mise à discuter de
l'établissement, du personnel, et de son quotidien. << Vous savez,
mademoiselle, il y a des filles qui prennent le temps de parler avec vous, et
d'autres qui n'en ont rien à faire, qui ne sourient jamais. Mais je sais
que leur travail n'est pas facile, alors je ne les embête pas quand j'ai
besoin de quelque chose. » Puis elle est arrivée au fait qu'elle
s'ennuyait beaucoup la journée, et qu'elle sentait sa fin approcher.
<< Moi, ce que je trouve dommage », a dit l'art-thérapeute
stagiaire, << c'est qu'une personne qui aime le piano, la musique, les
fleurs, les enfants, et tant d'autres choses, ne partage pas ses goûts
avec d'autres résidents au travers des activités qu'il y a en
semaine dans l'établissement ». Mme A a eu une réaction de
surprise à la suite de ces mots, et après un petit silence, elle
lui a demandé de s'expliquer. L'art-thérapeute stagiaire a pris
pour exemple l'atelier floral (activité mensuelle de confection d'un
bouquet de fleurs fraîches et/ou séchées,
réalisée dans un groupe de dix personnes) où elle avait
auparavant l'habitude de s'y rendre, et d'y prendre beaucoup de plaisir. Elle
offrait d'ailleurs, de temps en temps, son bouquet à une
résidente de son étage qui n'avait pu s'y rendre. En parlant de
cela, Mme A a souri, et a reconnu qu'elle appréciait en effet beaucoup
cette activité. La discussion a ensuite tourné sur l'ensemble des
activités de l'établissement, sur les spectacles à venir,
et des légers souvenirs, tous bons, rejaillissaient de la mémoire
de Mme A. Au bout de 35 minutes de séances, Mme A a demandé
à rentrer dans sa chambre. L'art-thérapeute stagiaire a
proposé, pour la prochaine fois, de réitérer le travail
fait sur le thème du piano, mais avec le thème des fleurs. Mme A
était d'accord. Rendez-vous donc huit jours plus tard.
Entretemps l'art-thérapeute stagiaire a fait part de
son travail aux animatrices, ainsi qu'au personnel du troisième
étage. L'équipe a quant à elle relaté à
l'étudiante leur investissement dans le projet, et ont remarqué
que Mme A allait de mieux en mieux (elle ne manifestait plus d'idées
noires, et était devenue moins nerveuse pendant ses
déambulations). Tout le monde l'encourageait régulièrement
pour qu'elle s'investisse à l'extérieur de sa chambre.
D'ailleurs, le matin où devait avoir lieu l'atelier
d'art-thérapie, Mme A s'était rendue, après plusieurs mois
d'absence, chez la coiffeuse de l'établissement. Il y a une part fautive
de l'art-thérapeute stagiaire car elle avait oublié de laisser
à Mme A une note informative du rendez-vous. L'étudiante est
allée à la rencontre de Mme A dans le salon de coiffure. La
coiffeuse venait de terminer la coiffure de Mme A à l'instant.
Après l'avoir complimentée sur son allure,
l'art-thérapeute stagiaire a demandé à la patiente si elle
souhaitait venir à l'atelier, dans la cafétéria. <<
Oui oui, mais pas longtemps, je suis un peu fatiguée. »
Sur la route menant à la cafétéria, Mme A
demandait à nouveau des nouvelles de l'animatrice, qui était de
retour depuis près de deux semaines. << On pourra aller la voir
après l'atelier, si ça vous dit, Mme A. », a proposé
l'art-thérapeute. La patiente était d'accord.
Mme A s'est souvenue avoir écouté de la musique
classique la dernière fois, mais a avoué ne pas savoir ce qu'il
était prévu de faire cette fois-ci. L'art-thérapeute
stagiaire a donc expliqué l'objectif de la séance. La
méthode de travail était la même que pour la
troisième séance : Mme A choisit un crayon et un support,
écrit un texte en rapport avec les fleurs, puis illustre son texte.
Cependant, Mme A n'arrivait pas à écrire ; il a fallu d'abord
trouver ensemble des mots-clé sur le thème des fleurs, puis faire
des phrases utilisant ces mots-clés avec ses souvenirs et ses
goûts. L'art-thérapeute stagiaire notait le « brouillon
>>, puis, quand Mme A a jugé qu'il y avait assez d'informations,
elle a recopié au propre les notes sur un papier épais
(comme celui utilisé en troisième séance). Le texte
était d'un taille similaire à celui réalisé sur le
piano, il y avait donc une place considérable pour décorer le
texte. Parmi différentes propositions d'illustration envisagées
par l'art-thérapeute stagiaire, Mme A a opté pour le dessin et le
transfert d'images*. Elle avait à sa disposition plusieurs papiers de
transfert comportant des images de rose, qui soit dit en passant est sa fleur
préférée. Elle demandait des conseils à
l'art-thérapeute stagiaire pour les placer sur la feuille, qui
devenaient de moins en moins fréquents au fil du déroulement de
la séance. La technique de transfert n'est pas simple car elle exige une
grande précision et une force de pression considérable dans la
durée pour que l'image soit transférée correctement. Mais
Mme A s'est appliquée silencieusement, l'art-thérapeute stagiaire
intervenait juste pour soulever délicatement le papier de transfert afin
de voir s'il pouvait être enlevé complètement sans que
l'image ne soit endommagée. Trois roses ont été ainsi
appliquées sur certains coins de la feuille, mais tout le centre et le
bas du support étaient encore vides. Pour le dessin, la méthode a
été bien différente. Mme A voulait avoir un dessin, mais
il était hors de question qu'elle le fasse. « Je n'ai jamais
dessiné, je ne sais pas faire. >> L'étudiante a
tenté de l'encourager à se donner un essai sur une feuille de
brouillon, mais elle n'y a clairement pas tenu. L'art-thérapeute
stagiaire a donc proposé de dessiner, à condition que Mme A lui
indique le plus de détails possible sur le dessin. En bref, Mme A
émettait les idées, et l'étudiante les mettait en forme.
Ici aussi, Mme A ne donnait au départ que de très vagues
idées, mais l'art-thérapeute stagiaire n'avait de cesse de lui
demander davantage de précisions, si bien qu'au final, Mme A devenait
très pointilleuse sur l'orientation de la tige des fleurs, de leur
grandeur, la couleur, la présence d'un cours d'eau, d'herbe, de soleil.
La production s'est achevée dès que Mme A l'a jugée comme
telle. « C'est très bien comme ça. >>
L'étudiante en a profité pour lui expliquer le
lien que l'on pouvait faire par rapport aux activités manuelles en
groupe. « Vous voyez, c'est aussi de cette façon que le travail en
groupe peut être intéressant : Certains ont les idées,
d'autres ont les mains pour les concrétiser. Les rôles sont aussi
importants l'un que l'autre. Mme A est restée silencieuse à cette
remarque, mais a néanmoins souri. L'art-thérapeute stagiaire a
demandé à la patiente si elle était
intéressée de réaliser la prochaine séance en
groupe, et Mme A a répondu qu'elle n'était pas contre, puis a
ajouté que cela pouvait être très intéressant.
Mme A et l'art-thérapeute stagiaire sont ensuite
allées voir Carine, l'animatrice, comme il était prévu.
Mme A a tenu à lui montrer la production, et a reçu ses
compliments à ce sujet. « Je vais le garder dans ma chambre, je
pourrais le montrer à tout le monde, comme ça. >> Et Mme A
ne s'en est pas privée. Pendant le chemin du retour vers la chambre,
plusieurs membres du personnel l'ont croisé et ont pu brièvement
discuter de l'oeuvre L'unanimité des retours positifs ont ému Mme
A qui, une fois arrivée dans la chambre, a chaudement remercié
l'art-thérapeute stagiaire, avant de ranger la production dans le tiroir
de son meuble de chevet. « Comme ça, je saurai où je l'ai
mis pour le montrer à ma famille lorsqu'ils me rendront visite. >>
L'étudiante a refait un petit mot pour que Mme A se souvienne du
rendez-vous la semaine suivante, mais qui pour des raisons d'emploi du temps de
la stagiaire art-thérapeute se déroulerait à 14h30.
Arrive donc la sixième, et dernière
séance d'art-thérapie avec Mme A. Cette dernière ne se
souvenait plus que la séance avait lieu aujourd'hui, elle avait de plus
perdu le papier qui indiquait le rendez-vous. Toutefois elle était
motivée et manifestait de la curiosité pour le travail que l'on
allait faire en groupe. L'art-thérapeute stagiaire avait appris, avant
d'aller la chercher, que Mme A avait participé à l'atelier
<< musique >> du vendredi passé, et que cela s'était
très bien passé. L'animatrice, le personnel et certains
résidents étaient heureux de la voir à cette
activité ; la fin de la prise en charge s'annonçait de plus en
plus rapidement, grâce à l'investissement du personnel dans la
démarche de réinsertion sociale de Mme A.
Mme A était la dernière à arriver dans la
cafétéria pour le travail de groupe, et cela l'a surprise.
Néanmoins elle a poliment salué les cinq autres personnes (deux
hommes et trois femmes) avant de s'installer à côté de
l'art-thérapeute stagiaire. Le groupe était organisé en
cercle, autour de deux tables rondes mises côte à côte. Le
travail de cette séance consistait en une activité de modelage
d'une fleur avec de l'argile auto-durcissante. Il était très
intéressant de voir comment cette activité allait s'organiser,
car aucun des résidents, y compris Mme A, n'avait fait de modelage dans
leur vie. C'était donc une initiation pour tous, et la communication
allait certainement tourner sur une thématique d'entraide et de conseil.
C'était d'ailleurs l'une des modalités de la consigne : <<
N'hésitez pas à vous aider les uns les autres, le principal est
de se faire plaisir et de le partager ensemble. >>
Le travail s'est donc effectué de la manière
suivante : l'art-thérapeute stagiaire a donné à chacun un
gros morceau d'argile et des accessoires de modelage divers. On
procédait étape par étape (<< d'abord on va former
une boule avec ses mains et en la faisant rouler sur la table en petits cercles
>>, << ensuite on va tracer à l'outil en pointe les marques
des pétales.... >>), l'artthérapeute stagiaire montrant
l'exemple à chaque fois qu'une nouvelle étape du modelage
était atteinte. Mme A était un peu nerveuse et travaillait en
silence, mais elle regardait attentivement faire les autres, et complimentait
de temps en temps l'avancement de l'un ou de l'autre. L'un des résidents
s'est intéressé au travail de Mme A, qui n'arrivait pas à
transformer le morceau d'argile en boule, et lui a montré sa
façon de faire. Mme A s'est aussitôt exécutée et est
parvenue à faire la boule. << Il en sait des choses, le monsieur
>> a-t-elle dit sur un ton épaté. Cela a fait rire le
groupe et Mme A semblait plus détendue qu'au départ.
L'artthérapeute stagiaire faisait aussi sa propre fleur, mais aidait de
temps en temps quand les résidents en faisait la demande. Au bout de 50
minutes de séance, une << pause-café >> s'est
imposée, et chacun s'est mis à discuter autour d'une friandise et
d'une boisson. Mme A restait un peu en retrait mais écoutait
attentivement les dires de ses voisins et voisines. Les résidents
étaient tous un peu timides au départ, mais ce petit moment de
détente a permis à chacun de faire un peu connaissance, et de
débattre sur des sujets d'actualité dans la bonne humeur. La
séance a ensuite repris. Tout le monde n'avançait pas à la
même vitesse, mais l'art-thérapeute stagiaire s'arrangeait
toujours pour que tout le monde puisse progresser ensemble, et ne laisser
personne à l'écart. On écartait, aplatissait les
pétales, on y gravait des motifs, et quand ça ne plaisait pas, on
recommençait. La méthode n'avait rien de simple, mais comme tout
le monde s'entraidait, ceux qui recommençaient leur fleur
possédaient déjà une fluidité honorable des gestes,
et rattrapaient assez vite le reste du groupe. La séance a presque
durée 2h30, et nous ne cacherons pas que le groupe était assez
fatigué, mais content de leurs résultats. Mme A semblait
déçu de l'allure de sa fleur, mais une autre dame lui assurait au
contraire que sa fleur était très bien réussie, ce qui
mettait en valeur Mme A, qui a particulièrement apprécié
le compliment. Quand la séance s'est terminée, les fleurs
devaient rester dans la cafétéria pour sécher. Chacun est
reparti dans sa chambre ou dans la salle de séjour, et
l'art-thérapeute stagiaire raccompagnait Mme A dans ses appartements.
Elle profitait de cette occasion pour demander à Mme A son opinion sur
l'activité qu'elle venait de passer, et sa réponse a
été tout à fait charmante : << Oh oui,
c'était bien. On devrait faire ça tous ensemble plus souvent.
>> Alors l'art-thérapeute stagiaire a enchaîné sur le
fait qu'une flopée d'activités n'attendait qu'elle pour
retrouver à nouveau ces moments agréables.
« Eh bien j'irai. >> L'objectif thérapeutique était
atteint : Mme A venait de manifester très clairement son envie de se
retrouver et de participer aux activités collectives de
l'établissement.
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