2) Mme A est à un stade modérément
avancé de la maladie, et reste à l'écart de la
collectivité car elle n'en voit plus l'intérêt.
« Vous savez, je suis au bout de ma vie. >> ont
été les premiers mots que l'artthérapeute stagiaire a
entendu sortir de la bouche Madame A envers une aide-soignante qui venait la
saluer, dans le couloir où elle déambulait en fauteuil roulant.
Une des infirmières a profité de cette situation pour souligner
à l'art-thérapeute que Mme A. tenait ce discours depuis plusieurs
semaines et qu'elle n'avait plus goût à rien. Cela fait plusieurs
années que Mme A vit dans l'établissement, et elle a
régulièrement fait preuve d'une présence et d'une
participation actives au regard des activités proposées, mais
depuis quelques temps, il est impossible de la motiver. L'équipe
soignante a alors demandé à l'art-thérapeute stagiaire de
mettre en place un projet qui ferait en sorte de lui redonner l'envie de
renouer le contact avec les autres résidents, de participer à des
projets collectifs, de lui montrer qu'elle est toujours capable de faire
quelque chose et d'en tirer de la satisfaction.
Le lendemain matin (mardi 12 janvier 2010) vers 10h30,
l'art-thérapeute stagiaire s'est rendue dans la chambre de Mme A, et
l'accueil qui en a découlé était plutôt
impressionnant. Après avoir poussé la porte d'entrée,
l'art-thérapeute stagiaire a vu Mme A, élégamment
vêtue, allongée sur son lit, les mains croisées et
posées sur sa poitrine, le visage très pâle et le regard
orienté vers le plafond. L'art-thérapeute stagiaire s'est
approchée doucement, l'a saluée puis tendu la main, mais Mme A
n'a répondu qu'un « bonjour >> sur un ton méfiant et
s'est mise à la fixer avec grande attention. L'étudiante s'est
brièvement présentée, puis a demandé à Mme A
si elle pouvait lui emprunter une chaise pour s'asseoir près d'elle afin
de « discuter un peu >>. Mme A a poliment acquiescé et lui a
demandé ce qu'elle lui voulait. L'art-thérapeute stagiaire lui a
expliqué ce qu'elle faisait au sein de la structure pendant son stage,
et a enchaîné sur le récent désintérêt
pour les activités de l'établissement qu'éprouvait la
patiente. « Je n'ai plus le coeur à tout ça, vous savez, je
suis au bout de ma vie >>, dit Mme A en grimaçant. Pendant qu'elle
parlait, elle semblait préoccupée par le couloir qu'elle pouvait
apercevoir car la porte n'était pas fermée.
L'art-thérapeute stagiaire lui a alors proposé de fermer la
porte, afin de tenir la conversation dans un cadre strictement privé.
Mme A a vivement acquiescé puis la stagiaire a fermé la porte.
Dès lors, un petit sourire s'est dressé sur son
visage, et elle confiait ensuite à l'étudiante que plein de gens
rentraient et sortaient de sa chambre sans rien lui demander, que certains
même repartaient avec quelques-uns de ses effets personnels, toujours
sans savoir qui ils sont et sans lui demander son autorisation.
L'art-thérapeute stagiaire lui a expliqué et justifié la
présence de plusieurs membres du personnel au sein de sa chambre dans le
cadre des soins et de l'entretien des lieux, qu'il n'y avait pas manière
de s'inquiéter, même si il était effectivement impoli de ne
pas se présenter et de ne rien dire. Puis, Mme A. a de nouveau
demandé qui était son interlocutrice, et ce qu'elle lui voulait.
Par quatre fois l'art-thérapeute stagiaire a dû
ré-expliquer son identité et son rôle, ainsi que le projet
qu'elle voulait mettre en place avec elle. Le projet a été
présenté comme un travail d'écriture sur la vie de Mme A.
et de ce qu'elle aime. Mme A. a alors cru que l'étudiante était
journaliste et a demandé si les notes qu'elle prenait aller se retrouver
dans La Nouvelle République (le journal régional du
Centre et Pays-de-Loire). L'ambiance s'était
détendue depuis que la porte était fermée, mais Mme A.
gardait toujours la même posture. Elle a répondu brièvement
mais sérieusement aux questions de l'art-thérapeute stagiaire,
à savoir ses passions, le métier qu'elle a exercé, ses
voyages. Mme A. est issue d'une famille aisée, d'une fratrie de 6
frères et soeurs et a reçu une éducation stricte mais pas
malheureuse. Quand elle était petite, un professeur venait chaque
semaine enseigner à toute la fratrie la pratique du piano. Adulte, elle
a officié dans le secrétariat, et a connu une grande
variété de postes qui l'ont faite voyager à travers le
pays. Elle s'est mariée mais n'a pas voulu discuter de la
présence éventuelle d'enfants. Elle a juste précisé
qu'aujourd'hui, sa belle-soeur et son époux venaient de temps en temps
lui rendre visite, et qu'elle appréciait ces moments.
L'entretien s'est terminé sur l'acceptation du travail
par Mme A., mais elle a insisté sur le fait qu'il s'agissait <<
d'un essai, pour voir ». Ayant remarqué l'attitude anxieuse de Mme
A. vis-à-vis de l'extérieur de sa chambre,
l'art-thérapeute stagiaire a proposé de commencer l'atelier dans
la chambre, ce qu'elle a approuvé en souriant. Le rendez-vous a
été fixé pour le lendemain matin, à 10h15. Mme A a
demandé à l'art-thérapeute stagiaire de le lui noter sur
un bout de papier. Après avoir salué Mme A, l'étudiante
est allée à la rencontre de l'équipe soignante pour
confirmer la mise en place de la prise en charge art-thérapeutique.
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