B- La partialité de l'armée
Définie comme « un groupe ou des groupes d'hommes
en armes, recrutés, entraînés et commandés par
l'Etat, et soumis à une organisation et à des obligations
dûment établies »93 l'armée a pour principe
et valeur la neutralité et l'impartialité. Une armée
républicaine doit être neutre et impartiale face au pouvoir
politique auquel elle est soumise.
Mais malheureusement tel n'est pas le cas en Afrique à
quelques exceptions près. Les armées africaines, du fait de leur
affiliation à une tendance politique ou de l'appel des civils,
s'ingèrent dans le jeu politique et porte atteinte par ricochet à
la transparence des élections. L'armée est non seulement un moyen
de conquête mais de maintien au pouvoir.
S'agissant de la conquête du pouvoir, l'Afrique offre
des exemples inédits de coups d'Etat militaires même contre des
présidents démocratiquement élus94 remettant en
cause l'accession au pouvoir par voie d'élections. Même si
certaines interventions militaires contre un régime devenu impopulaire
et dictatorial, sont vivement saluées par les populations et la
communauté internationale95, elles demeurent anti
constitutionnelles. On pourra à ce sujet se poser la question de savoir
si certains coups d'Etats sont légitimes alors que d'autres ne le sont
pas. En tout cas même si l'intervention militaire permet dans certains
cas d'instaurer une autorité civile démocratique en organisant
les élections après le coup d'Etat, cela est condamnable a priori
car c'est contraire
93Charles H. FAIRBANKS J. R, cité par
GBEOU-KPAYILE Nadjombé G. « Armée et démocratie
» mémoire de DEA Droit Public, Université de Lomé,
2005, p.28
94 Cas du Madagascar, de la Mauritanie, du Niger...
95 C'est le cas de la guinée Conakry de
LASSANA Konté et du Niger de Mamadou TANDJA dont l'intervention
militaire ayant renversée ces chefs d'Etats a été
salués Par une partie de la communauté internationale et les
populations.
aux règles et principes constitutionnels. D'ailleurs les
putschistes qui dirigent la transition ont tendance à s'approprier le
pouvoir96 .
Utilisées comme un moyen d'accès au pouvoir, les
forces armées constituent aussi un moyen pour se maintenir au pouvoir de
par leur soutien à un régime illégal et illégitime.
L'immixtion de l'armée dans les affaires électorales pour
permettre au régime auquel elle est affiliée de se maintenir au
pouvoir n'est pas rare en Afrique. Cette immixtion de l'armée se
manifeste sous plusieurs formes : elle intervient parfois dans un cafouillage
électoral pour déclarer vainqueur tel ou tel en arguant que c'est
dans le souci de maintenir l'ordre et éviter une éventuelle
guerre97, soit dans le bourrage des urnes98. Dans
d'autres cas les candidats sortant comptant sur l'armée pour
réprimer les contestataires refusent d'accepter le verdict des urnes
lorsque celui-ci leur est défavorable99. Cette politisation
de l'armée fait d'elle du moins en fait un facteur dont dépend
l'alternance en lieu et place des urnes.
Certes beaucoup de facteurs expliquent les difficultés
de la démocratie électorale africaine mais il est
impérieux de trouver des solutions à ces difficultés.
96 Cas ivoirien en 2000 avec Général
Robert GUEI, arrivé au pouvoir après le coup d'Etat de 1999 a
voulu se maintenir au pouvoir malgré sa défaite aux
élections en dissolvant la CEI et se s'autoproclamant élu.
97 Cas des élections présidentielles de
1998 au Togo oü face à la démission de la présidente
de la CENI, le Général Seyi MEMENE alors ministre de
l'intérieur s'est donné l'autorité de proclamer les
résultats en déclarant le candidat sortant EYADEMA élu et
ceci à la grande surprise de tous
98 Au cours des élections
présidentielles de 2003 au Togo, la chaine de télévision
TV5-Monde a montré un militaire togolais qui fuyait avec une urne le
soir du scrutin emportant ainsi le vote des électeurs.
99 Cas du Kenya aux élections
présidentielles de 2007 où le président KIBAKI a fait
réprimer les contestataires de son élection douteuse. C'est aussi
le cas en Côte d'Ivoire où Laurent GBAGBO comptant sur
l'armée et ses milices appelées « les patriotes » a
refusé de lâcher le pouvoir malgré sa défaite aux
élections de novembre 2010. Il est de même au Togo lors du scrutin
présidentiel de 2005.
2ème Partie
44
LES
PERSPECTIVES
ELECTORALES
Aux vues de l'analyse qui précède sur les
processus électoraux, l'Afrique serait plus proche de la porte
d'arrivée que de la porte d'entrée. A ce XXIème
la question des élections en Afrique doit être
appréhendée non en termes d'adhésion ou non à la
démocratie électorale mais en termes d'adaptation et
d'amélioration. Certes les pays où l'on n'organise pas les
élections en Afrique aujourd'hui sont rares comme les pays où
l'on ne boit pas de coca-cola dans le monde100 ; mais très
peu sont ceux qu'on peut véritablement qualifier de démocratie
électorale à l'instar de celle occidentale. Il se pose alors le
problème d'amélioration de ces processus. Au regard des
différentes difficultés que rencontrent les élections
africaines, leurs sincérité et équité passent par
leur « tropicalisation » (chapitre I) d'une part et le renforcement
de l'assistance électorale (chapitre II) d'autre part.
100Entre 2000 et 2009, il y a eu des
élections multipartites (législatives et/ou
présidentielles) dans 49 des 53 pays du continent, les exceptions
étant l'Érythrée, le Swaziland, la Libye et la Somalie.
CHAPITRE I : ACCLIMATATION DES
PROCESSUS
ELECTORAUX
|
46
« Il n'y a pas de mode d'organisation unique de la
démocratie, (...) le respect des principes universels, les formes
d'expression de la démocratie doivent s'inscrire dans les
réalités et spécificités historiques, culturelles
et sociales de chaque peuple »101. Cette déclaration de
la francophonie sur la pratique de la démocratie dans l'espace
francophone réaffirme la nécessité de prendre en compte
des facteurs socioculturels de chaque Etat (section I) dans le raffermissement
de la démocratie électorale. Aussi l'enracinement de la
démocratie électorale en Afrique passe-t-elle par le renforcement
des garanties institutionnelles (section II).
SECTION I : INTEGRATION DES FACTEURS SOCIO-ECONOMIQUES
Les processus électoraux ne peuvent s'épanouir en dehors
de leur environnement socioculturel. Parmi les facteurs socioculturels pouvant
influencer la fiabilité et la sincérité des scrutins
électoraux figure l'ethnie qui est un tabou constitutionnel (§ 1).
Aussi les électeurs africains constituent-ils un véritable «
bétail électoral » à qui il faudra inculquer une
culture démocratique (§ 2).
|