PARAGRAPHE II : UNE ALTERNANCE A PRIORI INCERTAINE
Le renouveau démocratique des années 1990 est
apparu dans un contexte dominé par des décennies de règne
du parti unique, la personnalisation du pouvoir et l'incursion fréquente
de l'armée dans les affaires politiques au mépris du
caractère impartial et républicain de l'armée nationale.
Le parti unique est devenu majoritaire en théorie et réfractaire
aux élections (A), et l'armée politisée (B), ont fait de
l'alternance à travers les urnes, une arlésienne.
A- La résurgence de l'ancien parti unique
La vie politique des Etats africains est dominée par
des décennies de règne du parti unique qui était confondu
avec l'appareil étatique. Le parti d'Etat qui a disparu avec le
multipartisme est de fait le parti dominant dans la plupart des cas et exerce
une influence non moins grande sur le fonctionnement régulier
85 BANEGAS (R.) « Marchandisation du vote,
citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin »,
op.cit. p.21
86 BRATTON (M.), Populations pauvres et
citoyenneté démocratique en Afrique, Afrique contemporaine
2006/4, n° 220, p.33-64.
87 Cette situation a été
constatée et dénoncée par l'opposition togolaise lors des
scrutins présidentiels de 1998 et de 2003.
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des institutions et par conséquent sur le
déroulement des opérations électorales.
Il faut d'entrée souligner que les tenants du parti
unique ont été très réticents à
l'égard du multipartisme car ils n'entendaient pas non seulement
recevoir des critiques sur la gestion dont ils font du bien public mais aussi
avaient-ils peur de perdre certains privilèges. Ainsi l'ancien parti
unique, en tant que parti politique parmi tant d'autres, et s'appuyant sur un
parlement monocolore acquis à sa cause, fait adopter des textes
électoraux peu favorables au jeu démocratique.
Les réformes constitutionnelles et institutionnelles
indispensables à l'organisation d'un scrutin équitable sont donc
bloquées ou faites à la mesure de la volonté de l'ancien
parti unique et dans le souci de se maintenir au pouvoir. Le découpage
électoral et le choix du mode de scrutin attestent l'assertion. C'est ce
qui explique l'instabilité des textes et institutions africains comme
l'atteste les intempestives modifications constitutionnelles et
institutionnelles observées sur le continent88. Ce manque de
préparation psychologique de l'ex-parti unique et de ses dignitaires
à l'environnement démocratique rend quasiment impossible
l'organisation des scrutins acceptable par tous.
Parlant de la culture politique africaine, Jean-Pascal DALLOZ
et Patrick CHABAL estiment que ces traits témoignent de la
résurgence de la longue durée d'une culture politique africaine
(panafricaine ?) qui viendrait vaincre la couche superficielle
d'occidentalisation déployée sur les sociétés
africaines par la colonisation89. Cette mentalité
réfractaire à la démocratie électorale se manifeste
à trois niveaux.
D'abord les dirigeants autoritaires ne sont pas favorables
à l'alternance et ne sont pas préparés à
accepter une quelconque défaite. Ils instrumentalisent à
88 En dehors des révisons constitutionnelles
fréquentes qui suppriment la limitation des mandats, les codes
électoraux sont toujours modifiés à la veille de chaque
scrutin électoral et ceci en fonction des ambitions politiques du moment
et des forces en présence.
89 Dalloz (J.-P.) et CHABAL (P.) cité par
Foucher (V.), Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et
reconstruction du pouvoir personnel, Pouvoirs, N° 129,2009/2, p.
127-137.
cet effet les normes électorales90 ou
refusent de lâcher le pouvoir même en cas de
défaite91. Ensuite les partisans de l'ex-parti unique
notamment les « barons » par souci de conserver leurs prestiges et
biens matériels acquis le plus souvent frauduleusement, et dans le but
d'échapper à la justice, font tout pour soutenir et maintenir un
régime illégitime et impopulaire en instrumentalisant, à
tous les niveaux, le processus électoral. Le Ministère de
l'Intérieur et les préfets au niveau local, le Ministère
de la Sécurité avec la gendarmerie et la police chargée de
sécuriser les élections et le Ministère des Finances qui
affecte les fonds de l'Etat pour la campagne du président sortant, sont
redoutables à cet effet.
Enfin l'avènement de la démocratie
électorale en Afrique dans les années 1990 s'est produit dans un
environnement socioculturel peu préparé pour accueillir un tel
régime politique. Contrairement à ceux qui pensent que la
démocratie du moins électorale n'est pas pour les
africains92, le problème se pose en terme de
préparation des populations africaines peu instruites et dont
l'organisation sociale est basée sur la royauté et la chefferie
avec une concentration des pouvoirs dans les mains du roi ou souverain,
à s'approprier la démocratie électorale.
En effet les populations africaines sont dans l'ensemble
conservatrices et redoutent les systèmes politiques d'importation
même si aujourd'hui l'expérience tunisienne, égyptienne et
libyenne atteste de l'évolution du comportement politique de celles-ci.
Ceci dit le règne du parti unique qui a exclu pendant longtemps toute
pensée contradictoire reste un facteur négatif pour
l'instauration de la démocratie électorale.
Aussi faut-il ajouter la faiblesse persistante des partis
d'opposition qui ont du mal à se déployer au-delà des
bassins ethno-régionaux où leurs chefs peuvent parfois jouer de
leur identité ou des grandes villes où la « colère
» et la
90 Cas des découpages électoraux peu
judicieux, des textes qui écartent les candidats de l'opposition les
plus gênants, le refus d'enregistrer les électeurs acquis à
la cause de l'opposition ou le gonflement de la liste électorale.
91 Le cas du Kenya en 2007 et celui de la Côte
d'Ivoire en 2010 en sont évocateurs.
92 « Les élections pluralistes seraient à
leur tour devenues un instrument de renforcement de pouvoirs autoritaires et
même de domination inventé par les impérialistes pour
retarder l'Afrique » Atsutsé AGBOBLI, cité par K. J.
KOFFIGOH et repris par Du Bois De GAUDUSSON (J.) in « L'Afrique à
l'épreuve des élections » Cahier constitutionnel
N°13/2002.
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politisation forte de l'électorat leur facilite la
tâche. Ce n'est donc bien souvent que lorsque des barons du parti au
pouvoir entrent en opposition, détournant une fraction des ressources
matérielles et militantes du parti au pouvoir, que l'opposition tient
enfin une chance de victoire.
À rebours, tant qu'un chef d'État est
décidé à rester au pouvoir, son monopole sur l'État
semble souvent lui permettre de tenir le jeu politique formel et d'assurer sa
réélection. A ces éléments peu favorables, vient
s'ajouter l'armée.
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