A- Un cadre normatif et institutionnel limité
La création des commissions électorales
indépendantes ou autonomes a été envisagée comme un
palliatif aux difficultés, insuffisances et irrégularités
connues par des scrutins organisés par le Ministère de
l'Intérieur, sanctuaire de la cuisine électorale.
Mais l'expérience a révélé
qu'elles ne sont pas, du moins dans la majeure des cas, à la hauteur de
la tâche qui leur est confiée si l'on en juge de la gravité
des crises liées à l'organisation des scrutins
récents69. Les limites tiennent souvent
69 Exemple du Madagascar en 2001-2002, Togo en 2005,
Kenya en 2007, Côte d'Ivoire en 2000 et en 2010.
à la composition, aux compétences et aux moyens
matériels de ces institutions. Ces limites sont congénitales
à l'existence même des structures électorales.
D'abord s'agissant de la composition déterminée
par les textes, elle fait peser une suspicion sur la neutralité et
l'impartialité de l'institution. Si dans certains cas la configuration
des commissions est fondée sur le principe de proportionnalité ou
de parité, la nomination ou l'élection des membres par les hommes
politiques ou les assemblées représentatives qui ne
désignent chacun que son partisan de confiance, transforme l'institution
en lieu de débats politiques partisans remettant du coup
l'indépendance présumée de l'institution en
cause70. Les règles de nomination font parfois que le pouvoir
en place se taille la part du lion71.
S'agissant ensuite des prérogatives qui leurs sont
attribuées, elles sont définies de façon extrêmement
imprécise. En premier lieu, la loi électorale ne définit
pas clairement le calendrier électoral notamment la date de mise sur
pied de la commission électorale devant organiser le scrutin en laissant
le soin au pouvoir règlementaire d'en déterminer. Cette situation
a conduit à la création des commissions presqu'à la veille
du scrutin mettant celle-ci dans un pétrin72. En second lieu
les compétences reconnues à ces instituions sont de façade
dans certains pays et, dans d'autres cas, la répartition de ces
compétences est source de querelles politiciennes. L'analyse du code
électoral togolais en donne confirmation. L'article 4 du code
électoral du Togo précise que « le Ministère de
l'Intérieur est chargé de l'organisation des différentes
consultations référendaires électorales. L'Autorité
administrative indépendante a pour mission de veiller au respect de la
loi électorale. Elle est particulièrement chargée du
suivi, du contrôle et de la supervision du processus électoral en
vue de garantir la transparence et d'assurer aux électeurs et aux
candidats la libre expression des suffrages »73. Le texte
législatif togolais définit les attributions de la
70 Les débats houleux entre le RPT et
l'opposition sur cette question lors de l'APG et les tractations pour la
nomination du Président de la CENI lors du scrutin du 04 mars 2010,
attestent de l'importance de la question.
71 Au Zimbabwe la constitution confie la
surveillance du processus électoral à une Election Supervisory
Commission(ESC) dont les membres sont librement choisis par le chef de l'Etat
à qui ils rendent compte uniquement.
72En Guinée la commission est
créée onze jours avant le déroulement des premières
élections de 1993 et les membres de la commission n'ont pu prêter
serment que neuf jours avant le premier tour.
73 Cet article a été modifié en
2009 à la veille des élections présidentielles de mars
2010.
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commission nationale électorale en des termes
juridiquement imprécis dont la traduction concrète est incertaine
du fait du silence des textes. Il en est de même de la loi
électorale malienne du 30 août 2000 qui, modifiée par la
loi du 13 juillet 2001, présente le même flou juridique. Elle
consacre, en effet, en son chapitre II « Des autorités
compétentes », trois organes dans le cadre de la gestion des
élections générales. L'ambiguïté sur les
prérogatives de ces trois organes est entretenue par l'article 16 de la
loi qui précise que « l'organisation et les modalités de
fonctionnement de la Délégation Générale aux
Elections (DGE) sont déterminées par décret pris en
conseil des ministres. La DGE est dirigée par un
Délégué général, nommé par
décret du Président de la République
»74.
Enfin les difficultés normatives qui limitent
l'efficacité des institutions électorales sont d'ordre
matériel. L'autonomie financière dont jouissent les structures
électorales en Afrique est tributaire de l'Etat75. Ce dernier
peut donc limiter les ressources financières des instituions
électorales pour influencer leur efficacité. De même l'Etat
ayant quasiment le monopole sur les moyens matériels et humains et qui
ne les affecte qu'à son gré à la structure
électorale, constitue un handicap rendant la mission des commissions
électorales incertaine. Ces insuffisances des institutions
électorales africaines sont accompagnées par la prise en «
otage » de ces organes par le pouvoir en place.
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