La loi du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement et la responsabilité des constructeurs( Télécharger le fichier original )par Florence COUTURIER- LARIVE Université Aix- Marseille III - Master II Droit immobilier public et privé 2010 |
B- L'impropriété à la destination114. Origine jurisprudentielle- L'impropriété à la destination est d'origine jurisprudentielle et la loi du 4 janvier 1978 l'a consacrée, de préférence à deux autres critères de gravité du dommage: l'interdiction d'utilisation dans des conditions normales d'habitabilité, trop restrictif, et l'interdiction absolue d'utilisation, critère insuffisamment protecteur des intérêts du maître de l'ouvrage. Cependant, le législateur n'est pas allé jusqu'à définir cette destination de l'ouvrage, ouvrant dès lors la voie à une définition malléable de la notion. 115. Définition de la destination - En effet, en l'absence de définition légale, l'on peut affirmer que l'impropriété à la destination caractérise l'effet du dommage qui empêche l'ouvrage de fournir son utilité telle que définie par des critères à la fois objectifs et subjectifs. Le travail premier du juge est donc celui de définir la destination de l'ouvrage grâce à des faisceaux d'indices divers tels que l'usage habituel de tel bâtiment, les termes des documents contractuels, l'usage réel auquel l'ouvrage se destine, voire parfois, en se référant à certaines normes légales189(*). 116. Définition de l'impropriété- Fort de la détermination de la destination de l'ouvrage, il conviendra de cerner par suite en quoi cet ouvrage ne pourra se trouver apte à l'usage auquel il était destiné. A ce titre, il convient de rappeler que l'impropriété à la destination n'est pas l'impossibilité absolue de se servir de l'ouvrage, mais l'impossibilité de s'en servir conformément « à sa finalité »190(*), à tel point que cela «équivaut en principe, à sa perte. »191(*). 117. Une notion extensive- Le paradoxe entre l'apparente rigidité des critères de gravité du dommage et la réalité de l'interprétation qu'en fait la jurisprudence se ressent à travers l'interprétation large de la notion de destination qui est faite par les juges du fond. Le caractère extensif et tout à la fois objectif et subjectif de l'impropriété trouve sa source dans le fait que la destination contraint à envisager l'ouvrage dans sa globalité, voire dans une sorte « d'aura » qui le dépasse : il en est ainsi des bâtiments qui ont une esthétique propre et particulière, des bâtiments classés ou situés dans des sites classés, de ceux à vocation culturelle et sociale etc. Il semblerait donc, sans même peut être extrapoler, qu'il puisse exister autant de destinations que d'ouvrages192(*) et que la notion de destination soit une notion vouée par nature à une interprétation extensive. 118. Elargissement du domaine de la garantie décennale- Cet état de fait a pour conséquences d'élargir considérablement le champ de la garantie décennale pour cause de « perte d'utilité »193(*). Le problème est l'insécurité juridique qui en découle concernant le régime de responsabilité applicable, entre la responsabilité décennale et la responsabilité de droit commun194(*). Et ce, malgré un contrôle de motifs par la Cour de Cassation, laquelle exige qu'il soit précisé en quoi les malfaçons caractérisent tant l'impropriété à la destination de l'ouvrage, que l'atteinte à la solidité de celui- ci195(*). C'est là toute la difficulté de la caractérisation de l'impropriété à la destination. 119. Indifférence du siège des malfaçons- En effet, d'un point de vue technique, déterminer l'impropriété à la destination d'un ouvrage implique en premier lieu de se rappeler le principe d'indifférence du siège du dommage en matière de construction. Ainsi, peu importe que le siège des désordres se situe dans un élément constitutif (murs porteurs, toiture, fondations...) ou affecte l'un des éléments d'équipement, comme des canalisations ou des systèmes de chauffage, sans qu'il y ait lieu de rechercher si ces équipements sont ou non indissociables du bâtiment, pourvu que ce dommage rende l'ouvrage impropre à sa destination196(*). 120. Exemples d'éléments d'appréciation- En second lieu, le juge va se livrer à un examen global de l'ouvrage par une appréciation souveraine des faits. Il a été vu que la destination s'appréciait au regard d'éléments intrinsèques et extrinsèques de la construction. Des développements ultérieurs s'attacheront à préciser les notions de destination objective et subjective197(*), mais d'ores et déjà, soulignons que l'impropriété à la destination peut notamment s'apprécier au vu de la « situation intolérable perturbant la vie des occupants »198(*), étant précisé que la charge de la preuve pèse sans faillir au principe, sur le demandeur, lequel devra le plus souvent avoir recours à une ou plusieurs expertises. Le juge s'attachera également à des critères logiques et objectifs comme celui de l'habitabilité d'un ouvrage à usage d'habitation ou de la dangerosité, conséquence du désordre199(*). Parallèlement, il convient de remarquer que face à une appréciation large de la notion d'impropriété à la destination par le juge judiciaire, le Conseil d'Etat garde mesure et se livre à une appréciation restrictive de l'impropriété, laquelle est appréciée par rapport à « l'ampleur des conséquences dommageables. »200(*) que font peser les désordres sur l'ouvrage. 121. Etendue de l'impropriété- En tout état de cause, il faut bien entendre que c'est l'ouvrage dans son entier qui doit être rendu impropre à sa destination, et non pas seulement un élément constitutif ou un élément d'équipement, comme le rappelle souvent la Cour de Cassation201(*). Ainsi, la troisième Chambre civile de la cour de Cassation, dans un arrêt récent en date du 29 mars 2011202(*), ayant constaté, à propos d'une installation de chauffage, que « les désordres n'affectaient pas de façon globale l'installation de chauffage, mais seulement les ballons d'eau chaude qui étaient des éléments d'équipement dissociables, et que le système de chauffage n'avait pas cessé de fonctionner », a approuvé la cour d'appel, « qui en a souverainement déduit que ces désordres n'avaient pas rendu l'ouvrage impropre à sa destination(...) ». 122. Impropriété à destination partielle- Cependant, la jurisprudence admet dans certains cas, l'impropriété à destination partielle pour permettre la mise en jeu de la garantie décennale. Ainsi, la Cour de Cassation approuve « la Cour d'appel qui retient que les désordres affectaient les toitures et que les infiltrations d'eau rendaient, pour partie, les maisons impropres à leur destination, en déduit exactement que la garantie décennale est applicable. »203(*) 123. Question de la place du Grenelle II dans le régime de la responsabilité spécifique des constructeurs- On le constate, l'impropriété à la destination de l'ouvrage se trouve être le levier de la mise en oeuvre de la garantie décennale, tant par sa polyvalence, que par ses facultés d'adaptation à chaque cas d'espèce. Dans cet environnement juridique, la question se pose de savoir de quelle manière vont s'inscrire les dispositions de la Loi du 12 juillet 2010, tant au regard de la notion de destination de l'ouvrage, que dans une acception plus globale du régime de la responsabilité spécifique des constructeurs. En effet, comme tout texte novateur, la Loi Grenelle II se trouve porteuse de nouvelles définitions et de nouvelles obligations, liées à une perception des bâtiments qui n'existait pas en 1978, lors de l'adoption de la Loi Spinetta. Dès lors, il est fondamental de déterminer si les textes existants sont suffisamment adaptables à l'évolution de notre société et de ses besoins ou s'il est nécessaire de les réformer. Pour ce faire, il convient d'ores et déjà de se pencher sur les innovations offertes par la loi nouvelle. * 189 Infra, n° 237 et s. * 190 R. Saint Alary et C. Saint Alary- Houin, Memento Dalloz série Droit Privé « Droit de la construction », 9eme édition 2008 , pp 182 et 183 * 191 P. de Lescure « Garantie décennale et impropriété à la destination de l'ouvrage » RDI 2007 p. 111 * 192 L. Karila et C. Charbonneau « droit de la construction : responsabilités et assurances » éd. Litec, collection Litec Immo 2007, pp 86 à 91, N°172 * 193 M. Faure- Abbad « Droit de la construction Contrats et responsabilités des constructeurs » Mémento LMD, Gualino éd., 2007, pp 147 et 148 * 194 P. de Lescure, Op.cit * 195 V. not. : Cass. Civ. 3e, 20 mai 1998, no 96-19.521 , Bull. Civ. III, no 106 ; Cass Civ. 3e, 27 mai 1999, no 97-17.520 , RDI 1999. 406 ; Cass Civ. 3e, 6 déc. 2000, no 99-13.771 ; Cass Civ. 3e, 20 déc. 2000, no 99-14.822 , RDI 2001. 170, citées par Ph. Malinvaud, Dall. Action Droit de la construction, Editions Dall. 2011, n°473.370 * 196 V. not. : J. B. Auby, H. Périnet- Marquet- R. Noguellou, Op.cit, n° 1244 * 197 Infra, n° 230 et s. * 198 Cass.Civ3 18 juin 1975 bull Civ III 206, cité par A. Duflot « Le droit contentieux de la construction - Jurisprudence judiciaire et administrative» Ed. DPE 2ème édition Mai 2008, pp 82 et 83, n° 79 * 199 V .par ex. : Cass. Civ.3e, 30 juin 1998, n° 96- 20789, pour la défaillance d'un système de sécurité incendie d'un immeuble * 200 CE 2 févr. 1973, « Sieur TRANNOY » Rec. CE p 95 * 201 V. par ex : Cass. Civ. 3e, 2 oct. 2001, n° 00-12.788 * 202 Cass. Civ 3e, 29 mars 2011, pourvoi n° 10-14540 * 203 Civ 3e, 12 juill. 1995, n° 93- 18805 bull III n° 78 |
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