D'emblée il est intéressant de constater une
réalité textuelle démontrant de manière objective
l'existence d'une certaine logique de condamnation de la part du TPIR. En effet
à la lecture des textes réglementant le statut et le
fonctionnement du TPIR, il n'existe aucune disposition portant sur
l'acquittement, pas plus que de dispositions pouvant porter sur l'indemnisation
de la détention préventive en cas d'acquittement. Ceci
démontre clairement la logique répressive du TPIR faisant ainsi
de l'ombre à ce principe premier et essentiel qu'est la
présomption d'innocence. Cette réalité est
accentuée par le recours systématique à la
détention provisoire.92
Ensuite il est judicieux de s'attarder sur l'examen de l'acte
d'accusation en tant que matrice des faits et des incriminations qui doivent
être prouvés par le ministère public. C'est une
pièce maitresse, car c'est l'instrument de saisine du tribunal. Il qui
doit en tant que tel décrire les faits reprochés à
l'accusé de façon claire et exhaustive et indiquer les textes
d'incriminations violés, de même que les qualifications
légales applicables en l'espèce. La stricte réglementation
de l'acte d'accusation est prévue à la fois dans le statut du
TPIR (article 14 et 20.4), mais aussi dans son règlement de preuve et de
procédure (articles 47 B et C).93 Après l'acceptation
de l'acte d'accusation, le suspect acquiert le statut d'un accusé. Son
importance étant capitale dans la conduite d'une procédure de
jugement, l'acte d'accusation se doit légitimement de suivre les
garanties et contribuer à la pleine réalisation des droits de la
défense.
O r dans de nombreuses affaires, et notamment celle de C.
Nzabonimana, l'acte d'accusation énonce de nombreuses
imprécisions, alors même que celui--ci doit être un gage de
clarté et d'extrêmes précisions. Tel que l'emploi de
l'expression « ou avec d'autres» ayant compromis l'incrimination
d'entente en vue de commettre le génocide,
9 2 N° ICTR--98--44C--T, le Procureur contre
André RWAMAKUBA, Décision relative à la requête
de la Défense en juste réparation, 31 janvier 2007.
9 3 Annexe 4, Règlement de Procédure et de Preuve
du TPIR.
p erm ettant plus facilement d'ajouter ou de substituer
n'importe quel autre individu.94 D e même qu'un recours au
style impersonnel, alors même que ce sont les faits, et donc la
désignation d'un sujet agissant qui permettent d'établir la
responsabilité pénale individuelle, clairement définie
dans l'article 6 du statut du TPIR.
Enfin cette garantie d'une préparation sérieuse
et préalable dans la conduite de la Défense est sans cesse mise
en difficulté par des actes d'accusation variables tombant au gré
des pluies, souvent sans raison apparente ni valable. Ce fut notamment le cas
dans l'affaire de M.X, ou l'acte d'accusation initial fut modifié
à deux reprises. Mais aussi dans une affaire Y, ou un premier acte
d'accusation fut dressé en septembre 2001, suivi d'une modification,
intervenant près de 5 ans plus tard, soit en octobre 2006. Il s'agissait
d'une modification nullement anodine et sans conséquence mais bien au
contraire elle portait sur des éléments substantiels du premier
acte d'accusation, juste un mois avant le début du procès
(novembre 2006). Cela peut encore être l'introduction de nouveaux
éléments à charge visant des faits matériels qui ne
figuraient pas dans l'Acte d'accusation initial, ou encore la suppression de
faits matériels pourtant présent dans le document initial. Devant
des incriminations aussi graves comment peut--on préparer avec
équité une défense digne de ce nom, lorsque la base des
poursuites est mouvante? Est--ce respecter le droit de l'accusé à
être informé, dans le plus court délai, dans une langue
qu'il comprend et de façon détaillée, de la nature et des
motifs de l'accusation portée contre lui ? Est--ce également
respecter son droit de disposer du temps et des facilités
nécessaires à la préparation de sa défense en vertu
de l'article 20(4)a) et b) du Statut? Clairement non.
De plus, alors qu`en matière pénale, le fardeau
de la preuve incombe au Procureur, au Tribunal Pénal International pour
le Rwanda, les rôles sont souvent inversés et c'est à
l'accusé que l'on demande de prouver qu'il est innocent. Au lieu de
profiter au prévenu, le doute profite ainsi à l'accusateur. Cet
inversement de la charge de la preuve pourrait ne pas soulever de
difficulté plus profonde en matière des droits de la
défense, si les preuves rassemblées par la Défense
étaient par la suite prises en considération à leur juste
valeur. Cependant dans la pratique du TPIR, même lorsque l'accusé
parvient à
9 4J EAN--PIERRE FOFÉ DJOFIA MALEWA, La question
de la preuve devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda: Le
cas Cyangugu, points de vue concrets, Edition L'Harmattan, 2006, ISBN:
2--7475--9361--4, p141--150.
démontrer son innocence, ses preuves ne sont pas
prises en compte dans le jugement. Parfois même la Chambre
n'hésite pas à dénaturer les faits ou à inventer
elle--même des faits qui n'ont jamais existé, ni
avérés, pour condamner. Ce fut le cas dans l'affaire de Ferdinand
Nahimana et Emmanuel Ndindabahizi, ou le premier fut condamné en
première instance en tant que Directeur de la TTLM alors qu'il avait
fourni la preuve qu'il ne le fut jamais. 95
Au sein de l'affaire en cours de Calixte Nzabonimana, il existe
une autre atteinte au droit à un procès équitable.
C allixte Nzabonimana est actuellement détenu par le
Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Suivant l'acte d'accusation
actuellement en vigueur, il est accusé de cinq chefs d'accusation
(génocide, entente en vue de commettre le génocide, incitation
directe et publique à commettre un génocide, extermination
constitutive de crime contre l'humanité et assassinat constitutif de
crime contre l'humanité). Plusieurs des infractions reprochées
à Callixte Nzabonimana se déroulent pendant la période du
7 au 11 avril 1994. Or Calixte Nzabonimana se défend contre ces
accusations en invoquant notamment une défense d'alibi, puisqu'il
était, pendant cette période, réfugié à
l'ambassade de France à Kigali au Rwanda. Les informations et documents
permettant de confirmer son alibi pour cette période sont détenus
par la France. L'importance de ces documents est saisissable dès lors
qu'ils supportent sa défense d'alibi. Ainsi le TPIR a enjoint la France
à plusieurs reprises de fournir à Nzabonimana les informations
qu'il recherchait. Malgré les demandes répétées du
TPIR, les informations et la possibilité de les utiliser n'ont jamais
été données à Callixte Nzabonimana. Ce refus
conduisait la chamb re du TPIR chargée de juger Callixte Nzabonimana
à demander au Président du Tribunal de dénoncer la France
au Conseil de Sécurité, dans une décision du 4 mars 2010.
Suite à cette décision, la France, après plus d'un an, a
partiellement mis en oeuvre les ordonnances répétées
à son égard, en communiquant des télégrammes
incomplets et une liste de documents, sans par ailleurs mettre en place des
mesures qui permettraient aux conseils de C.Nzabonimana de rencontrer ces
personnes pouvant attester ou non de sa présence à l'Ambassade de
France à Kigali lors des événements de 1994. Par cette
9 5 N° ICTR--99--52--T, Le Procureur contre Ferdinant
Nahumana, Jean--Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, 3 décembre 2003,
paragraphe 559 et 567.
conduite la France a compromis le droit de Callixte
Nzabonimana à un procès juste et équitable, en particulier
en le privant des facilités nécessaires à sa
défense et en l'empêchant d'obtenir la comparution de
témoins d'alibi cruciaux.
C' est ainsi que le refus de coopérer de la France
viole l'article 6 paragraphe 1, et 6 paragraphe 3(b) et (d) de la Convention
européenne des droits de l'homme garantissant à tout
accusé le droit à un procès équitable. En effet
Calixte Nzabonimana est victime d'un manquement de la France à ses
engagements de coopération et d'assistance, découlant de sa
signature du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et
également comme membre du Conseil de Sécurité de l'ONU. Or
il a été souligné dans l'arrêt Salduz contre la
Turquie que c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un
procès équitable doit être assuré au plus haut
degré possible par les sociétés démocratiques.
D'ailleurs l'article 6 de la CEDH impose à l'état une obligation
positive.96Ainsi l'essence des garanties juridiques prévus
à l'article 6 de la CEDH est non seulement d'offrir à un individu
la possibilité de se défendre contre les accusations auxquelles
il fait face, mais de s'assurer que le droit à cette défense soit
effectif. Mais dans cette affaire, la conduite de la France fait en sorte que
Callixte Nzabonimana est incapable de se défendre effectivement contre
les infractions reprochées. C'est pourquoi fin Avril, une requête
à été introduite par l'équipe de Défense de
M. Callixte Nzabonimana auprès de la Cour Europé enne des droits
de l'Homme, relativement à ce manquement de coopération et
d'assistance de l'état Français.
O utre le droit à l'égalité des armes et
des moyens, les droits de la défense supposent également que
l'accusé ait le droit d'interroger les témoins à charge et
d'obtenir la convocation et l'interrogatoire des témoins de la
défense dans les mêmes conditions que les témoins à
charge. Les droits de la défense commandent d'accorder une occasion
adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge
ou à décharge et d'en interroger l'auteur.97 Or en
l'espèce l'absence de toute confrontation, du fait de la
délivrance d'information incomplète par l'État
français sur les témoins présents prive en partie Callixte
Nzabonimana du droit à un procès équitable. La France ne
peut se retrancher derrière un quelconque intérêt
légitime pour refuser de communiquer avec
9 6 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Artico
contre Italie, 13 mai 1980
9 7 Cour Européenne des Droits de l'Homme, Saïdi
contre France, 22 septembre 1993.
précision les données essentielles permettant la
mise en lumière d'un élément de preuve déterminant
dans la défense de Callixte Nzabonimana.
Par cette attitude la France contrevient également
à l'article 28 du statut du TPIR98 qui instaure cette
obligation de coopération et d'assistance de la part des États
signataires de la résolution du Conseil de sécurité de
l'ONU. Il faut donc prendre en compte le fait que les juridictions
internationales pénales et donc le TPIR ne peuvent fonctionner qu'avec
la coopération des États. Si les garanties de l'article 6 ne sont
pas respectées devant le TPIR, il peut être attendu que les
États coopérants se voient imputer la violation de la Convention
à la lecture de nombreux arrêts de la CEDH tel que Soering contre
Royaume--Uni, du 7 juillet 1989.
Ensuite concernant l'article 20 du statut du TPIR
énonçant que «toute personne contre laquelle une accusation
est portée en vertu du présent Statut a droit d'être
jugée sans retard excessif », certaines irrégularités
peuvent être relevées au sein du TPIR. Un exemple pour illustrer
ce propos: dans l'affaire X, l'accusé a été
arrêté en juillet 2001, mis en détention en septembre 2001,
et son procès n'a commencé qu'en novembre 2006, soit après
soixante quatre mois de détention provisoire.
A ce propos, une remarque peut être formulée sur la
question de la détention provisoire au niveau du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda.
Le règlement de procédure et de preuve encadre
les conditions d'une détention préventive en son article 64
99. L'incarcération du prévenu pendant la durée
de l'instruction et du procès est un procédé qui est
reconnu dans l'ensemble des système s p énaux. Cependant les
textes internationaux confèrent généralement un
caractère exceptionnel à la détention préventive,
puisqu'au regard de la présomption d'innocence, la règle doit
être la liberté. Cette règle est présente dans les
textes internationaux à vocation universelle comme dans les textes plus
régionaux. Ainsi le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques dispose en ces termes que «la détention de personnes qui
attendent de passer en jugement ne doit pas être la règle (...)
». Cette
9 8 Annexe 3, Statut du Tribunal Pénal International pour
le Rwanda 9 9 Annexe 4, Règlement de procédures et de preuves.
disposition se trouve appuyée par la Convention
Européenne des Droits de l'Homme qui reconnaît à toute
personne le droit à la liberté. 100 La
détention préventive est donc l'exception, et ce postulat est
d'autant plus visible dans les conditions qui encadrent le recours à
cette détention préventive. En effet elle ne doit être
ordonnée que si la loi l'autorise et s'il existe des motifs raisonnables
de penser que les intéressés sont impliqués dans les
infractions dont il est fait état, et si on peut craindre qu'ils ne
prennent la fuite, ne commettent d'autres infractions graves ou n'obstruent
gravement le cours normal de la justice si on les laisse en liberté.
101 Or suite à l'étude de l'ensemble des cas
portés devant le TPIR depuis sa création, il en ressort que non
seulement l'esprit et la lettre du Statut du Règlement de
procédure et de preuve du TPIR font de la détention le
régime de droit, et de la liberté le régime d'exception.
Mais également par C `est une pratique bien réelle du TPIR depuis
sa création: chaque accusé y ayant été
présenté a fait l'objet d'une détention préventive
d'une durée pouvant parfois poser des diffi cultés au regard de
la garantie des droits de l'accusé, et notamment de l'article 20 du
statut du TPIR.
Le débat sur la définition des termes
«juger dans un délai raisonnable », ou encore «sans
retard excessif» existe autant devant les juridictions nationales,
qu'internationales. Présentement dans notre exemple, il est plus avenant
de s'interroger sur l'existence d'une définition « interne»
aux tribunaux Internationaux. Puisque l' organi sati on et l'ampleur d'un
procès à l'échelle internationale, et d'une tout autre
nature, qu'un procès au niveau national et régional. Ainsi dans
l'affaire Bizimungu102, la Chamb re d'appel avait estimé que
pour déterminer si le temps passé constituait un délai
raisonnable ou excessif, il fallait considérer:
la durée du délai écoulé,
la complexité des procédures,
1 0 0 Convention Européenne des Droits de l'Homme »,
article 5 paragraphe 1
1 0 1 Huitième Congrès des Nations Unies
pour la prévention du crime et le traitement des délinquants,
La Havane, 27 août --7 septembre 1990 : rapport établi par le
Secrétariat, chap. I. sect. C, résolution 17, par. 2.
1 0 2 N° ICTR-99-50-T Le Procureur contre
Casimir Bizimungu et al, Decision on Prosper Mugiraneza's Interlocutory
Appeal from Trial Chamber II Decision of 2 October 2003 Denying the Motion to
Dismiss the Indictment Demand Speedy Trial and for Appropriate Relief, 27
février 2004, p.3.
· le comportement des parties tout au long de la
procédure,
· le comportement des autorités pertinentes
· le préjudice subi par l'accusé.
La pratique et la réalité des faits de notre
affaire concernant ces conditions vont permettre de saisir cette
problématique de l'effectivité de l'article 20 du statut du
TPIR.
Relativement à la durée du délai
écoulé dans l' affaire M. X, la détention
préventive de soixante quatre mois peut soulever de légitimes
questions quant à s outenir que ce délai d'attente de l'ouverture
d'un procès se tiendrait dans un délai raisonnable. Ensuite,
l'affaire M. X, n'est pas des plus complexes, puisqu'il s'agit d'un
accusé qui est poursuivi en tant que défendeur unique, qui
n'était ni une autorité politique ni une autorité
militaire. S'agissant du comportement des parties, il est intéressant de
constater dans cette affaire que le retard excessif de ce procès peut
être légitimement imputé au Procureur. Il a usé de
son jeu de «gain de temps» pour son enquête par la
multiplication des modifications de son acte d'accusation, qui plus est sur des
éléments substantiels, entraînant ainsi des retards dans la
procédure. De plus le comportement des organes du tribunal a
également contribué à porter préjudice à
l'accusé. En effet, à la suite d'une requête du Procureur
en modification de l'acte d'accusation datant de novembre 2005, il a fallu
attendre presque une année entière pour que la Chambre rende sa
décision. Elle ne sera rendue qu'en septembre 2006, soit un mois avant
le début du procès, privant ainsi celui--ci, de son droit de
disposer du temps et des facilités nécessaires à la
préparation de sa défense en vertu de l'article 20(4)b) du
Statut.103 Enfin en ce qui concerne précisément le
préjudice subi, il est évident: la modification substantielle de
l'acte d'accusation, plus de cinq ans après l'arrestation de
l'accusé, entrave gravement ses droits à disposer du temps et des
facilités nécessaires à la préparation de sa
défense. M. X n'a pas disposé des cinq années de
détention préventive pour préparer une défense aux
nouvelles charges.
C ette affaire n'est pas une exception dans la tenue des
procès et de l'application concrète des droits des accusés
au sein du TPIR. C'est une constatation déplorable qui p eut être
relevée de manière plus ou moins flagrante dans de nombreux
autres procès.
1 0 3 Annexe 3, Statut du Tribunal Pénal International
pour le Rwanda.
Pour conclure sur cette question de l'effectivité de
ce droit à être jugé dans un délai raisonnable,
n'est--il pas scandaleux d'avoir des procès commencés en 2002
(Affaire Militaire I), 2004 (Affaire Militaire II) , et toujours actuellement
en cours en 2010 ? Huit années de procès, ajoutées
à des années de détention préventive ne
violent--t--ils pas le droit d'être jugé dans un «
délai raisonnable », assuré par l'article 20 du statut du
TPIR?
Il ne s'agit pas ici de dresser un pamphlet sur l'action du
Tribunal Pénal International, mais bien de rendre compte de violations
évidentes et connues de certains droits des accusés. Dans un tel
contexte, devant des faits aussi lourds, d'une cruauté terrifiante et
d'une proportion sans précédent, il n'est pas aisé de
dénoncer de telles situations. Cependant cette dénonciation
s'appuie sur une volonté de promouvoir une justice équitable et
saine à l'échelle internationale, soutenu par une visée
d'exemplarité. La logique protectrice des droits fondamentaux va
nécessairement pouvoir «contenir» la logique répressive
du droit pénal, et plus particulièrement de la justice
internationale.104 L'enjeu est de mettre en balance un désir
de répression légitime avec l'effectivité de garanties
procédurales. Ceci s'avère être une tâche ardue dans
la pratique des juridictions nationales et plus particulièrement du
TPIR.
1 04 Les droits fondamentaux: inventaire et
théorie générale, Edition Université Saint--
Joseph, Centre d'études des droits du monde arabe, Renée KOERING
JOULIN, Droits fondamentaux et droit pénal international, Novembre
2003.